Esh, pour une fois arrivé en avance, et même assis au premier rang de la classe, attendait avec impatience son premier cours d'art.
Quelques minutes plus tard, un homme fit son entrée. Malgré ses rides attestant d'un âge avancé, ses cheveux étaient d'un rouge éclatant, et ses yeux d'un bleu si vif qu'Esh ne doutait pas que l'on puisse les voir dans le noir. Mais le visage du professeur n'était pas sa seule particularité. Il portait une robe qui était un tableau à part entière ; on pouvait y voir une savane parcourue par des animaux de toutes tailles et espèces.
Toutefois, cette scène ne se contentait pas d'être immobile, comme le tableau qu'il avait dessiné une semaine plus tôt lors de sa démonstration, elle était également animée !
̶ Silence ! cria-t-il.
L'ensemble de la classe le regarda, ébahi. Depuis le moment où il avait fait son entrée, aucun élève n'avait fait de bruit. Esh s'efforça ne pas lever les yeux au ciel.
Encore un excentrique, se dit-il en pensant aux autres professeurs qu'il avait déjà rencontrés.
Le professeur entretint un lourd moment de silence puis...
̶ Je m'appelle Kitoure, et je suis sur le point de vous enseigner la plus noble des matières. Normalement, un village aussi petit et reculé que le vôtre ne pourrait jamais bénéficier d'un professionnel de mon gabarit, et ce, même dans ses rêves les plus fous. Mais vous avez de la chance. J'ai une dette envers le Miktsoane de votre village et, à sa demande, je vais tenter de tirer quelque chose de vos... je n'en doute guère... maigres talents.
Esh se demanda comment cet homme en était venu à avoir une dette envers son père, et se fit note de questionner son paternel plus tard à ce sujet.
̶ Que les choses soient claires. Pour effectuer une peinture de qualité, il ne suffit pas d'agiter un pinceau sur une toile et de réaliser des formes...
Il s'arrêta un moment afin de paraître plus dramatique.
̶ ... Il ne suffit pas non plus de peindre ce que l'on voit, même si le résultat paraît des plus réel. Non. Ce qu'il faut, c'est dessiner ce que l'on comprend en s'aidant des lois qui gouvernent notre monde ; la moindre inexactitude peut créer un désaccord entre votre œuvre et son environnement, ce qui la rendra statique. Retenez bien ceci, le matériel principal requis pour une œuvre, c'est la compréhension des lois de son créateur. Au fur et à mesure que votre compréhension s'approfondira, il vous sera possible de peindre des éléments de plus en plus complexes et variés. Atteindre le sommet de l'art, et peut-être même, qui sait, arriver à mon niveau, requerra de vous une compréhension des lois aussi profonde que celle d'un Miktsoane.
Habituellement, Esh aurait immédiatement cessé d'écouter une personne si égocentrique et qui, pire encore, venait de faire un monologue aussi long. Mais les faits étaient indéniables : l'œuvre actuellement peinte par l'artiste lors de la démonstration lui avait permis de réussir, en une seule soirée, ce qu'il avait tenté de faire, sans résultat, durant plusieurs mois.
Kitoure désigna ensuite un élève pour distribuer du matériel aux élèves.
̶ Personne n'est autorisé à utiliser son propre matériel. Les outils que j'ai mis à votre disposition sont de la pire qualité possible, afin que vous appreniez à obtenir des résultats grâce à ce qui est vraiment important, la compréhension ! Que chacun peigne ce que bon lui semble. Si l'un de vous parvient à réaliser une peinture animée, je lui remettrai une peinture représentant la loi et le concept de son choix. Vous avez jusqu'à la fin du cours.
En entendant ceci, la majorité des élèves ne purent réprimer leur gêne : c'était seulement la deuxième semaine de cours, et la plupart d'eux n'avaient même pas encore identifié l'élément avec lequel ils possédaient la plus grande affinité.
Mais ce n'était pas le cas d'Esh, qui ferma les yeux et décida de peindre la première image qui lui vint en tête : la flamme qu'il fixait jour et nuit depuis deux mois. Après avoir déduit ce qui lui restait à faire, grâce à la démonstration de la semaine dernière de Kitoure, il saisit son pinceau. Pour un Cultivateur, peindre ne nécessitait pas de peinture ; un pinceau spécial, qui avait la capacité de retranscrire l'intention de l'utilisateur en couleur, suffisait.
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Il rapprocha le pinceau de la toile, et au moment du contact, il ressentit une connexion entre la toile et ses pensées les plus profondes, lui donnant le sentiment qu'elle essayait de se nourrir de ses intentions, de la même manière qu'un nomade se jetterait près d'un feu après avoir traversé une tempête de neige. Bien sûr, si ce lien était possible, c'était uniquement grâce au pinceau qui agissait en tant que medium. Un trait rouge fit son apparition là où il faisait passer son pinceau, puis encore d'autres, jusqu'à représenter une flamme, mais Esh fut déçu de voir qu'elle restait statique.
Ma peinture n'est pas fidèle à la flamme que je connais. La vraie flamme dégage de la chaleur, cette même chaleur que j'avais ressentie dans mes paumes le soir précédent, se dit-il en réalisant le problème.
Il utilisa alors le premier et seul concept de feu qu'il avait commencé à maîtriser : la chaleur ! Aussitôt, la chaleur passa de ses mains aux pinceaux, puis vers la toile, où des rouges beaucoup plus variés firent leur apparition. La flamme en peinture commençait à dégager de la chaleur. Totalement immergé dans l'art, il continuait de peindre le sourire aux lèvres, puis...
̶ Stoppez tout ! Le cours finit dans cinq minutes, laissez-moi inspecter vos « œuvres », ordonna Kitoure, en utilisant un ton particulièrement sarcastique à la fin de sa phrase.
Esh fut surpris que les deux heures soient déjà pratiquement terminées, mais joua le jeu, et arrêta de peindre :
Si seulement le reste des cours pouvait passer aussi vite, se dit-il avant de toiser sa peinture avec du recul, suite à quoi il ne put réprimer un sourire.
Pendant ce temps, Kitoure examinait chaque tableau, en lançant des remarques dédaigneuses aux élèves. Il fit même pleurer l'une des élèves de l'un des villages extérieurs, en déclarant que sa toile ne pourrait même pas faire office de papier toilette décent.
Il avait débuté son inspection au fond de la classe, et arriva donc devant le tableau d'Esh en dernier. Kitoure arriva devant lui avec la même expression de dédain qu'il avait réservée aux autres élèves jusqu'alors, mais ne put réprimer sa surprise en voyant ce qu'il avait peint :
̶ Incroyable, tu as vraiment réussi à dessiner une flamme animée !
À peine le professeur eut-il fini sa phrase, qu'il sentit des regards hostiles le visant, lui faisant aussitôt regretter de ne pas avoir mieux contrôlé sa réaction.
Toute la classe le regardait avec un regard empli de colère et de rancœur, dont le message était clair : Pourquoi nous avoir tant critiqués, si vous-même ne croyiez pas que votre exercice était possible ?
Momentanément déstabilisé par la réaction silencieuse, mais emplie de colère de la classe, il se reprit néanmoins très vite, en se raclant la gorge :
̶ Enfin, après tout, tu as seulement peint une flamme au stade de chaleur, ce qui est l'une des peintures les plus basiques, dignes seulement d'un débutant... Bon, vous pouvez disposer, le cours est terminé.
Mais un élève qui, de toute évidence, n'avait pas digéré les remarques acerbes de Kitoure, leva la main, et demanda, sans même attendre la permission de parler :
̶ Professeur, n'aviez-vous pas promis un tableau au créateur de la meilleure toile animée ?
̶ Heuuu...
De toute évidence, Kitoure n'avait pas cru possible qu'un élève soit capable d'animer un tableau dès la première séance.
̶ Bien sûr ! Et un artiste de renom tel que moi n'a qu'une seule parole ! dit le vieil homme, d'un ton qui paraissait si honnête que la plupart des adolescents qui n'avaient, après tout, que treize ans, le crurent immédiatement, malgré la première mauvaise impression qu'il leur avait laissée.
̶ Esh, je te donnerai, au prochain cours, une peinture représentant le concept de mouvement de la loi du feu. Filez maintenant ! finit par lancer le professeur, tout en se disant, qu'après tout, un simple travail de deux heures maximum suffirait à créer une peinture qui n'entacherait pas sa réputation quand d'autres la verraient.
Ce n'est que plus tard dans la journée, qu'il apprit l'identité du père du garçon.
Pourquoi cela tombe toujours sur moi !? Avec mon talent, il est même facile de tromper un Moumré doué dans les lois du feu, mais certainement pas un Miktsoane. Je vais devoir y passer toute la semaine, sinon Yashar et son tempérament explosif ne me laisseront pas une seule seconde de répit, se lamenta l'artiste.
Plus tard, devant sa toile, le regard plaintif où les expressions excentriques de Kitoure avaient disparu, seul restait un regard de concentration absolue, le regard d'un maître au sommet de son art, pour lequel toutes les galeries au sein de la capitale étaient prêtes à payer des fortunes, pour seulement obtenir le droit d'exposer ses œuvres : le regard de Kitoure, l'artiste donneur de vie aux mille couleurs.
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