Encapuchonné dans une cape sur laquelle trônait une majestueuse ramure, les cheveux chutant épars en se fondant dans l'obscurité, Jorik n'avait absolument rien d'un cerf.
Des sillons naissants ourlaient ses yeux sagaces. Il fixait Freyja, attendant patiemment sa réponse. Sous la lumière fantomatique de la lune, ses traits effilés lui donnaient l'aspect du renard paisiblement rusé.
Il décolla son doigt des lèvres de Freyja.
* Alors ? Tu viens ?
Elle hocha la tête dès l'instant où il prononça ces mots - la perspective de s'enfuir de la falaise faisait tambouriner son cœur. Jorik prit délicatement sa main pour y déposer quelque chose de rond, de mou, qui dégageait un puissant fumet. Il tira un autre exemplaire de sa poche, le colla contre son nez et pressa avec les doigts. Il renifla fort, ses yeux s'écarquillèrent et il secoua brutalement la tête.
* Si tu t'endors, murmura-t-il, reproduis ce que je viens de faire. Maintenant suis-moi sans faire de bruit. Ed a tendance à dormir sur une seule oreille.
L'absence d'odorat et les faibles picotements dans ses narines ne l'importaient guère, seule l'intrusion de Jorik stimulait sa curiosité. Il contourna le lit et jeta un œil à-travers la porte.
* Je vais sortir, dit-il en tournant la tête. Tu attends trois secondes, puis tu me suis.
La suite se déroula en une seconde, mais le temps sembla ralentir momentanément tant Freyja fut fascinée par l'action. Jorik enfonça la porte d'un grand coup de pied.
Une seconde.
Les pans de sa cape flottant dans son dos, il s'approcha de la rambarde, décrocha deux fruits ronds de sa ceinture et, dans une paire de Pschiit crachant des jets de fumée rose, les balança dans le salon. Il y eut quelques petits rebonds contre le parquet.
Deux secondes.
Jorik rejeta sa cape en arrière, posa une main sur la rambarde et sauta dans le vide.
Trois secondes.
Le temps retrouva son cours normal, Freyja se rua vers la rambarde.
Jorik était debout en bas, presque invisible, au cœur du brouillard rose. L'un des fruits était coincé dans l'angle du mur et de la cheminée, l'autre tournoyait frénétiquement sous l'ombre du plan de travail. Le salon, d'ordinaire sinistre et inhospitalier, était plongé dans une vapeur diaprée au fumet délicat qui rendait à la chaumière son éclat d'antan.
Jorik ouvrit discrètement la porte de la chambre d'Edmund pour y introduire un autre fruit cracheur. Le fruit rebondit doucement sur le parquet, mais aux oreilles de Freyja, le son des jets était assourdissant : à tous les coups Edmund allait se réveiller !
Il n'y eut aucun mouvement. Seul un ronflement grossier leur parvint à-travers la porte.
Jorik l'ouvrit à la volée et pénétra à l'intérieur. Freyja soubresauta - comme s'il avait ouvert une tombe pour en dépouiller le machabée. Pourtant elle s'empressa d'entrer.
Les sourcils relâchés, le front exempté de tout souci, le visage pelotonné au milieu de sa barbe soyeuse, Edmund ronflait aussi fort qu'un ours barbu hibernant tout un hiver. Il avait l'air tellement serein, tellement reposé, tellement inoffensif comparé aux jours précédents que Freyja eut chaud au cœur.
* Ce sont des grenades assoupissante, expliqua Jorik. C'est Ed qui les a créés en croisant deux espèces de plantes : la Horniga Curtica pour ses propriétés fumigènes et la Somnolicus Valere pour son redoutable narcotique. C'est extrêmement efficace.
Un parfum suave se répandit soudain dans le nez de Freyja. Ses jambes supportèrent de moins en moins son poids, ses bras tombèrent lourdement le long de ses hanches, son corps entier devenait de plus en plus léger. Sans comprendre pourquoi, elle avait le sentiment qu'elle se transformait en oiseau. Légère comme une plume, elle s'envolerait vers un palais somptueux aux prés verdoyants.
Freyja écrasa spontanément la petite noix molle entre ses doigts et l'inhala. Ses narines s'ouvrirent comme les pétales d'une rose, son cerveau enfla comme un ballon chargé d'hélium et ses oreilles se débouchèrent dans un pop similaire au décapsulage d'une bouteille d'hydromel. Ses sens se réactivèrent d'un coup. Elle se sentait plus éveillée que jamais.
* Fais attention, dit Jorik, la fumée peut coucher une vache en un rien de temps. Une fois pressées, ces petites boules relâchent un puissant gaz irritant qui te garde éveillé. La Noidrénaline, Ed l'a inventée.
Abasourdie par l'effet de la Noidrénaline, Freyja hocha la tête pour indiquer qu'elle comprenait.
* Il me donne toujours quelques exemplaires de ses inventions réussies... malheureusement il n'a pas prévu que je les retourne contre lui. Un vieil adage dit « Tandis que la création continue de traverser les âges jusqu'à se détourner de sa fonction d'origine, l'inventeur finit toujours dans l'oubli », tonna-t-il en quittant la chambre.
Freyja recouvra les jambes du sorcier avec une couverture et prit le soin de refermer la porte derrière-elle en sortant. Une fois dans le salon embrumée, elle surprit Jorik en train de décrocher le sceptre de son socle et l'accrocher à sa ceinture.
* Que fais-tu ?
Il laça ses énormes bottes de chasseur sur une chaise et répondit :
* Je l'emporte avec nous. On doit agir vite. Je ne sais pas exactement quand est-ce qu'Ed se réveillera - peut-être dans deux heures - mais, il faut s'assurer qu'il ne puisse pas te retrouver.
* Il possède vraiment un moyen de me surveiller ?
Jorik se dirigea vers le bureau d'Edmund sans prêter attention à ses mots. Il essayait de forcer l'entrée.
* Tu sais où se trouve la clef ? Il faut absolument qu'on entre. La solution se trouve là-dedans !
Freyja traversa le salon, récupéra la clef sous le paillasson et le donna à Jorik. La porte déverrouillée, ils entrèrent dans la mystérieuse pièce au sol agréablement mousseux et à la surnaturelle lumière bleue.
* Tes mains, Freyja. Vite ! Donne-les moi.
Frappée par l'atmosphère reposante, elle ne comprit pas tout de suite ses paroles. Le bureau soulageait ses picotements au nez tandis qu'une forte torpeur s'emparait d'elle, effaçant tous ses maux à mesure que le temps s'écoulait.
* Freyja !
Son nom lui fit tendre les bras. Trois runes apparurent sur ses bracelets.
* Où se trouve t-il ?
Ils étaient gravés là, sous ses yeux. Pourquoi ne les voyaient-ils donc pas ? Jorik retournait ses poignets dans tous les sens.
* Ce ne sont pas les runes que tu cherches ?
Jorik la dévisagea curieusement.
* Quelles runes ? C'est le traceur qu'Ed t'a apposé lorsque tu étais petite que je cherche à retirer. Il faut faire vite, son bureau efface les effets de la Noidrénaline !
La révélation lui fit un double choc. Premièrement, même si une part d'elle s'y était préparée, elle reçut un poignard dans le cœur lorsque son cerveau traita l'information - Edmund s'était vraiment assuré d'avoir un moyen de la suivre à la trace. Deuxièmement, comment se faisait-il que Jorik ne distinguait pas les runes gravées sur ses bracelets ? Elle n'était pas folle !
* Tu dois comprendre maintenant par quel moyen il t'a retrouvé le jour où tu es sortie de Lingard faire ta première petite excursion en forêt.
* Je suis déjà sortie hors de Lingard seule ? Impossible !
Jorik souffla d'un air exaspéré.
* Ed a dû s'assurer que tu oublies ton escapade pour te couper l'envie de recommencer. J'espère sincèrement que tes souvenirs referont surface.
Seule en dehors de Lingard… Freyja se serait souvenue d'une telle chose ! Elle s'efforça de trier ses souvenirs, mais à chaque fois qu'elle s'aventurait trop loin dans sa mémoire un fond blanc s'emparait de son esprit.
* Pourtant je devrais le voir à la lumière de ce candélabre, marmonnait Jorik, visiblement déconcerté de ne rien trouver sur ses poignets.
* Ce candélabre aux flammes bleues étranges ? dit Freyja en pointant l'objet du doigt.
* Oui ! Il est spécial et permet à Edmund de voir des choses que nous ne pouvons voir.
* Comment est-ce possible ?
* Tu as vu ses yeux ? La couleur violette n'est pas commune chez les Norriens. Ce genre de couleurs improbable est une marque qui différencie les Loaknirs des Hommes. Comme le traceur est une de ses créations, j'ai pu le voir moi aussi. Il ressemblait à une fine toile..
* … D'araignée ! S'écria Freyja, avant de courir vers l'armoire-bibliothèque. Je l'ai ! C'est bien cela ?
Freyja s'était rappelée avoir retiré nonchalamment ce qu'elle croyait être une toile d'araignée enroulée autour de son bracelet avant de prendre le grimoire sur les runes.
* Bien joué Freyja ! Je l'emporte aussi. Pour l'instant, il faut qu'il soit au courant de ta position et croit que je t'ai emmené.
* Non ! Je lui dirai que j'ai accepté de mon plein gré, que c'était ma décision !
Jorik posa ses deux mains sur les épaules de Freyja. Elle trouva ce geste vraiment réconfortant.
* Même si ta mémoire est altérée, tu me connais et tu as gardé confiance en moi après tant d'années. Je vais te sortir d'ici une bonne fois pour toute. Mais avant, il faut que tu m'aides à sauver Sykfried. Je te demanderais juste une chose : fais exactement ce que je te dis, c'est extrêmement important pour la suite.
Freyja avait des milliards d'autres questions à poser. Mais elle se retint de le faire car c'était sa seule occasion de se libérer définitivement du joug d'Edmund. Quelle que fut la méthode qu'Edmund eut employé pour laver son cerveau et effacer ses souvenirs d'enfance, le prénom rescapé de Jorik ainsi que la chaleur étrange qui accompagnait ce simple mot avait égayé son cœur pendant toutes ses années. Elle avait pleinement confiance en lui. Alors, avant d'accepter, Freyja lui partagea un regard profondément rempli d'espoir.
Tous les deux remontèrent en haut de la mezzanine après avoir remis la clef du bureau à sa place. Freyja était encore revêtue de sa robe de nuit rapiécée lorsque Jorik s'immobilisa devant sa chambre.
* Habille-toi, fit-il remarquer, la nuit n'épargne pas les imprudents. Emporte aussi une cape avec toi. Il est préférable de ne pas se faire remarquer.
Freyja s'exécuta au plus vite, gênée par le fait d'être vue dans une tenue aussi laide. Elle émergea d'un cafouillis de vêtements après s'être déniché une salopette et fourra sa plaquette dorée dans une poche au cas où elle ne reviendrait jamais. Son regard se porta une dernière fois sur son ami Régis qu'elle ne reverrait peut-être plus, puis elle ouvrit la porte. Jorik l'attendait adossé au mur.
* Tu as terminé ? Alors partons !
Freyja se dirigea vers l'escalier alors qu'il disparaissait dans sa chambre. Elle s'arrêta à mi-chemin. La tête de Jorik réapparut par le cadre.
* Où vas-tu ? Demanda-t-il, les yeux ronds.
* À l'entrée, tu m'as dit que nous sortions ! Répliqua Freyja.
* Pas par la falaise ! Le poussin sur la clôture nous verrait passer, puis le signalerai au coq-alarme qui se déclenchera et réveillera Edmund ! C'est la seule chose dans ce monde, à part la Noidrénaline, qui pourrait réveiller une souche.
Complètement ahurie, Freyja remonta dans la chambre. Jorik était en train de resserrer sa ceinture et de vérifier les sangles de chacun des objets qui étaient attachés, y compris le sceptre. Une question trottait sur le bout de sa langue :
* À chaque fois qu'Edmund rentre à la falaise, le coq ne chante pas. Pourquoi ?
* Tu penses vraiment qu'Ed va te prévenir de l'heure à laquelle il rentre ? Répondit Jorik d'un air moqueur.
Le petit oeuf-espion pour épier les visiteurs et le coq pour les annoncer : Edmund avait fait fort en matière de sécurité. Donc à la seconde où elle sortirait, Edmund serait immédiatement au courant même s'il s'enfermait dans son bureau. Mais pourquoi le coq s'était mis à chanter à son retour mais pas à l'aller ?
* Le sceptre ! Si on le porte, le coq ne chante pas !
* En es-tu certaine ?
Freyja se remua les méninges. Elle ne souvint pas avoir entendu le coq plusieurs fois la nuit où Audroma était venue. L'alarme avait sonné une seule fois et c'était lorsque la mère de Sykfried avait franchi le portail. Edmund était déjà à la chaumière à ce moment-là, après être rentré en possession du sceptre. De plus, lorsque le garçon aux cheveux rouges était venu le chercher plus tôt dans la journée, le coq s'était activé parce qu'il l'avait oublié dans son bureau.
Tout concordait, le sceptre était la clef pour sortir sans déclencher l'alarme. Freyja se demandait si Edmund cachait d'autres secrets. La réponse était désormais évidente.
* J'en ai la certitude. Par où sort-on alors ?
Jorik sortit sur le balcon.
* Par le lac bien-sûr !
* Où ?
Freyja se remémora la façon dont il était apparu sur le balcon. Jorik tira une corde cachée derrière le garde-fou et la mousquetonna à sa ceinture.
* D'après Ed, tu aimes toujours escalader plein de rochers, dit-il en enroulant la corde autour d'une balustre. Alors la descente devrait te plaire, approche.
En le rejoignant sur le balcon, une bourrasque la fit vaciller. Par chance, elle s'était rattrapée à la balustrade ; par malheur, elle avait évalué la distance qui les séparait du lac et comprit immédiatement comment ils allaient quitter la falaise.
Sous un vent violent, ils s'attachèrent ensemble à la corde épaisse et usagée qui avait servi pour la grimpe. Des gouttes de transpiration parsemaient le visage de Jorik qui s'affairait à garantir leur sécurité en élaborant des nœuds complexes et solides. Le simple fait d'imaginer la chute qui l'attendait lui provoquait des sueurs froides et la faisait suer à grosses gouttes comme un bonhomme de neige sous un soleil d'été.
* Allons-y ! S'exclama-t-il après les avoir correctement saucissonnés.
Freyja fit non de la tête... mais c'était trop tard.
Jorik s'était lancé dans le vide et, puisqu'elle était attachée à lui, elle fut entraînée dans sa chute.
Tranchée par des lames de vent claquant comme un fouet dans la nuit, Freyja poussa un hurlement strident tandis qu'ils tourbillonnaient le long de la corde, se déroulant à la manière d'une émigrette. Tout tournait à folle allure autour de Freyja, si vite qu'elle ne faisait plus aucune distinction entre lac, falaise, ciel et lune.
La corde s'arrêta d'un coup sec et ils restèrent dangereusement suspendus dans les airs, pris de tournis, à une quinzaine de mètres de la surface du lac, pendouillant comme des asticots au bout d'une ligne. Freyja avait l'estomac complètement retourné. Un coup de vent les projeta vers le flanc de la falaise. Jorik saisit une dégaine fixée sur la paroi et mousquetonna la corde pour les sécuriser d'un nouveau caprice du vent. Il sortit habilement un long couteau et trancha la corde qui les unissaient.
* Il faut continuer à la force des bras ! cria Jorik, la voix balayée par le vent.
Il entama la descente en premier. Partiellement remise de la chute, Freyja fit preuve de discernement en se concentrant sur l'action en cours. Il était difficile de garder les yeux ouverts tout en conservant son équilibre face aux ondulations du vent. La paroi était frigide et n'offrait que peu d'interstices. Les meilleures prises étaient les plus traîtresses, car elles glissaient comme du savon.
Après un moment interminable, Freyja retrouva Jorik, déjà confortablement installé dans une barque. Poussés par le vent, ils glissèrent silencieusement sur le lac au clair de lune. Emmitouflée dans sa cape, Freyja regardait la chaumière dressée solitairement au sommet de la falaise. Au milieu de la nuit, sous l'astre pâle, la paroi suturée par les cordes et les dégaines abandonnées, la chaumière ressemblait plus que jamais à une prison.
Il accostèrent sur une crique déserte (celle-là même où Freyja avait vu deux silhouettes) tirèrent l'embarcation sur le sol terreux et s'engagèrent dans la nuit. Ils suivirent un sentier cabossé qui remontait entre deux plans de falaise avant de s'aplanir en longeant un bosquet de hêtres.
Jorik marchait en tête d'un pas souple et rapide. Plus grand qu'Edmund, il distançait Freyja bien qu'elle le suivait au même rythme. La ramure qui se balançait dans son dos lui donnait une allure imposante.
Au loin Freyja vit une flamme danser et virevolter dans les airs. Plus ils s'approchaient, plus ils entendaient les crépitements d'une flamme géante qui se consumait dans une torchère installée au sommet du mirador pour éclairer les alentours. Devant la porte Est de Lingard, le chemin principal continuait tout droit le long de l'enceinte tandis qu'un second sentier s'enfonçait dans les bois pour déboucher sur la falaise.
* Qui va là ? Cria un garde du sommet de la tour de guet.
Jorik répondit d'une voix forte :
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* Ouvre les portes et apporte moi une torche !
La parole du Jarl était figure d'autorité. Les cliquetis d'une chaîne se firent entendre et les deux battants s'écartèrent, laissant apparaître un gringalet coiffé d'un casque de fer. Il portait un flambeau et, à ses côtés, broutait un magnifique étalon à la robe alezane. Le gringalet apporta la torche, intimidé, et Jorik le remercia chaleureusement d'une tape sur l'épaule.
* Approche, Pierceval.
Le cheval trotta dans leur direction. Il lécha Jorik et exprima sa joie en poussant un hennissement aigü. Il caressa vivement le corps musculeux de l'animal en invitant Freyja à en faire de même. Puis, il accrocha le sceptre sur la selle en jetant des regards méfiants de chaque côté.
* Sur la Grand route, galope aussi loin que tu pourras en direction du château de Gud, murmura Jorik aux oreilles de Pierceval.
L'étalon cabra férocement en poussant un hennissement et s'élança sur la route comme une flèche.
Une fois disparu dans les ténèbres, le duo reprit la marche. Freyja accéléra le pas pour se mettre à sa hauteur. Une forte odeur de bête et de bois lui fouetta le nez. Jorik sentait le musc. Une odeur pénétrante et sacrément virile.
* Où as-tu envoyé le sceptre ?
* Je réserve une petite surprise à ce cher Ed, répondit Jorik en lui adressant un clin d'œil.
Ils remontaient silencieusement le chemin qui menait à la ville. En traversant les champs, ils furent aux premières loges d'un orchestre de grésillements produits par les insectes peuplant la cambrousse. Comme des centaines d’yeux de félins dans l'obscurité, les premières lumières de la ville apparurent sur l'horizon étincelant. Des dizaines de lampions enguirlandaient les maisons de ferme, assortiment de boules lumineuses assaillies par les papillons de nuit sur lequel Jorik embrasa sa torche.
* Nous devions rester discrets, rappela Freyja.
* Grâce à la torche les gardes reconnaîtront ma tenue et ne s'approcheront pas de nous tant qu'ils auront conscience de ma présence. Celui qui se montre le jour ne saurait être soupçonné la nuit, retiens bien cela.
Jorik avait raison : hormis les quelques gardes en pleine ronde, la ville était déserte. Seuls les ronflements anonymes des habitants, s'échappant des mortes cheminées, animaient parfois les rues. Les stands pliés et les étals rangés, la grande place était entièrement dégagée. L'estrade centrale était discernable ; merveille lugubre attendant son heure de gloire.
Ils prirent plein nord, coupant dans une magnifique allée fleurie par de hautes haies qui quadrillaient une succession de longues maisons en chêne ouvragé. Chaque façade, purement triangulaire, était surmontée d'un pignon zoomorphe.
Ils s'arrêtèrent devant le pignon sculpté en forme de cygne. Jorik fixa la torche dans un support vacant en bas du palier. Au moment où il gravit les marches pour atteindre la porte de la longère, Freyja l'interpella :
* Pourquoi n'es-tu pas venu me chercher plus tôt ?
Capuche baissée, la lueur du feu dévoila sur son cou le tatouage d’un marteau.
* Edmund avait ses raisons pour vouloir te préserver de notre monde. Même si je n'approuvais pas ses méthodes, j'ai accepté qu'il t'élève à l'écart des autres. À tes dix-huit hivers, il avait promis de te laisser prendre tes propres décisions, mais j'ai été idiot de croire qu'il puisse un jour se séparer de toi - toi le sujet même de toutes ses recherches.
* Que cherche-t-il à obtenir de moi ? Hurla Freyja sans le vouloir.
* Il est le seul à savoir. J'ai accepté qu'il t'enferme sur la falaise en pensant que c'était le bon choix. Mais j'avais tort et maintenant je le regrette. Pour me racheter il me fallait un moyen efficace de te faire sortir (il tapota d'une main le lot de bombes assoupissantes sanglées à sa ceinture). J'ai dû préparer mon plan avec soin et cela m'a pris un an. Hier, Audroma est venue solliciter mon aide, j'ai profité de l'occasion pour faire quelques repérages - un bon chasseur doit toujours savoir combien de munitions il doit apporter quand il s'aventure en forêt - et Ed se serait méfié si je m'étais présenté dans d'autres circonstances. Je sais que tu as beaucoup de questions à me poser, mais le temps presse et d'un moment à l'autre Ed se réveillera.
Freyja acquiesça, la vie d'un homme était en jeu. Il fallait l'aider. Passé le seuil, ils débouchèrent sur un couloir étroit. Les larges épaules de Jorik associées aux bois de cerf qui pendaient dans son dos obligeaient Freyja à se ratatiner contre le mur. Aussi court qu'un bec de moineau, ce goulot donnait sur un grand salon rectangulaire aux murs chargés de portes vernissées.
Près d'une imposante cheminée, une femme ensevelie sous une dizaine de manteau de fourrures s'affairait à alimenter le foyer. Lorsqu'elle aperçut Jorik, elle se leva en rejetant la montagne d'épaisses fourrures d'une force prodigieuse.
* La fille accepte ? dit Audroma, le visage épuisé.
Jorik confirma l'accord de Freyja.
* C'est bon, où se trouve-t-il ?
* Ô grands dieux ! Quelle brave fille ! Venez vite, il est dans un terrible état.
Elle les conduisit dans la chambre près de l'entrée.
* Le voici, montra Audroma, une main serrée contre le cœur.
Son fils était étalé sur un lit au centre d'une pièce qui devait servir de chambre à l'origine. La pièce avait été aménagé comme lieu de repos qui comprenait un petit feu crépitant dans une cheminée, des tables basses grouillants de mouchoirs, des étagères chargés de remèdes en bouteilles, des seaux traînant sur le sol et, dans un coin, une bassine pleine d'eau croupi. Les murs joliment peints en gris accentuaient le climat maladif et incertain qui régnait autour de l'avenir de Sykfried.
* Elle est arrivée, Sikfrichounet, dit Audroma, les yeux humides, déjà agenouillée pour lui caresser les cheveux.
Il leva faiblement le bras et Audroma vit-là un premier signe de guérison jusqu'à ce qu'il la repousse mollement avant de laisser retomber son membre dans un dernier spasme. Désemparée, elle éclata en sanglots.
* Ne t'inquiète pas, rassura Jorik en la prenant par les bras, tout ira mieux maintenant. Laissons Freyja seule avec lui.
* Mais je n'y connais rien moi !
* Je sais que tu trouveras une solution. Essaie de lui parler pour qu'il accepte de se faire soigner.
La porte se referma et elle fut une nouvelle fois abandonnée entre quatre murs.
Presque nu, Sykfried était bordé de petites couettes, soigneusement placées par la main prévoyante d'une mère. Freyja se demandait quel sentiment cela faisait d'avoir un parent aussi attentionné.
Freyja eut un violent haut le cœur. Le corps de Sykfried était recouvert de plaques rougeoyantes, immenses éclats de chair ouverts à vif qui le rendaient méconnaissables. Des cloques enflammées tapissaient son front ; ses joues avaient disparu, laissant entrevoir ses gencives sous des morceaux effilés de peau noirâtres... sans oublier les fluides à l'aspect laiteux qui s'échappaient de ses plaies comme la sève coulante d'un arbre écorché.
Si elle était guérisseuse et qu'on lui avait demandé au premier coup d'œil s'il allait s'en sortir, Freyja aurait répondu par la négative avant de prendre ses jambes à son cou pour fuir toute responsabilité.
Des râles éthérés s'échappaient de sa bouche pour affirmer sa présence tandis que sa poitrine s'élevait puis s'affaissait dans le rythme périodique et saccadé d'un organisme qui luttait contre la mort. Freyja se souvint alors des paroles d'Edmund qui préconisait à Audroma d'éponger les brûlures.
Elle ramassa un morceau de chiffon qui traînait par là, le trempa dans la bassine et épongea le visage en priorité. Il gémit, serra les dents en se tortillant de douleur, enfonça ses ongles dans les draps jusqu'à ce qu'il ne puisse plus se contenir... alors, il poussa d'effroyables hurlements.
La porte s'ouvrit à la volée, Jorik et Audroma rappliquèrent dans la pièce, alertés par les cris. Audroma s'effondra dans les bras de Jorik lorsqu'elle vit la chair de son fils frétiller comme la fournaise au contact de l'eau. Il fut obligé de la porter jusqu'au salon. À chaque tamponnage Freyja avait l'insoutenable impression de torturer Sykfried sur son lit de mort.
Après avoir apaisé les brûlures, Freyja récupéra des petites bougies qui traînaient à côté d'une pile de mouchoirs usagés, les alluma et les disposa sur la table de chevet dans un alignement confus. Ensuite, elle marmonna quelques mots au seul trio de dieux qu'elle connaissait, sollicitant leur grâce envers le pauvre Sykfried.
La chambre était redevenue calme, Sykfried dormait. La porte s'ouvrit, une odeur de musc envahit la pièce.
* Audroma va bien ?
* Oui, répondit Jorik en contournant le lit pour s'approcher d'elle. J'ai réussi à l'envoyer se reposer dans une chambre en espérant qu'elle puisse trouver le sommeil.
Il examina Sykfried un court instant, puis chuchota :
* Il me le faut sur pied dans sept jours, c'est possible ?
Freyja secoua la tête, dépitée de ne rien pouvoir faire.
* Il lui faudrait un mois, marmonna Jorik, j'en étais sûr...
Elle croisa son regard, trop brillant pour exprimer une réelle affliction envers la situation. Il s'y attendait. Il s'était toujours attendu à ce que Sykfried ne puisse se remettre à temps. Et derrière ses yeux de renard, Freyja perçut l'existence d'un plan.
Jorik la prit par les épaules pour lui annoncer cette ultime solution...
BAM !
La porte éclata contre le mur ! Les vibrations ébranlèrent l'ensemble de la pièce : Edmund fit irruption dans la chambre, torche à la main, sa robe de nuit déchirée, la barbe haletante.
Tel un ours maléfique, dans ses yeux se consumaient une fureur noire. Freyja eut un mouvement de recul. Jorik s'interposa.
* Galeux ! Traître ! Comment as-tu osé ?!
* Je t'avais prévenu, chuchota Jorik, pour éviter de rompre le repos de Sykfried.
Malheureusement, Sykfried gémissait, la douleur reprenant le dessus. Freyja avait cru qu'il s'était endormi de soulagement, mais en réalité il avait perdu connaissance. Elle s'agenouilla à ses côtés pour caresser ses cheveux et tenta de le rassurer.
* Une mère a besoin d'aide et une vie est en jeu ! Bon sang, Ed !
Il n'y a pas que ça en jeu, se dit-Freyja en se rappelant qu'il avait autre chose derrière la tête.
Edmund fit un pas en avant, Jorik également. Ils s'entre dévoraient du regard. C'était le Sorcier contre le Jarl, l'Ours face au Renard.
* Freyja tu rentres à la chaumière, tout de suite ! Et je fermerais peut-être les yeux sur ton comportement, grogna Edmund.
Si elle l'écoutait, la clôture deviendrait une muraille de pierre haute et infranchissable, les perdrix voletant autour des massifs rocheux seraient remplacés par des sentinelles et la porte de la chaumière s'ouvrirait chaque matin sur un abîme glacial où l'attendrait Edmund, son bourreau, une immense aiguille à la main.
« Plus jamais ! », rugit-elle intérieurement en se rappelant sa promesse. Le mur des excuses se brisa sous le poids de la colère, l'espoir se rallia à la détermination et le clairon de la révolte sonna la charge dans son cœur.
* J'en ai assez d'être enfermée ! S'exprima Freyja en se redressant les poings serrés. Ma volonté est d'aider les autres ! Je reste ici !
Jorik sourit, Edmund vira au rouge. Sykfried frappa des poings sur le matelas et Freyja se remit à lui caresser les cheveux, le cœur battant à tout rompre. La discussion était close, elle ne reviendrait pas sur sa décision. Elle l'avait fait !
* Tu crois que tu vas t'en tirer ainsi ? Vociféra Edmund, la barbe s'entremêlant entre les dents. Dans ce cas, je te traînerai de force ! Mon sceptre ! Où est-il ? Qu'as-tu fais de mon sceptre, Jorik ?!
* Ah, Ah ! fit Jorik en ne se retenant plus de chuchoter. Ma partie préférée : le sceptre !
Une aura dévastatrice émanait d'Edmund. Son visage était rongé par la haine, ses lèvres arquées formaient un rictus terrifiant et pour couronner le tout, le bout de sa barbe se consumait dans les flammes de la torche dont il avait momentanément oublié l'existence. On pouvait le confondre avec un ours affamé crachant le feu.
* Où le caches-tu ?
Jorik se délectait de ses moindres réactions.
* Pierceval galope en ce moment même sur la Grand-route, fonçant droit sur la châtellerie de Gud, là où tu devrais te trouver en ce moment, Ed. Là où le Skult Malvakt t'attend.
À l'écoute de ces mots, Freyja aurait juré voir un frisson parcourir Edmund. Le vieil ours, jusqu'à lors agressif, se mit à reculer lentement vers la porte, le regard effacé, les bras tremblants, en pointant un doigt fébrile sur Jorik comme si un fantôme s'était logé en lui.
* T-Toi, mon ami... Tu t'es joué de moi ! Pauvre fou, tu joues avec des forces qui ne sont pas à ta portée !
* Tu n'a pas tenu ta parole, Ed, rappela gentiment Jorik toujours souriant. Tu me connais depuis longtemps et tu as été prévenu. Tu sais que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour préserver le calme qui règne à Lingard et le bien être de ses habitants – y compris Freyja.
Edmund ne l'écoutait plus. Ses pensées étaient tournées ailleurs, vers un songe épouvantable que lui seul pouvait voir. Mais une chose le ramena sur terre.
* Quant à toi fillette, tu finis ce que tu as à faire ici et tu rentre ! Je veux te retrouver bien sagement assise à la maison à mon retour. N'oublie pas que où que tu te caches, je saurais te retrouver.
Edmund disparut par le cadre de la porte. Ses pas lourds et tempétueux s'évanouirent rapidement dans la nuit.
Les paroles qu'il avait prononcées flottaient encore dans l'air, comme tracées par une vapeur toxique programmée pour faire succomber Freyja lorsqu'elle franchirait la porte. Jorik, tout à fait dégourdi, tira le fil d'araignée qu'il gardait dans sa poche et l'agita en l'air dans une parfaite imitation d'Edmund :
* Je saurais te retrouver, bla, bla, bla.
Les jambes de Freyja grelottaient encore lorsqu'ils rejoignirent le salon, guettant le moindre bruit pouvant trahir le retour d'Edmund et prêts à bondir comme une biche lorsque celui-ci ouvrirait la porte pour venir la chercher. Dans ce cas de figure, elle ne comptait pas s'enfuir. Elle l'affronterait droit dans les yeux et s'il l'emporte, elle trouverait un moyen de sortir de la falaise quitte à sauter dans le lac du haut de son balcon.
Rien de tout cela n’arriva. Le feu brûlait dans l'âtre, éclairant abondamment la pièce d'une atmosphère d'attente, douce et reposante.
Jorik informait Audroma de l'état actuel de son fils. Il lui avait conseillé de prendre l'air. La vague de fatigue qui accompagnait souvent l'impression de soulagement ressenti à l'issue d'un effort considérable s'empara d'elle. Cela la rassurait.
Elle se dirigeait vers la porte, les yeux rivés sur ses jambes pour rectifier son équilibre, lorsqu'elle heurta quelque chose.
* Regarde où tu laisses traîner tes pieds ! Rouscailla une voix grinçante.
Ce quelque chose se révéla être un jeune homme à la chevelure roux cuivré, coupés courts et plaqués sur le côté comme si un bœuf lui avait passé un coup de langue.
* C'est toi ! S'exclama Freyja.
Le jeune homme réajusta sa veste à pourpoint pourpre d'une main bandée et hocha la tête d'un air dédaigneux.
* Devrais-je te connaître ?
Freyja venait de se méprendre. Elle l'avait vue secrètement quand il était venu prévenir Edmund pour l'incendie - pas lui.
* Je... non, tu ne me connais pas, balbutia-t-elle en appuyant une main contre le mur. Je t'ai vue juste une fois de loin..
* ENLÈVE TES SALES PATTES DE MA MAISON !
* Sales pattes ? fit Freyja, le cerveau épuisé par tous les récents évènements.
* Tu entends bien - c'est déjà ça, ricana-t-il.
Le torrent de colère qu'elle avait difficilement réprimé dans un coin après le départ d'Edmund cherchait un moyen de s'échapper, de se déverser. Elle rassembla ses dernières forces pour ne pas répondre à la provocation.
* Un souci, les jeunes ? Tonna Jorik, en faisant irruption dans le dos de Freyja.
* Non, non, rien, dit le garçon, le teint virant soudain au violet.
Freyja remarqua son changement de comportement.
* Il y a effectivement un problème, déclara-t-elle sèchement, mais je vais le régler. J'attends des excuses de sa part.
Ils échangèrent un regard noir. Jorik comprit la situation.
* Voyons, ce doit être un petit malentendu..
Ils ne l'écoutaient plus.
* Une bonne à rien de femme n'a pas à souiller ma maison ! lâcha le garçon d'une voix grinçante.
Les jambes de Freyja faiblirent, elle s'accrocha de justesse au mur. Comme une plaie mal refermée, un souvenir déchirant surgit dans sa mémoire.
L'éclat d'une fiole brisée... le grondement du toit qui tremblait... ses pieds d'enfants s'entremêlant dans sa robe... le coeur hors de la poitrine, les larmes aux yeux, les doigts enfoncés dans ses oreilles tandis qu'elle courait se réfugier dans sa chambre... Elle l'entendait encore distinctement - encore et encore malgré toutes ces années - la terrible colère d'Edmund qui brandissait son sceptre et lui hurlait :
« Maladroite ! Inutile ! Bonne à rien ! Tu as tout gâché ! »
La plaie se referma au moment où elle fut immobilisée dans l'escalier par une force inconnue, moment où il agita son sceptre et que, sifflant dans l'air, des lames d'eau vinrent lui lacérer le dos, l'arrachant un cri perçant, sauvage, étranger à celui d'un enfant. C'était sa plus sévère punition.
Elle qui voulait juste l'aider, elle qui voulait juste... l'impressionner.
Elle sentit une main solide et chaude se poser sur son épaule. Jorik compatissait.
* Tu as compris qu'il valait mieux te taire, ricana le garçon.
Freyja se sentait blessée. Elle ne supportait pas ses mots, son sourire narquois, sa voix grinçante qui lui fendait les oreilles.
* Ton attitude me déçoit, Harjün, dit sévèrement Jorik. Il faut croire que la galanterie ne te réussit pas. Sache que j'attends mieux de la part d'un participant de l'élévation.
Freyja releva la tête comme une flèche. Le teint violet, Harjün baissa les yeux. Combiné avec sa chevelure rouge, il ressemblait à un radis – Freyja avait horreur des radis.
* Ce n'est qu'une vulgaire femme. Même si tu es Jarl, tu ne peux m'interdire de m'adresser à elle selon mes désirs.
Le Jarl colla son nez pile en face du sien.
* Tu n'es pas encore un homme, dit-il, à voix basse. À l'heure qu'il est tu devrais être dans ton lit, garçon. Que dirait ta mère si elle apprenait que tu ne respectes pas nos lois ?
Harjün cracha sur le sol.
Le regard noir, il dépassa Jorik, les poings serrés et claqua la porte dans son dos. Dans les secondes qui suivirent, un fracas de chaises en provenance du salon s'échappa par la fenêtre.
Le ciel avait revêtu sa robe étoilée tandis que la lune souriante resplendissait dans le ciel. Le vent tombé, la ville entière sommeillait profondément.
* Pourquoi se comporte-t-il ainsi ? Demanda Freyja.
Jorik sortit une ourse de sa cape. Du lait de chèvre. Freyja le reconnut à l'odeur et refusa d'en boire lorsqu'il lui proposa. Le Jarl avala une gorgée avant de se racler la gorge.
* Beaucoup de femmes se seraient excusées et auraient courbé l'échine. La plupart n'auraient jamais eu le courage de sauter du haut d'une falaise. Depuis l'enfance tu n'as jamais eu froid aux yeux, ajouta Jorik avec un sourire. Malheureusement le courage d'une femme est très mal perçu dans notre société.
Freyja avala délibérément une gorgée de salive pour ouvrir grand ses oreilles. La lune éclaira le visage effilé de Jorik, l'homme qu'elle avait toujours admiré dans toute sa splendeur.
* Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Tu sais autant que moi que Sykfried ne se rétablira jamais à temps. Que dirais-tu de prendre sa place et participer à l'élévation ?