Novels2Search

Chapitre 1

Dans les tentes piégées entre les maisons délabrées, mare résiduelle d'une humanité qui s’asphyxiait, nous vivotions. La journée avait été l'une des plus longues que j'eus à vivre depuis mon arrivée dans le camp. Je m'étais échiné de longues heures dans la carrière à détacher un bloc avec une pioche qui arrivait en bout de piste. Pour tout dire, j'étais assez claqué pour ne pas parvenir à trouver le sommeil et lorsque les oiseaux chantèrent avant l'aube, réveillés par l'alarme, je venais de changer de position sur mon lit de camp pour la centième fois de cette nuit interminable.

Bien qu'éveillé, je me trouvais incapable de m'extirper de mon duvet. L'alarme sonnait et lassé par ma propre survie, je l'ignorais. Bien d'autres avait déjà hurlé depuis mon arrivée et jamais je n'avais été inquiété. Je commençais à me demander si les échauffourées forestières finiraient un jour par s'immiscer chez nous et parvins presque à m'endormir, bercé par les modulations de moins en moins stridentes, lorsque la toile de ma tente s'agita.

- Merde, réveille-toi Peter ! me dit-on.

La nuit était chaude et la moustiquaire était restée ouverte. Mes yeux englués peinèrent à s'ouvrir et je comprenais, avec une lenteur douloureuse, que le sommeil n'était maintenant qu'un désir révolu.

- Ce n'est pas le moment de pioncer, insista l'homme qui me tourmentait.

L'insistance de l'homme se mua en une tempête furieuse qui enragea la toile de ma tente. Dans le brouillard de la nuit je parvins finalement à reconnaître la voix du jeune garçon avec lequel je m'étais lié d'amitié. Il m'avait précédé dans le camp et nous venions de la même région. Nous partagions beaucoup. Avec difficulté, j'enfilais mon pantalon et sortis torse nu dans la moiteur nocturne. Hector se tenait face à moi, encore en pyjama et aussi pâle que la Lune. Il n'avait que seize ans et en faisait vingt quand j'en avais personnellement le double, mais que voulez-vous ? Les autres habitants du camp n'étaient pas assez sensés pour mériter mon amitié.

- Tu as une gueule de déterré, me dit-il en me voyant.

La remarque me soutira un faible sourire.

- Tu t'es vu ? répliquai-je. Tu es prêt à l'emploi, il n'y a plus qu'à dresser la pierre tombale.

- Ça ne m'amuse pas. Au moins, je ne m'enterre pas pour crever.

La soudaine envie me pris de lui demander quels risques je prenais en n'écoutant pas, pour une putain de fois, les sirènes mais n'en fis rien. L'Ennemi promis n'avait jamais franchi nos lignes défensives et les escarmouches ne dépassaient jamais l'orée de la forêt, loin au-delà des barbelés et des terrains vagues. Parfois, nous entendions les cris glaçants portés par le vent et supposions qu'une créature venait de mourir sous le feu nourri de nos soldats. Ils ne chômaient pas même si cette nuit, les stridulations de l'alarme étaient bien seules.

- Je ne m'enterre pas, me défendis-je. Les balles ne pleuvent pas sur le camp.

Il secoua la tête avec désespoir alors que je retournais dans ma tente pour attraper ma chemise encore imbibée de ma sueur diurne. Je réprima un rictus de dégoût et frissonna en la mettant, mais je ne voulais pas rejoindre l'abri à moitié nu. Alors que mes yeux s'habituaient à la luminosité des lampadaires, tous allumés en prévision de potentiels combats urbains, je découvris une rue déserte. Contre toute-attente j'avais dû m'endormir assez longtemps pour permettre à mes voisins de suivre la signalisation jusqu'à l'abri et aux connards privilégiés, qui habitaient les maisons plombées, de fermer leurs volets. Ces enfoirés pouvaient continuer leur nuit.

- Depuis combien de temps la sirène nous appelle ? demandai-je.

- Tu as envie de lui rouler un gros patin ? Parce que moi oui... Assez longtemps pour que nous nous bougions avant qu'ils ne ferment les portes.

- Qu'est-ce que j'en ai à foutre ? Qu'ils m'étalent et nous nous relèverons tous avec la fanfare.

Hector me considéra avec un air mauvais. Je m'en voulus aussitôt. Je ne suis pas croyant et j'ignore encore si mon ami l'était, mais je crois que c'est plutôt le fait qu'on puisse revenir d'entre les morts qui l'inquiétait. Dans son village natal ses parents tenaient une scierie qui fournissait une part non négligeable des planches de la première reconstruction. Un soir, il les avait retrouvé étendus sur le banc de sciage ouverts comme si on voulait se préparer un sandwich. Quand il m'avait raconté ça, nous étions bourrés et poussé par une curiosité morbide j'avais voulu savoir si les dires sur les attaques étaient véritables et oui, leurs membres étaient bien mités par la souillure.

Je regrettais d'avoir poussé jusqu'à ce point, mais j'étais heureux de ne pas avoir vécu pareille situation. Les premières attaques dans les fermes voisines à la mienne avaient suffi à me terrifier et me faire prendre la direction du camp. Peu de personnes résistaient encore à l'attrait du barbelé et je commençais à douter qu'il en resta une seule qui ne soit pas encore affiliée aux nomades de l'autre côté du mur.

- Personne ne se relèvera, mais toi tu peux te recoucher.

- C'est bon...

Il s'élança sur la rue déserte et imposa la cadence sadique de notre promenade nocturne. Mes jambes fatiguées par mon labeur peinaient à me porter à sa suite et j'imaginais un monde où je ne serais pas contraint de me lever à la moindre alerte. Le projet sur lequel mon équipe était alors affectée visait à la réhabilitation de l'église du village en phalanstère et la promesse de nuits meilleures, protégé de la pluie par un toit et des créatures par le plomb... Mais cela, serait pour bien plus tard et en attendant je marchais dans la nuit, rêvassais à notre future maison et bien que je sois dissipé, je ne l'étais pas assez pour oublier la silhouette d'Hector happée par la distance.

- Ralentis, tu vas me perdre, le prévenais-je.

Sans répondre, il ralentit insensiblement. Il était pressé de rejoindre l'abri improvisé dans l'ancienne réserve de l'imprimerie. Je m'amusais toujours à penser que ce pittoresque village avait autrefois eut ses piges locales et qu'au milieu des machines qui imprimaient les histoires, nous tentions de préserver la nôtre.

Je me força à accélérer, l'équivalent d'un pas de course dans ma condition et le rattrapa.

- Tu penses qu'ils nous attendent encore ? dis-je hors d'haleine.

- La lumière est encore allumée.

Je le regardais tout en marchant, une grossière erreur. Il fronça ses sourcils broussailleux en remarquant une anomalie sur la chaussée et si j'avais été mieux réveillé, j'aurais alors repéré le nid-de-poule. Ma chaussure se clipsa dans le trou et mon corps pivota vers l'avant. Je m'étala comiquement de tout mon long. Je n'avais pas mal, mais cela ne signifiait rien. L'adrénaline qui pulsait dans mes veines en découvrant que ma gorge était passée à un doigt d'un des arceaux d'une tente mal entretenue m'épargna temporairement la douleur. Les arceaux qui cachaient les ébats remplissant les berceaux avaient bien failli me guider vers mon tombeau.

- Bordel ! m'écriais-je. Fait chier, j'ai faillis m'embrocher sur cette foutue tente !

Hector s'amusa de mon vocabulaire. Les autres habitants du camp était d'un naturel plus policé que le mien, mais lorsque des connasses de pierres rencontraient le fer de votre houe et secouaient vos bras ils sortaient avec une aisance détestable. Le propriétaire de la tente qui m'ôta presque la vie l'avait installé au milieu de la route goudronnée, évitant les étendues boueuses et si j'entendais ce choix, je le maudissais.

- Qu'est-ce que ce con a foutu ?

Le matériel du camp n'était pas de première main, mais j'avais rarement vu une toile abîmée à ce point. Elle était si déchiquetée que dormir à la belle étoile ne devait pas changer grand-chose et quand la pluie tombait je n'osais imaginer la mare dans laquelle pataugeait le propriétaire.

Did you know this story is from Royal Road? Read the official version for free and support the author.

- Il a dû vriller... Ça ne serait pas le premier. Au moins, tu ne t'es pas transformé en brochette humaine comme à la belle époque, me répondit-il en m'aidant à me relever.

Je frissonna face à ce trait d'humour sinistre à souhait. Je me demandais si cette mort aurait été moins douloureuse que celle qui m'aurait attendu si j'étais resté allongé avec pour seule protection contre les créatures qu'une vaine couche de polyester. Peut-être aurais-je survécu, peut-être pas. La gouvernance du camp n'était pas douée pour ce qui était de tenir les comptes et étudier les risques, mais j'imaginais que mes chances de survie à l'extérieur des abris demeuraient relativement élevées. Après tout, j'avais vécu de longues décennies dans une ferme forestière sans que le néant m'engloutisse et scelle à jamais ces lèvres grossières. Quand je repensais à ce que j'avais abandonné, un haut-le-cœur nostalgique s'emparait de moi. J'étais alors amoureux, même fiancé grâce à cette vieille tradition qui voulait que nous procréions à la gloire Dieu, mais croyez bien qu'avec Lucille nous en avions cure. Nous ne nous étions fiancés que pour baiser sans affronter le regard des villageois et nous nous adonnions à la tâche avec une ardeur fanatique. Je crois que ma vie aurait-été belle si tout était resté ainsi, mais la Voix insidieuse était venue à elle sans faire un détour par mon crâne. Je n'avais pas entendu que dans le Nord, le Mal ne pénétrait pas et ma Lucille convaincue s'était aventuré dans la forêt sans que je ne daigne l'accompagner dans ce suicide. Parfois, je me demandais si elle était morte et comment : tuée par une créature, affamée par une mauvaise préparation ou blessée par un stupide accident comme celui qui venait de m'arriver ?

- J'aurais mieux choisi ma mort si je devais y passer, plaisantais-je en songeant avec amertume à Lucille que j'avais abandonné. Dommage, vous n'aurez pas de ma viande.

- Elle doit être noueuse chez un vieux bouc comme toi.

Une vérité simple sortie d'une gueule qui ne se la fermait que rarement. Dans mon état actuel, je me demandai si j'aurai eu assez mauvais goût pour échapper à la grande famine de 2034. La terre avait été avare cette année, mais par chance je cultivais suffisamment pour satisfaire l'appétit de deux, évitant ainsi les plats généreusement viandés. Mon jeune ami avait passé la majeure partie de sa vie dans le camp, mais n'étant pas en âge de travailler avait évité la soupe arrangée avec les restes de ceux qui étaient morts et je crois que sa manière de plaisanter autour du cannibalisme représentait pour lui une forme d'exorcisme.

- Très certainement et quel désastre cela serait... Perdre l'unique Peter, trente-deux années et encore vivant. L'humanité ne s'en remettrait jamais.

Un rire rendit à mon ami ce qui lui manquait à notre rendez-vous nocturne et je le retrouvais entier. Cependant, je ne pouvais m'empêcher de remarquer à tel point celui-ci paraissait forcé : ils trouveraient bien un remplaçant. Après tout, nous étions un millier, plus ou moins. En cette fin d'Été, les registres indiquaient que 1067 survivants erraient entre les ruines et cela s'expliquait par l'économie au beau fixe, mais quelques explorations infructueuses, un commerce avec l'extérieur en berne et nous pouvions parfois descendre à 900. Non pas que nous mourions : les joies du hasard désignait, sans discontinuer, ceux voués à l'exil et à la mort dans la forêt.

- Personne ne pourrait te remplacer, me mentit-il.

- Mon cul.

- Pas moi en tout cas.

Je le regardais avec sa constitution faible. Il poussait sa brouette du matin au soir et la carrière l'aurait brisé en moins d'un mois. Nous ne nous parlâmes pas pour le reste du chemin, nous dirigeant vers les lumières pulsantes de la vieille imprimerie qui nous appelaient tels un phare. Je caressais ses contours de mes yeux, détaillant le savant patchwork de briques, tôles ondulées et de bois moisi qui la composait... Sans oublier le sacro-saint plomb, absent de nos tentes et qui nous valait de nous lever au milieu de la nuit.

Alors que nous approchions de l'entrée, un faisceau belliqueux nous aveugla et une voix caillouteuse – je ne décrierais jamais celle-ci comme rocailleuse car cela serait attribuer trop de mérite à ce connard – nous assaillit :

- Peter et son petit pote... Vous êtes à la bourre, qu'est-ce que vous fichiez ?!

« La bringue » eus-je envie de répliquer, mais j'étais pas assez con pour ça. Le capitaine Carlsen venait de se ficher aux côtés du projecteur : la même tranche d'âge que la mienne, mais nettement plus ravagé. Je suppose que le paquet de cigarillos artisanaux qu'il s'enfilait tous les jours jouait un grand rôle dans le désastre de son corps et j'en retirais une malsaine compensation : le cancer guettait.

Hector leva les mains :

- Désolés, nous aurions dû nous presser mais un couillon a oublié de fermer les vannes dans le quartier ouest. Nos réserves de flotte auraient été à sec demain...

Je n'avais jamais entendu Hector mentir et je l'en pensais incapable. Voilà qu'il nous sortait son meilleur mensonge et que j'approuvais mollement à ses côtés.

- De vrais héros, lâcha-t-il à contre coeur.

Un moustique rouge s'accoquina avec moi et je le chassa d'un geste de la main. Il me tournait autour de la poitrine et le capitaine Carlsen cracha :

- C'est bon Arthur, tu peux baisser ton putain de flingue !

Le moustique descendit et je souris dédaigneusement au milicien qui regrettait de ne pas avoir pu glisser une balle entre ces belles côtes. Ils avaient beau porter des étoiles, shérifs d'un bled avec trop de lois, ça restait des crevards incompétents et ennuyés. Avec réticence Carlsen nous invita à passer le sas ce que nous firent la tête haute d'un exploit mensonger.

- Tâchez de ne pas en faire des caisses la prochaine fois, nous dit-il. C'est dangereux en dehors des abris.

- Promis, lui répondit Hector.

À travers l'attitude du capitaine, d'une douceur forcée, je ressentais tout son regret de ne pas pouvoir nous foutre aux fers. Ne pas rejoindre l'abri dans les délais impartis s'apparentait à un crime capital quand la survie de l'humanité résidait en la volonté de ses composantes de perdurer. Il me fallait cependant reconnaître qu'il nous faisait une fleur en ne nous interrogeant pas davantage sur cette prétendue fuite et si j'attribuais cela à sa flemme notoire, je ne voulais pas – pour une rare fois – foutre mon poing dans la belle gueule du capitaine au treillis arctique. En le dépassant, je lui lança un « Salut Carl » laconique auquel il ne répondit pas. Il se détourna en reniflant, ignorant ma subtile – et camouflée – remarque sur l'absence de son père, et revint à la partie de poker qu'il avait commencé avec ses hommes. « Bon continuons » proposa-t-il dans notre dos et les miliciens, se foutant totalement des dangers qui nous entouraient, reprirent où ils en étaient. J'étais toujours surpris par l'effet presque magique des murs plombés.

Nous les laissâmes derrière nous. Hector refréna des remontrances bienvenues à mon égard, lui avait saisi l'attaque pernicieuse que je venais de lancer contre notre shérif de pacotille qui n'aurait pas hésité à me rosser – pour la forme – s'il l'avait comprise. Mes douleurs se limitèrent par chance à ma cheville meurtrie qui commençait tout juste à se réveiller. Alors que je boitais dans la pénombre de l'imprimerie, je peinais à me situer dans l'espace restreint et seule la prise vigoureuse d'Hector sur mon bras m'empêchait de me blesser davantage. Je n'avais qu'une vague conscience des étagères poussiéreuses, transformées en lits de fortune, qui m'entouraient et lorsque mes yeux s'adaptèrent finalement, je remarqua d'abord la vieille Hilde, chouette-effraie fantomatique qui s'approchait de nous. La bonne mère de Carlsen nous accueillit avec un sourire, sa face lunaire apparut dans une raie de lumière et je me demanda depuis combien de temps elle marchait dans la mort.

Elle se débarrassa d'Hector et m'enlaça. Je me laissais faire par crainte de lui briser un os bien qu'en craignant autant pour moi.

- Pauvre Peter... Vous boitez ! s'écria-t-elle. Que le Héron vous garde !

- Ce n'est rien Hilde. Je vous promet que je serais en état de marche demain.

- Je prierais pour que cela soit le cas.

Qu'elle pria de tout son soûl était tout ce que je lui souhaitais, cinq litres de sang pour le Héron et toutes les conneries qui allaient avec si elle le voulait. Ma santé passerait au second plan, je ne pouvais être un poids mort dans ce camp. Elle m'accorda un regard maternel et j'oubliai un temps les vallées qui envahissaient son visage, précurseurs de la putréfaction à venir. Elle portait sa tenue sacerdotale – blouse blanche accompagnée d'un foulard rouge qui ceignait sa jambe gauche – et je pris soudain conscience qu'elle me filait la gerbe. Elle était plus morte que vivante et une imbécile mystique par-dessus le marché dont le seul mérite était de ne pas être une connasse patentée comme son illustre fils. Elle représentait le culte du Héron dans mon secteur. Je répète que je n'avais jamais été porté sur la religion et je dénigrais, comme je dénigre toujours, le soutien apporté par des dieux imaginaires. Les créatures qui erraient dans la forêt étaient réelles et ne pouvaient être stoppées par de futiles prières.

- Vous devriez prier pour que le Héron reviennent entier cette fois-ci, la repris-je.

- Oui-da ! C'est ce que je vais faire. Je l'ai entendu, il a déjà quitté le mausolée pour combattre l'engeance !

Je ne l'avais jamais entendu et ne l'entendrais jamais, mais la vieille Hilde prétendait volontiers que le Héron venait à elle et j'ignorais si elle avait conscience des conneries qu'elle débitait. La caboche de la vieille était abîmée et les informations lui venaient d'ailleurs, certainement de son fils même si j'ignore encore s'il était son informateur sur les pérégrinations du Héron.

- Grand bien nous en fasse !

Elle découvrit l'intégralité de sa dentition – en bien meilleur état que le restant de son corps. Ils reviendraient comme ils revenaient toujours et, pour ne pas changer, nous n'assisterons pas à un retour triomphant. Nous ne l'avions jamais fait et si je n'avais jamais vu un de ces humanoïdes drapé de noir, j'aurais douté de leur existence. Quand je repense à ma première rencontre avec le Héron, je suis encore effrayé. Il s'était pointé un dimanche matin et de son regard de rubis avait désigné un gamin. Les parents avaient paru ravis, moi je n'éprouvais que la douleur de la séparation mêlée à un indicible soulagement de ne pas avoir été choisi. J'étais trop vieux pour parvenir à cette distinction et ne la désirait nullement. Les élus disparaissaient dans les rangs du Héron et perdaient leur humanité. Je ne pouvais que comprendre pourquoi on les adulait, les sacrifiés à notre survie.

La vieille Hilde s'éloigna de moi pour allumer les cierges et commencer sa liturgie avec la dizaine d'illuminés du secteur qui psalmodieraient toute la nuit pendant que d'autres crèveraient à l'extérieur. Je me dis que cela me bercerait et avisai une couchette libre pour le peu de nuit qu'il me restait. Je rêvais de pouvoir trouver le sommeil, mais contrairement aux idiots qui chantaient, je ne pouvais m'empêcher de me souvenir qu'une vulgaire épaisseur de plomb et des soldats de merde étaient mes seules protections contre les créatures nocturnes. J'aurais tant aimé sombrer dans le sommeil et ne jamais en ressortir, tout aurait été différent.

Je ne me rends compte que maintenant que je ne me suis pas encore présenté. Mes parents m'ont appelé Peter, mon père se nommait Lars et parce que je suis issu d'une famille de la même tradition que celle de Carlsen, mon nom de famille est Larsen. J'ai connu le grand air, le bonheur d'une vie frugale et insouciante, mais la meute qui a déferlé dans mon îlot de tranquillité a tout pourri. Les gens du camp sont encore animés par l'espoir, mais personnellement je n'y crois plus. Mais... Voilà quatre lettres qui reviennent souvent... Je crois que c'est parce que le « mais » m'anime que j'écris ces lignes et que je recherche éperdument cette réalité perdue.

Previous Chapter
Next Chapter