Les deux n'avaient aucune échappatoire. Devant eux se trouvait le marchand faisant, au vu de la veine proéminente sur son front, des efforts visibles pour contenir sa colère et ne pas bondir sur Esh et sa sœur.
Sur leur côté gauche se trouvaient ceux précédemment désireux d'acheter le lion, fraîchement interrompus dans leur négociation avec le marchand, et fixant désormais les deux villageois avec le regard d'un enfant à qui l'on viendrait de voler son jouet préféré.
Sur leur côté droit se trouvaient encore d'autres marchands, les regardant d'un air féroce. Ils appartenaient clairement au même groupe que le propriétaire du lion défunt.
Pour couronner le tout, une foule s'agglutinait derrière eux, attirée par la lumière produite par le lion. La projection avait beau être déjà entrée en Shelly, faisant disparaître le halo lumineux, peu retournèrent à leurs affaires. Conscients de l'altercation sur le point de se produire entre les deux adolescents et le marchand, ils ne comptaient absolument pas rater ce « spectacle ».
̶ Alors, j'écoute ! pressa le marchand, en train perdre le peu de patience lui restant.
Après tout, le lion royal représentait un investissement colossal de sa part, désormais réduit à néant sous ses yeux.
Esh commença à balbutier une excuse, mais Evelle, déduisant ce qui s'était passé l'arrêta d'un revers de main avant de se tourner vers le marchand avec colère. Étonnamment, même son voile ne parvenait pas à diminuer sa présence.
̶ Ce n'est pas nous qui devons rendre des comptes, mais vous ! Votre bête était censée être contrôlée par un collier électrique et un talisman, mais ce n'était clairement pas le cas. Regardez l'état dans lequel elle a mis l'animal de mon frère ! dit-elle en pointant du doigt Shelly toujours inconsciente. J'espère que vous saurez nous verser les compensations adéquates !
Le marchand fut momentanément pris de court, avant de perdre tous ses moyens.
̶ De quoi parles-tu, jeune insolente ?! Votre lion est juste inconscient et a, de toute évidence, reçu une sorte d'héritage, alors que le mien est mort. Ne tente pas de jouer sur les faits avec moi ! Vous allez immédiatement me verser les mille énergiseurs que valait ce lion royal ou j'appelle les gardes !
En entendant cela, Evelle fut prise au dépourvu. Elle avait espéré intimider le marchand en le poussant à négocier avec eux, mais il était clairement plus expérimenté qu'elle à ce jeu. De plus, elle et son frère étaient totalement encerclés, et ne possédaient absolument pas les fonds que le marchand exigeait. Son capital total s'élevait à seulement douze énergiseurs, et elle doutait fortement qu'Esh n'en possède plus de cinq !
Elle lança un regard vers les gardes se trouvant un peu plus loin, mais ils fixaient un autre coin du marché, sûrement trop occupés à estimer la somme qu'ils allaient demander au marchand pour avoir regardé ailleurs, en plus de leurs pots de vin quotidiens.
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Elle aperçut également un groupe de prêtres. Mais ceux-ci se contentaient de contempler les étalages d'autres marchands comme s'il s'agissait d'écrits sacrés et non de babioles, faisant délibérément attention à ne pas regarder dans leur direction.
Révéler son appartenance à La Grâce du Seigneur résoudrait le danger immédiat dans lequel ils se trouvaient, mais une investigation serait menée, et tous finiraient par connaître son appartenance au village d'Eden, ce qui mettrait ses habitants en péril.
Elle commençait à calculer un itinéraire de fuite possible, mais ne se faisait guère d'illusion. Le marchand était clairement un Cultivateur, et s'il n'était pas forcément un Moumré, il avait au moins achevé le premier Pas.
L'hésitation des deux adolescents confirma les doutes du marchand : les deux n'appartenaient pas à une famille puissante.
̶ Très bien ! Si vous ne pouvez pas me payer en énergiseurs, vous compenserez par vos propres personnes en signant un contrat de servitude pour les cent prochaines années, dit le marchand avec avidité, avant de projeter son aura sur les deux adolescents.
Aussitôt, Evelle et Esh furent écrasés par la puissance du marchand. Comme la fois où Neshek avait fait de même, il se sentait comme une fourmi en train d'attendre la mort devant le pied d'un géant. Le marchand était clairement un Moumré, écrasant les derniers espoirs d'Evelle de s'échapper.
Mais alors que le marchand allait se ruer sur eux, et qu'Evelle s'apprêtait à utiliser une technique interdite pour se libérer de son aura, un flash vert jaillit de nulle part, éblouissant au passage l'assemblée. Il fut suivi d'un bruit morbide, celui de la tête du marchand se détachant de son coup, avant de rouler sur les pavés au sol.
En voyant cela, Esh tenant Shelly dans ses bras ainsi que le reste des spectateurs furent stupéfaits. Heureusement, Evelle sut profiter du moment. Elle saisit Esh par la taille, et s'enfuit en sautant au-dessus du corps décapité du marchand, atteignant ainsi le toit d'une maison.
Mais très rapidement, les autres marchands sortirent également de leur stupeur, et se lancèrent à leur poursuite. Evelle avait beau lancer des talismans faisant office de mine de proximité à tout va, cela les ralentit à peine, et ils étaient sur le point de les rattraper. D'ailleurs, si leurs poursuivants ne tenaient pas à les capturer vivants, ils seraient sûrement déjà morts avant d'avoir franchi le premier toit. Pire, des hommes en uniformes verts armés de lances arrivaient au loin, s'avançant inexorablement de leur position.
Une salvation parvenant dans un moment de choix et interprétée comme une solution, mais dans un moment de désespoir elle fait office de miracle. Et c'est justement un miracle qui apparut devants les yeux des deux Edeniens ayant perdu tout espoir de s'en sortir, d'abord sous la forme d'un nuage vert engloutissant le groupe de marchands, provoquant des hurlements de douleur faisant office de mélodie aux oreilles d'Evelle.
La suite du miracle pris une forme encore plus particulière, celle d'une porte en bois, tapissée de visage de démons aux facettes multiples, passant de l'extase aux pleurs. Comme sortie de nulle part, elle s'ouvrit en plein milieu du toit sur lequel la fraté venaient d'atterrir. Une voix grave et sereine jaillit de l'intérieur :
̶ Entrez si vous tenez à votre liberté !
On ne voyait pas vers où cette porte menait, sa destination cachée par un drap de néant. Néanmoins, Evelle était à court d'options. Elle franchit donc la porte, qui se referma avant de disparaître si soudainement que l'on jurerait qu'elle n'avait jamais existé de premier abord.
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