Erol avait déjà atteint les marches de pierre inégales de l’escalier menant à l’Université. Il y flânait habituellement les étudiants à l’ombre des saules, mais, ce jour-là, il ne vit pas âme qui vive.
Toujours sur le quai, Octave titubait. Son front était perlé de sueur. Il s’effondra presque sur la jeune femme et Erol fut surpris de découvrir que cette dernière possédait suffisamment de force pour le soutenir.
« Tout va bien, Octave ? » demanda Erol inquiet, la blessure au dos de son étudiant de nouveau en mémoire.
Il le vit discuter furtivement avec Suzanne avant que celui-ci ne lui fasse un signe rassurant de la main. Sans plus attendre, l’archéologue commença l’ascension des escaliers quand résonna une nouvelle explosion derrière les arbres. À en juger par l’écho, celle-ci devait provenir des dortoirs situés à la base de l’ancienne épave.
C’est à mi-chemin qu’apparurent les premières traces de lutte. Des livres abîmés jonchaient le sol et des taches de sang menaient aux portes de fer ajoutées à l’antique bâtiment de guerre. Celles-ci étaient inhabituellement entrouvertes.
Suzanne et Octave le rejoignirent alors qu’il était déjà à l’intérieur. Erol jeta ensuite plusieurs regards inquiets à la jeune femme. La situation était plus dangereuse que prévu.
Que s’était-il donc passé ici dans les dernières vingt-quatre heures ? pensa-t-il en caressant sa lame du bout des doigts. La cité de Renaissance n’avait pas l’air d’avoir subi d’attaque !
Une fois les portes franchies, Erol et ses deux compagnons sur les talons débouchèrent dans un lumineux couloir de verre et de bois. Un nombre incalculable de miroirs recouvrait les galeries. Cette organisation ingénieuse avait pour objectif de faire pénétrer des halos solaires au plus profond de l’édifice. De ce fait, les érudits et leurs étudiants pouvaient se passer au maximum des dangereuses bougies ou des équipements électriques gourmands en énergie.
L’archéologue avançait désormais à pas soutenu et atteint en quelques minutes la grande bibliothèque de l’Université. Le repère d’Octave avait été construit à la place de l’ancienne salle des machines. Son immense dôme de verre, remplaçant les grilles de ventilation, abritait un curieux mélange de jardins et d’étagères poussiéreuses.
Quand il avait pénétré pour la première fois au sein de cette cathédrale du savoir sauvé de l’anéantissement au fil des siècles, il avait surtout été surpris de ne plus fouler un sol en pierre polie, mais une ravissante pelouse d’un vert éclatant.
Se retournant vers Suzanne, Erol s’aperçut que ce sentiment était partagé. Son sourire disparut cependant quand il percuta une vieille dame au dos tordu.
« Puis-je vous aider ? croassa cette dernière d’une voix grinçante.
— Que se passe-t-il ? » demanda alors Erol en sursautant, avant de reconnaître la bibliothécaire.
Des mains fatiguées ajustèrent sur son nez plat une improbable paire de binocles rouge vif. Les verres, aussi épais que la base d’un vitrail millénaire, reflétaient les rayons du soleil avec la même puissance que les miroirs recouvrant les murs.
« Mon garçon ! Vous, à l’archéologie, vous avez vraiment des dynasties de retard ! Ce qui expliquerait beaucoup de choses d’ailleurs… commença-t-elle avant de se perdre dans ses propres pensées.
— Qu’est-ce qui se passe ici ? » insista Suzanne face à l’esprit évasif de la vieille dame.
Elle partageait aussi son inquiétude.
La bibliothécaire jeta des regards furtifs entre les rangées d’étagères. Il n’y avait personne. Pourtant, elle les attira à l’écart, derrière les pupitres en bois d’une salle de lecture encombrée de livres à la reliure de cuir et de tablettes de décodage informatiques.
« Marian ! chuchota-t-elle. Ils sont venus arrêter Maître Marian ! »
Puis elle agrippa Erol par son écharpe.
« Il ne faut pas que vous traîniez par ici, ils mettent tout à sac !
— Mais qui donc ? » s’impatientait Erol.
Quand la bibliothécaire relâcha enfin son étreinte, elle jeta de nouveau plusieurs coups d’œil par-dessus son épaule. Elle reprit ensuite, toujours à voix basse :
« L’inquisition. Elle est là depuis hier soir ! »
Erol sentit son estomac se nouer.
« Personne ne vous a donc prévenu ? poursuivit-elle. La Fondation ne sait encore rien de tout cela ? »
Il fulmina.
« La chasse à l’Ancien Âge a finalement atteint l’Université.
— C’est une catastrophe ! » enchérit Octave entre deux quintes de toux.
L’archéologue s’aperçut que son élève était de plus en plus mal en point. Suzanne, elle, semblait avoir compris que l’heure était grave.
« Qu’ont-ils fait de Marian ? Et des autres ? » demanda Erol en criant presque.
La bibliothécaire le rassura cependant. Marian avait pu fuir à temps de l’Université. Les différents érudits et étudiants avaient néanmoins été arrêtés. Ils étaient retenus quelque part sur le campus.
« Et vous, que faites-vous encore ici ?
— Ils ont besoin de moi pour archiver ce qu’ils emportent dans leur bastion à l’Ouest. Je pensais que l’Inquisition avait pour habitude de tout brûler ! Je ne comprends pas… » pleura la pauvre femme.
Erol, lui, commençait à agencer les pièces du puzzle. L’Inquisition ne poursuivait pas ici sa chasse vengeresse. Elle était bel et bien venue piller l’Université à l’aide des sections spéciales dont parlait le Père Flumine.
Il n’en croyait cependant pas ses oreilles. Ils avaient bravé mille dangers pour se mettre en sécurité près de la Fondation pour finalement se jeter dans la gueule du loup.
« Vous êtes peut-être le dernier archéologue encore en liberté Erol », reprit la vieille dame.
Elle essuyait ses larmes avec un mouchoir trouvé sur un bureau.
« Votre soif du terrain et votre dédain pour notre ravissante bibliothèque vous ont, après tout, rendu grâce.
— Erol ? » intervint Suzanne.
Elle était à genou près d’Octave. Accoudé à l’une des tables de lecture, son disciple semblait très mal en point.
« Sa blessure au dos… grommela Erol inquiet.
— Je m’occupe du jeune garçon, s’interposa leur interlocutrice. Quittez les lieux par le Jardin des Curiosités Végétales. Ces brutes sont trop préoccupées à fouiller la réserve et les terminaux sécurisés.
— Je me refuse à vous faire courir un tel risque !
— Mes livres ne vous ont pas été utiles, alors laissez ma vieille carcasse l’être au moins une fois dans votre vie, plaisanta-t-elle.
— Il faut que quelqu’un prévienne votre Fondation ou une quelconque force de police, Erol, argumenta Suzanne qui surveillait maintenant la bibliothèque par les murs vitrés de la salle.
— Rejoignez la porte sud du clos, près de la parcelle aux Mange-doigts. Présentement ! »
Déjà, elle se débarrassait de la sacoche de son élève ainsi que des autres indices pouvant trahir son affiliation aux érudits.
La remerciant une dernière fois, Erol et Suzanne prirent la direction de l’aile sud de l’ancienne forteresse afin de rallier le dangereux Jardin des Curiosités. Ils traversèrent à grandes enjambées le département de biologie puis les serres de la division botanique et atteignirent enfin la terrasse de la cafétéria.
Plus puissants qu’à leur habitude, les rayons du soleil l’aveuglèrent. Suzanne avait aussi dû manquer de se brûler les rétines. Tous deux ne voyaient plus.
On lui étreignit le bras. Mais la poigne d’acier appartenait à un homme. Les figures sombres retrouvèrent leurs couleurs originales alors que ses yeux s’habituaient à la lumière du jour. Il se tenait désormais devant lui deux brutes armées qui leur barraient le passage.
L’un d’entre eux maintenait la jeune femme. Le second l’avait relâché et le menaçait maintenant de son couperet. Il fixa d’un air accusateur les deux fugitifs tout en portant sa main gauche à un sifflet en cuivre qui pendait à son cou.
Les deux hommes d’armes ne possédaient aucun uniforme. Pourtant leur appartenance à l’Inquisition ne faisait aucun doute. Ce n’était pas là le tabard réglementaire des gardes de la Cité.
Erol dégaina son épée et fit virevolter sa lame par-dessus la tête des deux individus. Ces derniers s’écartèrent par réflexe et trébuchèrent stupidement contre les tables et les chaises. Suzanne en profita pour mettre au sol son agresseur, qui gémit de douleur. L’archéologue fut surpris par la force que possédait la jeune femme.
Lorsqu’ils échangèrent un regard, il vu cependant qu’elle était au bord de l’épuisement. Sa respiration était saccadée et elle peinait grandement à garder le rythme derrière lui tandis qu’ils traversèrent le petit labyrinthe de buis. Ils parvinrent enfin difficilement aux jardins quand retentirent d’incessants coups de sifflet. La chasse était lancée.
« Nous allons rejoindre la porte sud par la parcelle des camélias. Nous y serons à l’abri des regards indiscrets.
— Ne penses-tu pas qu’avec cette alerte, ils vont bloquer les voies d’accès ? »
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Erol s’arrêta brusquement.
La jeune femme était terrifiée. Réveillée des années après la fin de son âge, la voilà jetée dans un futur barbare où elle n’a eu de cesse d’être pourchassée au moment où elle mit le pied à la surface.
« Où irons-nous ensuite, Erol ?
— Où ? Je n’en ai aucune idée ! » paniqua-t-il.
Son plan avait été Marian depuis le début. L’érudit ayant disparu de l’Université, son salut résidait dans les autres Fondateurs. Mais il détestait ces types-là. Toujours moins que l’Inquisition cependant.
Après avoir contourné le large tronc vermeil d’un arbre vénéneux, Erol et Suzanne arrivèrent au parvis de la porte sud des jardins après quelques minutes de course à travers la roseraie encore en friche à cette période de l’année.
Les hautes grilles n’étaient jamais gardées, car peu de curieux osaient s’aventurer par cette entrée située plus à l’écart. Pourtant, cette fois, plusieurs hommes armés étaient positionnés au-devant des gargouilles de pierre décorant l’esplanade.
Drapés de blanc et marqués du triangle cerclé, les soldats de l’Inquisition toisèrent les deux fugitifs. Les masques étaient tombés. Les serviteurs de la Sainte Maev apparaissaient désormais au grand jour.
« Mince alors ! Je connais ce symbole, lui chuchota Suzanne.
— Quoi ? Comment ça ? » s’étouffa Erol alors qu’il reprenait difficilement son souffle que la terreur enrayait.
L’irruption de deux nouveaux ennemis derrière eux lui fit disparaître tout espoir et interrompit à la conversation. Il avait été suivi depuis les portes de l’Université par les deux mêmes gardes qu’ils avaient déjà rencontrés.
Sans dire mot, les soldats les encerclèrent doucement. Ils n’avaient plus aucune chance. Erol n’avait désormais plus qu’à vendre fièrement sa peau. Son regard se posa sur Suzanne et une idée lui traversa alors l’esprit. Il pouvait négocier. Elle était d’une si grande valeur.
À côté de lui, Suzanne serrait ses poings. La jeune femme en avait décidément dans le ventre.
Bien plus que moi, se blâma Erol. Depuis quand me suis-je transformé en couard ?
Il devait se battre. L’archéologue porta la main à son fourreau et dégaina. Le combat fut cependant rapidement interrompu.
Deux cavaliers aux capes d’ivoire déboulèrent de la roseraie, manquant de peu de renverser les deux fugitifs qui tentaient une percée. Aux deux chevaux étaient ligotés un couple de prisonniers. Ceux-ci, à pied, luttaient pour suivre la cadence imposée. Ils faillirent tomber sur le sol boueux une fois que les deux acolytes de l’Inquisition se soient arrêtés devant Erol.
L’un des deux cavaliers était une femme. Une nonne au regard blanc et absent. Elle était de toute évidence aveugle et Erol, tout comme Suzanne, s’étonna de la voir guider un destrier avec tant d’aisance.
Le second était différent. Il revêtait une armure d’un acier aux reflets mauves. À sa ceinture était attaché un immense grimoire de cuir noir abîmé duquel s’échappaient plusieurs rubans multicolores.
D’un geste de la main, il ordonna de détacher les prisonniers puis de les maintenir au sol. À ce moment, Erol vit l’imposant collier qui pendait à son cou. Le bijou était composé de plusieurs chaînons possédant chacun un symbole gravé. Ces derniers révélèrent ainsi la véritable identité du cavalier :
Un Juge-Exécuteur, pensa Erol. Nous voilà dans de beaux draps avec un bourreau de l’Inquisition dans les pattes.
Du haut de son cheval couleur bai, le Juge fixait l’un après l’autre de ses yeux gris les deux proies qu’il tenait désormais entre ses griffes. L’archéologue remarqua aussi que l’individu cachait d’un bandage une tempe ensanglantée et à plusieurs secondes d’intervalle, un tic nerveux lui tordit la joue gauche. Il s’exprima cependant sans heurts :
« Sainte Maev m’en soit témoin, vous n’êtes point homme à rendre les choses faciles, Feuerhammer. »
Il connaissait son nom. Ce ne pouvait être que de mauvais augure.
Sa légère barbe poivre ne suffisait pas à masquer son sourire satisfait qui se transforma rapidement en un rictus de victoire.
« Mais vous voilà enfin devant moi. La traque s’achève avant même de commencer, poursuivit son interlocuteur sans descendre de son destrier hennissant.
— De quelle traque parlez-vous ? demanda Erol sur un ton de défi.
— Lorsque nous avons investi ce temple du blasphème, nous avons cependant été navrés d’apprendre que son membre le plus illustre était introuvable. »
Le Juge devait faire allusion à son mentor.
« Pourquoi cherchez-vous Marian ?
— Maître Marian est un technomancien. Un criminel désormais en fuite. Mais à défaut de le traduire en justice ce jour, nous allons nous rabattre sur vous.
— Quel est donc ce délit dont je fais l’objet ? J’aimerais l’entendre », plaida Erol qui savait pourtant pertinemment ce que pouvaient lui reprocher ces fous fanatisés.
Fouiller le passé interdit. Aduler les êtres infâmes qui avaient fait chuter le monde dans les ténèbres. L’Inquisition et son éternel refrain. Il ne pouvait supporter plus longuement les mensonges éhontés de ces maniaques maintenant qu’il avait percé leur hypocrisie au grand jour.
« Aussi répugnant que cela puisse paraître, un marché me semble plus intéressant, reprit calmement le Juge qui contrôlait parfaitement la situation grâce à ses huit gorilles armés. Le temps nous est compté, voyez-vous. À défaut… »
Il se tourna alors vers les deux prisonniers. Puis, le bourreau désigna Suzanne. Plongeant son regard d’acier en elle, il donna l’impression de sonder son âme. L’espace d’un instant, Erol eut la crainte qu’elle soit démasquée.
« À défaut de ne pas vous trancher la tête céans pour votre impertinence et vos longs faits blasphématoires, la justice de l’Inquisition passera par vos amis », reprit finalement le Juge.
Erol resta silencieux. Il avait saisi la main de la jeune femme qui tremblait maintenant de tous ses membres.
« Je suis ici, en plein cœur d’un territoire hostile et fort belliqueux, qui plus est contre mon gré sous l’ordre direct de la Sainte, Feuerhammer. Ainsi j’aimerais que nous ne finassions pas. »
Le Juge le fusilla du regard et poursuivit rapidement après être descendu de cheval :
« De cette façon, qu’êtes-vous allé chercher dans les contreforts du Dammastock ? Qu’avez-vous trouvé en trafiquant grossièrement les archives de ce vieux croulant de technomancien ? demanda le bourreau.
— Comment ? hoqueta Erol.
— A fortiori, vous n’avez pas remarqué que je pose les questions ici. Me voilà dès lors dans l’obligation de réitérer mon interrogatoire : que faisiez-vous là-bas ? Et qu’avez-vous découvert ? »
L’inquisition avait donc bel et bien les connaissances pour accéder aux terminaux. Des ingénieurs comme le fut autrefois le Père Flumine devaient fournir un travail acharné pour siphonner les savoirs de l’Université au moment même où ils parlaient.
« Ce n’était que des ruines ! Des vestiges qui ne menaient à aucune cité d’or ni à aucune merveille technologique. Juste de la poussière et des larmes, menti Erol haute voix, de manière à que l’ensemble du public de ce grotesque procès expéditif entende bien.
— Allons… vous souhaitez me faire croire ça ? Vous qui débarquez ici tambour battant à la recherche de votre Maître ? Tout cet empressement pour des détritus ? »
Erol devait gagner du temps. L’Université prise d’assaut à quelques encablures de la cité ? Peste que les Fondateurs ne soient pas déjà en train de préparer une contre-attaque. Les soldats de la Fondation finiraient par arriver avec leurs fusils. Mais, d’ici là, le Juge ne devait en rien se douter de la particularité de Suzanne.
Sans réponse de la part d’Erol, la nonne ouvrit enfin la bouche. C’était une voix angélique. Elle était si pure qu’on aurait pu croire aux murmures des arbres. Et elle semblait si lointaine. Comme si la dévote appartenait à un monde au-delà de la réalité.
« Cette dame est plus que particulière et requiert toute notre attention, Monseigneur », dit-elle.
Les yeux laiteux de la nonne scrutaient le corps de Suzanne de haut en bas, sans jamais sourciller.
« Je me disais bien que ces iris d’azur me paraissaient bien trop singuliers ! » ricana alors le Juge qui mit pied à terre avant de s’élancer d’un pas assuré vers la jeune femme.
Sa main gantée de cuir compressa les joues de Suzanne avec une telle force qu’Erol étendit presque sa mâchoire se briser.
« Ce ne sont point-là des ajouts ni un signe de cécité, conclut-il après son simulacre d’examen. Feuerhammer, vous êtes décidément un homme plein de surprises. Où avez-vous donc déniché un joyau pareil ? »
Le Juge serrait sans cesse le visage de Suzanne. Erol était toujours muet. Il sentait le regard désespéré de Suzanne se poser sur lui. Mais aucune pensée n’arrivait à se former correctement. Il était comme tétanisé.
Sous les ordres du Juge qui ne lâcha pas sa proie, les hommes de l’Inquisition dévoilèrent alors les deux figures encagoulées. C’étaient la bibliothécaire et Octave.
« Votre amie au si parfait minois réduit cependant d’une place la capacité du chariot », poursuivit le Juge, maître du silence de l’archéologue.
Cette fois-ci, Erol s’imposa. Octave allait payer cette aventure de sa vie.
Le Juge reteint un rictus et lâcha enfin les joues de Suzanne qu’il avait marquées de ses bagues ornées de pierreries.
Erol continua sa plaidoirie. Il bégaya péniblement :
« Je ne suis qu’un… pilleur de tombe ! C’est Octave la matière grise ! C’est lui qui… c’est lui qui a découvert le complexe sous le Dammastock ! »
Erol se tourna alors vers son jeune élève. Mais Octave, à demi conscient, ne pouvait guère plus défendre son cas. Sa blessure au dos avait provoqué une fièvre qui le rendait léthargique.
« Le petit voleur d’implant est déjà à moitié mort et il n’a pas votre expérience, Feuerhammer. »
Erol n’eut pas le temps de plaider davantage. À peine lucide et aveuglé par le sang coagulé qui avait imprégné ses yeux, Octave ne vit pas le Juge-Exécuteur s’approcher de lui. En chemin, l’un des Paladins lui avait présenté un court bâton d’acier.
Un cri déchira les poumons d’Erol lorsque l’arme s’abattit sur la tête de son élève. Retenu par un soldat, le corps d’Octave demeura immobile, mais son crâne et son cou plièrent sous le choc.
Un deuxième coup fut porté. Puis un troisième ; arrosant du sang du garçon la cape blanche et le visage du bourreau de l’Inquisition. Emporté par une frénésie diabolique, le juge martela à ne plus finir ce qui restait de la tête d’Octave qui roula sur le sol. À la fin du carnage, il rendit la masse à son propriétaire avant s’essuyer le front à l’aide de son tabard.
Erol manqua de s’effondrer sous le choc quand plusieurs coups de feu retentirent. Il crut un instant que c’était la fin de son aventure.
Les soldats de la Fondation firent une entrée fracassante. Armés de fusil et protégés par leurs armures de kevlar ainsi que leurs casques de fer doré, ils encerclèrent rapidement les troupes de l’Inquisition. L’archéologue fut même surpris de voir voleter un drone au-dessus de la tête du Juge.
La garde de la cité était arrivée en grande pompe à dos d’autruche. Mais trop tard.
Sur son trotteur ailé, le capitaine qu’Erol reconnut jura de tous ses poumons avant de braquer son sabre de cavalerie à quelques centimètres du front du Juge qui ne cilla pas une seconde.
« Blasphème ! Vous n’avez aucune autorité sur moi, Capitaine. Je vous saurais gré de baisser votre arme ou votre effronterie sera châtiée. »
Sa voix était restée extrêmement calme.
« Partez, bourreau. Ou j’ordonne à mes hommes de vous clouer ici même. »
Les fusils étaient rares et les munitions encore plus. Toutefois, Erol était au fait qu’ils n’hésiteraient pas une seule seconde à vider leurs chargeurs dans les entrailles des Paladins.
Sous ses épais sourcils blonds, les yeux d’un noir de jais du capitaine défiaient ceux du Juge qui céda enfin.
« Je pense qu’il est temps pour nous de nous retirer, conclut finalement celui-ci. Sachez que la Sainte Maev sera informée de l’hérésie qui règne ici. »
Au son du cor, les Paladins de l’Inquisition prirent congé non sans une tumultueuse algarade. Vide, le chariot-prison clôturait la marche, tiré par des bœufs.
Arrivé aux grilles, le Juge-Exécuteur se retourna pour lancer un dernier regard à Erol. L’archéologue avait désormais la certitude que cela n’était que partie remise. Lui, mais surtout Suzanne, s’était attiré les foudres de ces fous dangereux.
La jeune femme était en ce moment pris en charge par les soldats. En vol stationnaire, le drone avait déployé un système d’assistance respiratoire.
À quelques mètres d’elle gisait toujours le corps d’Octave qu’il ne pouvait faire l’effort de regarder.
Tout s’était passé si vite et il avait été tellement impuissant.