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Le Camp [French]
Chapitre 12

Chapitre 12

Les rideaux s'ouvrirent plus vite que mes yeux englués. Une main tyrannique les tiraient et m'entraînait dans l'univers glacial de ma chambre. Une infirmière se parlait à elle-même, sans considération pour ma petite personne alitée. Entre mes paupières mi-closes, sa blancheur effarante se confondant avec les murs me questionna sur mon existence. Avais-je survécu à la nuit passée ? Seulement survécu à la carrière ? L'infirmière me remarqua et ses pupilles se dilatèrent. Dans ma torpeur matinale, je crus que je l'effrayais et, dans l'humeur qui l'accompagnait, j'appréciais ce sentiment.

- Vous avez une tête de déterré ! me lança-t-elle en riant. Excusez-moi pour ce réveil un peu brusque... Je ne pensais pas que vous reviendrez si vite parmi nous.

Je ne ressentis aucune trace de mensonge. Elle ne s'y attendait vraiment pas et je me demandais quel code secret les cliniques entretenaient à ce propos. Je revins à sa simple constatation, dénuée de méchanceté. Je devais réellement avoir une gueule de déterré ce qui, dans cette clinique aux allures de crématoire, serait fort à propos.

- Je dois vraiment être revenu d'entre les morts, dis-je sans humeur.

Les souvenirs ténus de mon escapade nocturne me laissaient douter de la réalité de ce moment. Dans l'obscurité qui était mienne, j’attrapai au vol le sourire qu'elle me lança. Avais-je rêvé d'un vampire qui, s'abreuvant à la source vitale, retrouvait ses traits juvéniles ? Je n'en étais pas moins sûr, mais je ne pouvais douter de cette femme ancrée dans sa trentaine, d'une tangible et rassurante temporalité. Demain, elle serait un peu plus vieille. Hier, elle était un peu plus jeune. Un jour, elle sera un tas d'os.

Je décida de la questionner sur l'alarme de la veille, remisant l'idée qu'elle puisse se moquer de moi. Quelqu'un m'avait replacé dans mon lit et ce n'était pas moi, alors allez savoir si je l'avais vraiment quitté.

- Mes oreilles souffrent encore d'hier soir...

- Heureuse d'entendre que c'est le cas, sinon ça ne présagerait que du mauvais sur votre état de...

- Vie ? Hasardais-je. Ce n'est pas le bon mot... Enfin, personne n'est venu pour l'étendre.

- Personne ne vient jamais, admit-elle. Presque personne... C'est le protocole, aussi déplorable soit-il.

Je frémis. Les stridulations de l'alarme n'existaient pas que dans mon esprit endolori donc...

- Pourquoi ? demandais-je éberlué. Mourir, prisonnier de mon propre corps... Un déchet, c'est donc tout ce que je représente ?!

- Je suis désolée... Nous avons l'ordre d'évacuer les lieux en préservant au maximum le personnel valide. Ne vous sentez pas visé, ce n'est que le pragmatisme ordinaire de l'humain.

- Je ne suis donc qu'un macchabée en attente de son sac...

- Je n'étais pas en service hier soir, se défendit-elle.

Elle se tendit, ses yeux pleins de bonté se froncèrent et je m'en voulus. Un sourire forcé sur les lèvres, je lui signifia que ce n'était qu'une blague et si elle ne me donna pas l'impression d'accepter que cela fut un trait d'humour, elle passa dessus. Pour la peine, c'en était un: mon humour a toujours été merdique, voire septique.

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- Pardon, lui dis-je. Le Héron soit loué pour ma nuit.

Une fulgurance me traversa l'esprit : un volatile gravé dans ma chair comme une tête de bétail marquée au fer rouge.

- Le Héron ne peut sauver personne, il a échoué.

- De quoi parlez-vous ?

Un élancement dans ma jambe me retira un gémissement et elle souleva rapidement le drap pour l'inspecter. Rien à signaler, bien qu'elle m'examina en me répondant. J'imagine qu'elle ne voulait pas se montrer à cru au premier inconnu venu car je sentis dans sa voix une tristesse qui accompagnait certainement son regard invisible.

- La nuit dernière, nous avons abandonné les nourrissons. Deux n'ont pas survécu... Les alertes sont toujours éprouvantes pour les maladifs, ils angoissent et agonisent... Les nourrices les ont découvert morts ce matin. Le Fléau nous les a encore volé.

- Le Fléau est bien différent...

Un tiers des nouveaux-nés périssaient de cette maladie infantile qu'on ne décrivait jamais. Je m'étais toujours dit que cette dégénérescence était l’œuvre des Anciens, une sorte de malédiction antique qui privait les couples bienheureux d'enfanter dans notre camp stérile du bonheur... Une fois sur trois. Maintenant, j'en doutais. Le Héron endoctrine, ma nuit bien qu'éthérée répondait au moins à des doutes qui ne remontaient pas jusqu'à ma conscience étiolée.

- Il ne fauche pas tout le monde.

Elle me sourit et je sentis mon cœur tambouriner. Je tâchais de cacher mon malaise devant ce premier visage bienveillant... Le premier en des lustres.

- Vous allez bien ? me demanda-t-elle.

- Aussi bien que possible, nous devons continuer d'avancer dans tous les cas. Je suppose ?

- Oui, mais vous le savez déjà ? J'ai appris que vous travailliez à la carrière et que c'est là que vous vous êtes blessé. Si des hommes sont capables de mettre leur existence en péril pour rebâtir la société, je porte encore foi en son avenir. Vous êtes un héros qui n'a pas encore embrasser la Mort. Maintenant, préparons-nous.

Je rougis. Je n'avais fait que pelleter au fond d'un trou qui manqua d'être ma propre tombe. Elle se pencha vers moi et l'espace d'un instant je crus qu'elle allait me déposer un bécot au coin de la bouche et je n'aurais pu être plus rouge. Elle me prévint que ça risquait de faire mal et attrapa le pan de ma blouse de malade. Je balbutia à propos de lui faire remarquer si je venais à trop souffrir, mais mon bras mort ne grogna qu'à peine quand elle le souleva légèrement pour l'extirper de la manche. Rapidement, je me retrouvais en caleçon devant une inconnue. Tout aussi vite, je me conceptualisa comme un bébé et compulsivement j'éclatai de rire. Elle me gourmanda d'un regard alors que je gigotais. Je l'avais mérité.

- Vous n'aurez pas besoin de moi pour vous rhabiller, me réprimanda-t-elle.

- Certainement pas, répondis-je encore hilare.

Elle désigna un tas de vêtements, les miens qui bien que dûment lavés se trouvés souillés par mon sang séché. Elle m'aida à m'asseoir et me tendit ma chemise, s'arrêta un instant et passa son doigt le long de ma clavicule.

- Encore ?! se plaignit-elle.

Elle me montra son doigt blanc recouvert d'une substance d'un noir de pétrole.

- Ces putains de canalisations, m'expliqua-t-elle avec une familiarité qui me ravit. Personne ne s'est décidé à les faire sauter et elles fuitent.

Au plafond, une tâche de la même couleur s'étendait. Bien sèche pour être responsable de ma salissure, l'infirmière m'apprit que les canalisations couraient au plafond. Je secoua la tête incrédule, regarda ma clavicule et la découvrit aussi propre que dans mes souvenirs. Nulle trace de la substance noire qui disparaissait sous la peau de l'infirmière. Résignée, elle soupira.

- Quelle merde. Il faudrait tout démonter un jour, se plaignit-elle. Désolée pour cela. Vos vêtements ?

Mes vêtements... La substance venait de disparaître et elle me parlait de mes fringues. L'irréalité de la nuit dernière me rattrapa et je procéda, dans un état second, à recouvrir une certaine décence. Je galérais pour enfiler ma chemise et aussi m'aida-t-elle avec une douceur bienvenue. La suite se déroula sans encombres, bien plus aisément.

- Vous voilà décent, me dit-elle.

Je n'avais nulle réponse à lui offrir. Sur la table de chevet, la Marmotte me saluait en agitant sa petite patte. Pour la première fois, j'entendais la voix qui guida Lucille loin de moi. La sombre certitude que ma nuit n'avait été fantasmée s'enracina en moi et m'enserra le palpitant. Le camp se resserrait autour de moi et je commença à paniquer. Je devais avoir l'air bien pâle car ma douce infirmière me donna une étreinte pour la route et ô combien j'espère qu'elle n'a pas été fusillée avec les autres. Putain, je ne crois toujours pas aux dieux mais je prie pour que ça soit le cas.

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