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L'Empire de Cendres
CHAPITRE 21 : EROL

CHAPITRE 21 : EROL

Au-dessus des faubourgs de Renaissance régnait un ciel immobile. Ses déchirures s’étaient figées. Il n’y avait plus de vent. Pour la première fois depuis des années, la cendre jaune ne tombait pas. Tout était si calme qu’Erol put presque entendre les battements de son propre cœur.

De retour près de la cité, il avait cherché en vain des informations sur son frère. Aux remparts métalliques avait été pendue la presque totalité des Fondateurs, mais il n’y avait aucune trace de Sileo. Sur le Grand Dôme flottait désormais la bannière de l’ennemi. C’était la fin de tout.

À l’ombre d’un entrepôt abandonné, l’archéologue remplissait une à une les chambres de son revolver avec les dernières balles qui lui restait. Il se tenait aux côtés de Suzanne. La veille, elle avait failli être engloutie par une mare d’acide.

À plusieurs reprises il sécha les larmes qui lui coulaient le long des joues. Il n’avait plus que la jeune femme et celle-ci était au bord de la mort. Mais, en cette matinée, elle avait repris des couleurs. Enfin, aux premières lueurs de l’aube, elle bougea.

« Tout doux », dit-il en attrapant des bandages verts.

Elle ouvrit les yeux. Avec son aide, elle parvint à se redresser et était maintenant assise à ses côtés.

« Où sommes-nous ? Tu vas bien ? articula difficilement Suzanne.

— En dehors de Renaissance. Et, oui, je vais bien, merci.

— Où est Byte ? »

Erol n’avait aucune nouvelle de la technomancienne depuis qu’elle avait pris la tangente, emmenant une partie de leurs poursuivants. Il lui détailla alors le dénouement du combat. Enfin, il évoqua sa blessure à la main.

La panique envahit la jeune femme, mais avant qu’elle ne puisse soulever son membre meurtri, il la stoppa net dans son geste.

« Je l’ai cautérisé comme je l’ai pu avec des compresses à la morphine, expliqua-t-il. Malgré ça, c’est incroyable que la douleur ne t’ait pas réveillé ! »

Suzanne fixait le ciel à travers le toit ébranlé. Une larme coula elle aussi le long de sa joue.

« Je n’ai plus de main, Erol… sanglota-t-elle. J’ai perdu ma main ! »

Son compagnon la dévisagea, surpris.

« Qu’est-ce que tu racontes ? »

Il désigna alors le membre de la jeune femme, fraîchement recouverte de bandages. À la vue de celui-ci, Suzanne sursauta. Se dressant d’un bon, elle commença à déchirer les morceaux de polymères gluants.

« Qu’est-ce que tu fais ? Es-tu folle ? s’indigna Erol qui voyait son travail partir en lambeaux.

— Je ne comprends pas ! Je suis entièrement sûre que ce psychopathe me l’a sectionnée pendant le combat !

— C’est impossible ! s’emporta le dernier en ramassant les haillons médicaux. Elle a simplement été plongée dans l’acide, non ? Regarde, ta chair en est devenue bleue ! »

Les bandages désormais retirés, la main de la jeune femme apparaissait au grand jour comme Erol l’avait défendu. Du moins, il y en avait le squelette recouvert d’une chair spongieuse. Le sang, teinté d’azur, continuait de couler le long de son avant-bras. Les quelques gouttes qui se perdirent dans la poussière scintillèrent.

« Ça n’a pas de sens ! » poursuivit Suzanne.

Elle retenue un hoquet puis poursuivit :

« Tu entends ce que je te dis ? Il me l’a coupée ! Je n’avais plus de main droite ! »

Erol ne savait que dire, mais ce que continua de faire Suzanne lui fit avoir un haut-le-cœur. Grimaçante, la jeune femme avait plongé l’un de ses doigts valides dans le liquide bleu. Cristallisant au bout de l’index de Suzanne, il se mit à briller. Sec, il se dispersa dans l’air.

« J’ignore ce que c’est, mais il n’y a pas une trace d’acide là-dedans ! » lui confirma Suzanne admirablement pragmatique.

Le doigt de Suzanne ne possédait en effet aucun vestige de brûlure. Mais là n’était pas le plus prodigieux.

« Peut-être est-ce les bandages qui… non, j’en utilise depuis toujours et… » poursuivit Erol.

À l’air, le sang bleu scintilla de plus belle. Déjà, par endroit, les tendons apparents avaient laissé place à des muscles roses. L’archéologue cru d’abord à une illusion d’optique ou bien l’effet de la chaleur pourtant le fluide semblait se mouvoir autour des chairs.

« Quand je te l’ai bandé, il n’y avait presque que des os ! » s’exclama-t-il.

Suzanne avait rapproché son membre de leurs visages. Les muscles recouvraient petit à petit le squelette. Déjà, les nerfs et les vaisseaux sanguins se reformaient sous la forme de petits filaments blancs.

« On dirait que ça se répare tout seul… », poursuivit Suzanne enfin intriguée.

Erol était quant à lui partagé entre le dégoût et l’admiration.

« Mais quel genre de monstre es-tu ? » bégaya-t-il en conclusion.

Elle lui lança aussitôt un regard noir. L’archéologue s’excusa du mieux qu’il put articuler. Puis, il proposa de refaire des bandages propres.

Mais cela ne fut pas nécessaire. Avant même qu’il puisse découper de nouvelles compresses, un étrange tissu cutané avait déjà recouvert la paume de Suzanne. Ils contemplèrent tous les deux, penauds, la main de la jeune femme finir de se tapisser de son voile épidermique. En quelques minutes elle avait retrouvé sa peau de nacre aussi immaculée qu’au premier jour.

« Maintenant on sait comment tu as pu survivre d’une balle dans le ventre », fit remarquer Erol une fois la cautérisation terminée.

Suzanne resta silencieuse, le regard perdu dans le vide.

« Byte ? » fit-elle soudainement.

Erol s’arrêta avant même d’avoir commencé à rassembler ses affaires.

« Où ça ? demanda-t-il surpris.

— Dans ma tête. Grâce à l’implant »

Il maugréa que ce n’était pas une évidence pour tout le monde. Mais il avait déjà vu Sileo pratiquer ce type d’exercice.

Suzanne resta immobile quelques minutes supplémentaires. Elle acquiesçait dans le vide et marmonnait des paroles inaudibles.

Erol regrettait de ne pas avoir vu la technomancienne pendant le combat. C’était la première fois qu’il avait l’occasion d’en voir en pleine action comme dans les guerres jadis. On lui avait tellement répété les pouvoirs extraordinaires que ces gens-là possédaient. Même si l’avant-dernier cyborg qu’il avait rencontré ne lui avait pas vraiment laissé un bon souvenir.

Sa conversation terminée, Suzanne le rejoint, ôtant le sable de ses yeux à l’aide de sa main aux pouvoirs mystérieux. L’archéologue se ravisa alors.

« Des bombes climatiques, des IA pénibles, des télépathes, des mutants au sang bleu… Je préférais l’an trois mille en version momies et tombeaux poussiéreux moi ! »

De se plaindre il ne cessa que quand ils eurent finalement regagné une vieille évacuation des eaux usées protégée par un bosquet d’épines noires. D’un coup d’épée, Erol fit sauter la chaîne maintenant la grille en fer de l’évacuation. Dans un grincement étouffé, elle tomba dans le flot sombre et visqueux.

« Et maintenant, tu sais où tu vas ? » demanda Erol.

Suivant les indications de la technomancienne, ils remontèrent des chemins souterrains qu’Erol reconnaissait à peine. La roche avait été tailladée à l’aide d’outils, fracassée à coup de dynamite. Si l’Inquisition en était responsable, elle possédait du matériel extrêmement efficace.

Erol et Suzanne arrivèrent après plusieurs heures à une terrasse surplombant une grotte titanesque qui aurait pu accueillir le Grand Dôme de Renaissance.

« Byte me confirme que c’est bien ici, expliqua Suzanne.

— Je le vois bien. Regarde ce qu’il y a en dessous », grinça Erol.

Comme prévu, les envoyés de l’Inquisition étaient déjà sur les lieux. La caverne était ponctuée de tentes et de machines dévorant la roche. Partout circulaient des hommes aux tabards blancs. Au milieu des Paladins et des ouvriers s’affairaient des nonnes et des moines, des ingénieurs recouverts d’implants.

Par-delà le campement, ils avaient dégagé les immenses battants d’acier qui menaient au complexe du Josias-01. Erol les compara à l’entrée des Enfers.

« Les portes du centre sont toujours fermées. Ils n’ont pu trouver le code ! » le rassura Suzanne.

L’archéologue pensait à raison que l’Inquisition n’avait que faire du code de Marian. À l’abri derrière une colonne de béton, il désigna du doigt les différentes piles d’explosifs qui ponctuaient chaque côté des énormes battants.

« Jamais on ne pourra rentrer sans les avoir aussitôt sur le dos ! dit alors Erol. Tu as vu les tailles de ces gonds ? Les portes doivent au moins peser un bon millier de tonnes.

— J’imagine, répondit Suzanne. Mais nous n’allons pas les ouvrir en entier.

— Dans ce cas, excuse-moi ! Il en vrai qu’en les entrebâillant juste, on ne réveillera pas l’armée nous séparant de notre objectif !

— Ce que tu peux être négatif et… »

Elle s’arrêta. Byte devait lui donner de nouvelles directives.

« Par ici. »

Suzanne guida Erol jusqu’aux abords du campement. Ils manquèrent à plusieurs reprises de se rompre le cou sur la roche glissante.

« Attends. Je reviens rapidement », dit Erol avant que Suzanne ne s’engouffre plus profondément entre les tentes.

Erol surprit l’un des Paladins qui avaient pris sa pause à l’abri des regards. Passant son épée à travers sa gorge, il cacha ensuite le cadavre sous une toile après lui avoir dérobé son tabard blanc. Ainsi déguisé, il subtilisa quelques tiges de dynamite, des bâtons lumineux et plusieurs mètres de corde.

Retournant sur ses pas, il s’aperçut que la jeune femme avait disparu. Échappant un juron, il fut interpellé par une nonne.

« Puis-je savoir ce que vous manigancez avec ses bâtonnets mon frère ?  lui fit-elle remarquer en prenant une voix d’outre-tombe, imitant la religieuse des jardins.

— Mince ! Tu étais parti où ? grogna Erol en reconnaissant Suzanne.

— Byte a trouvé une console d’accès donc je suis allée voir. Ces andouilles l’ont presque détruite à vouloir la modifier ! expliqua-t-elle. Je vais tout de même pouvoir rentrer le code. »

Elle sortit alors de sa poche le pendentif de Marian.

« Ce ne sera pas très discret. »

Erol et la jeune femme parvinrent à se rendre à la console située à quelques mètres de la grande porte. À côté d’elle se tenaient maintenant deux Paladins armés de masse. De leur casque pendaient des fils électriques qui leur rentraient sous la peau au niveau des joues.

« Ces types sont améliorés. Ils vont nous griller ! chuchota Erol.

— C’est eux qui vont brûler, regarde. »

Du sang coula du nez du premier garde sur la droite qui toussa. L’incident alerta son compagnon qui se tourna alors vers lui. Une odeur de roussi envahit l’air et une épaisse fumée noire s’échappa de dessous leurs casques. Parcourus de spasmes, tous deux s’effondrèrent soudainement.

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« Byte nous couvre, ne t’inquiète pas.

— Terrifiant. Conclut Erol.

— Oui, mais limité. Elle a besoin d’un visuel et des informations que mon implant peut extraire de la cible. »

Sous les conseils de la technomancienne avec qui elle entretenait toujours la communication, elle ramena à la vie la console qui émit une alarme sonore.

Dans un grand déclic, les portes du complexe s’ouvrirent. Des stalactites parfois aussi grosses qu’un cheval tombèrent du plafond de la caverne.

« Cours ! » hurla Suzanne.

Elle ôta la clé de la console et les barrières commencèrent à se refermer. Erol enjamba les deux cadavres calcinés et courus jusqu’à l’intérieur du centre. Derrière lui, les échafaudages construits par l’Inquisition s’effondrèrent. Les ouvriers équipés de perceuses ou disposant des charges explosives sombrèrent dans le vide.

Un nuage de poussière enveloppa la caverne en l’espace d’une seconde.

Une fois rejoint par Suzanne, les portes se verrouillèrent. Il tomba alors du plafond, un colossal linteau d’acier qui condamna l’ouverture.

Après quelques secondes, le chaos de la grotte se transforma ensuite en silence et ils furent plongés dans les ténèbres. Lorsque la jeune femme alluma l’un des derniers bâtons rayonnants, Erol put de nouveau contempler l’immensité des lieux.

Le hall d’entrée était une gigantesque salle de verre et de béton capable d’abriter une ville entière. De partout montaient et descendaient de vieux escaliers mécaniques. D’antiques écrans noirs et poussiéreux tapissaient les murs et un carrelage d’acier blanc recouvrait le sol. Illuminé et au temps de sa splendeur, l’accueil du complexe devait être resplendissant et grouillant de vie.

Mais comme ils s’y attendaient, le hall était aujourd’hui un mausolée. Sous la fine couche de saleté reposait les corps de soldats et de leurs auxiliaires droïdes.

« Tu tiens le coup ? » demanda Erol en enjambant les restes d’un véhicule broyé.

Chacun de leurs pas produisait un craquement. Des douilles de cuivre et du verre brisé étaient répandus sur tout l’étage.

« Je préférais l’ancienne décoration. »

Erol esquissa un sourire.

À l’instar de l’entrée du Dammastock, l’humidité s’était immiscée rouillant les armes, les armures et la plupart des équipements robotisés.

« Rien que nous puissions utiliser ? demanda-t-il à la jeune femme qui était grimpée sur une carcasse de tank.

— Non, tout est dans un très mauvais état. À part ce char peut-être… »

L’idée lui plut.

« Tu sais dans quelle direction nous devons aller ? »

Suzanne resta silencieuse.

« J’ai perdu le contact avec Byte !

— Mince ! Adieu le grillage de cerveau instantané de nos ennemis. A-t-elle eu des ennuis ?

— C’est déjà un miracle que nous ayons pu la capter dans les souterrains. Mais derrière ces portes, je crois que c’est fichu.

— Et ton implant ? Il peut te guider non ?

— Il ne marche apparemment pas à pleine capacité sans connexion au réseau. À l’extérieur je n’avais pas de soucis, mais là… le système interne ne fonctionne pas. »

Les différents escaliers mécaniques menant aux étages inférieurs, rongés par le temps ou bien sabotés, s’étaient effondrés sur eux-mêmes.

Risquant de se rompre le cou, Erol et la jeune femme purent descendre jusqu’à une plate-forme qui leur permit de rejoindre les ruines d’un poste de sécurité.

Des vestiaires intacts tapissaient les murs de la première salle. Au temps où Erol parcourait les complexes et bunkers souterrains au profit de la Fondation, ce type de découverte lui aurait valu une importante reconnaissance et une belle somme d’argent.

Du plat de son épée, il tenta d’ouvrir celui qui était le plus proche, mais sans parvenir à faire plier la tôle. Son bras bionique n’eut pas plus de succès. L’ouverture magnétique était l’une des plus difficiles à forcer sans le matériel adéquat. L’archéologue pensa alors au revolver. Mais il aurait été idiot de gaspiller des munitions sans garantie de résultats.

L’exploration se poursuivit jusqu’à dénicher plusieurs casiers entrebâillés à proximité d’anciennes douches au carrelage écaillé. Cette fois, un brin d’entêtement finit par porter ses fruits : liseuses numériques, terminaux, trousses de toilette et vêtements de rechange presque transformés en poussières. Le temps avait là aussi fait son œuvre.

« Tu trouves quelque chose ? demanda Suzanne alors qu’elle sortait de son tour d’inspection dans la salle suivante. J’ai déniché des torches chimiques. »

La jeune femme plia l’une des nouvelles tiges phosphorescentes et celui-ci illumina la pièce d’une lueur rose blafarde. Ils étaient bien plus efficaces que ceux qu’Erol avait utilisés jusqu’ici.

« Des vieilleries. Rien d’intéressant pour le moment », lui répondit Erol.

Son bras fit sauter les gonds d’un troisième vestiaire légèrement entrouvert. L’archéologue écarta la tôle courbée et examina l’intérieur du casier avec l’aide du bâton de Suzanne.

Cette dernière s’était rapprochée pour lui porter assistance et fût la première à remarquer le trésor qu’il venait de découvrir.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Erol en plongeant sa main dans ce qui ressemblait à un lourd tas d’écailles en acier.

« Une armure. C’est un modèle assez perfectionné. »

Erol agrippa la cuirasse et l’examina de plus près.

Il y avait une paire de bottes, un pantalon et un plastron renforcé, ainsi que des gants équipés d’une peau spéciale pour manipuler des terminaux tactiles et se cramponner aux parois les plus dangereuses.

« Pas mal du tout, commenta Erol en dépoussiérant son nouvel arsenal. Et il y a même un casque. »

La dernière pièce de l’armure englobait l’intégralité du crâne et du cou. Une vitre blindée couvrant le visage permettait une vision optimale.

Erol demanda à Suzanne si celui-ci avait besoin d’énergie pour fonctionner. Elle lui indiqua l’emplacement de batteries dans le dos de la carapace, juste en dessous d’un compartiment de stockage. Après avoir soulevé le bloc de métal, ils s’aperçurent que les deux recharges étaient vides.

« Il faudra en trouver de nouvelles », conclut-il.

Mais après plusieurs siècles, les chances étaient très minces.

« Tu ne peux pas l’utiliser sans que le système d’aide à l’effort soit alimenté. C’est dommage, cela nous aurait bien appuyés !

— Je reviendrai la chercher plus tard alors, conclut Erol en reposant l’armure dans son casier. Continuons.

— Attends j’ai une idée ! »

Suzanne retira les deux batteries vides de leur boîtier. Elle fouilla ensuite dans ses poches pour en extirper quatre des bâtons phosphorescents. S’obstinant à dévisser ces derniers, elle demanda à Erol de partir à la quête de deux conteneurs en verre ou en plastique qu’il trouva un peu plus loin dans un local technique.

Lorsqu’il revint dans le vestiaire, Suzanne avait démonté les torches et les condensateurs. Elle était désormais affairée à défiler des câbles électriques qu’elle avait extraits des lampes halogènes des plafonniers.

« Place les batteries dans une bassine. Répartis le liquide des torches entre les deux. »

Erol s’exécuta avant que la jeune femme ne relie les deux récipients à l’aide des fils de cuivre.

« Maintenant, regarde. »

Dans leur saladier, les piles émirent un léger vrombissement. Suzanne était en train de les recharger.

« C’est le genre de sorcellerie qui aurait plu à Octave ! s’exclama Erol. Dans combien de temps les batteries seront rechargées ? »

« Pas besoin d’aller au maximum. Et puis nous n’aurons pas assez de liquide pour la fin de l’hydrolyse, répondit Suzanne. Encore quelques minutes et on aura au moins une armure de fonctionnelle. »

Erol laissa Suzanne à sa chimie et rejoignit les douches avec la cuirasse assistée. Retirant ses vêtements, il ne garda que ses armes et stocka son chapeau ainsi que l’ultime pilule grise que lui avait donnée son frère. Puis, il enfila l’armure sans effort. Néanmoins, il fut presque impossible de se mouvoir avec comme lui avait indiquée Suzanne.

Cette dernière le rejoignit peu après, tenant fermement les batteries. Elle ordonna ensuite à Erol de lui présenter son dos et elle clipsa les condensateurs dans leur habitacle.

Le casque s’illumina et une multitude d’informations dansèrent sous les yeux d’Erol.

Cela doit ressembler à l’assistance visuelle que lui confère l’implant.

« Voici donc ce que voit mon frère tous les jours ? Cela doit être épuisant. »

L’armure était désormais aussi légère qu’une chemise en lin. Et l’air était frais malgré une fine odeur de vieux plastique. L’afflux d’oxygène lui fit rapidement tourner la tête et il chancela.

« Tout doux l’astronaute ! se moqua Suzanne en lui attrapant l’épaule. Tout va bien là-dedans ? »

La voix de Suzanne était atténuée. À l’opposé, celle d’Erol était amplifiée par le microphone intégré à la base du casque, sous le menton.

« J’ai l’impression de flotter ou de voler. Ou les deux à la fois, hurla-t-il. Je peux soulever une montagne ! »

Il se sentait si puissant dans cette armure qu’il s’imaginait vaincre une horde de Paladins à lui tout seul.

« On continue ? chuchota-t-il cette fois.

— Demande à ton ordinateur de rechercher la salle de commande principale ou le bureau de Thomas Lionheardt. Ces modèles devaient bien avoir un système hors-ligne au cas où une attaque paralléliserait le réseau. »

Erol jugea l’idée brillante et s’exécuta en réclamant bien trop poliment les informations nécessaires à son ordinateur de bord.

À son poignet, un écran s’alluma et une flèche couleur émeraude clignotante apparut au milieu de son champ de vision. Elle indiqua la porte en verre à l’extrémité du vestiaire. Il avait fait un détour, mais rien de grave.

« Incroyable ! Ça fonctionne ! En route ! » hurla-t-il de nouveau après avoir initié une démarche maladroite. Sous son poids, les carreaux de plastique multicentenaires des douches se plièrent.

Après un énième sas de sécurité qu’il dut fracturer à la force de ses poings, Erol arriva face à quatre cages d’ascenseur. Suzanne appuya sur le bouton de l’un d’eux, mais, comme prévu, rien ne se produisit.

« Qu’indique ton système de guidage ? demanda la jeune femme en inspectant la cage de droite.

— Il nous faut aller en bas. Au cinquante et unième sous-sol, répondit Erol. Sacrée descente en rappel.

— Viens. Les portes de celui de droite sont ouvertes. »

Les corps de deux soldats aux Casques bleus reposaient aux abords du gouffre. Leurs armures n’avaient pas suffi à les protéger des balles avec lesquelles ils avaient été accueillis.

Erol laissa de côté son inspection morbide et se concentra sur la cage d’ascenseur. Les câbles d’acier étaient en aussi mauvais état que le reste du complexe. L’huile avait depuis longtemps séché et des champignons avaient rendu toute tentative de s’y agripper à main nue totalement impossible. L’armure assistée verrait là sa seconde utilité

« Monte sur mon dos. Je vais me charger de la descente, proposa Erol qui, depuis, se sentait pousser des ailes.

— Cinquante et un étages, Erol, lui rappela Suzanne. Tu vas nous tuer tous les deux.

— J’ai fait ça toute ma vie. Et cette fois j’ai l’aide d’un ordinateur, la rassura-t-il. J’aurai assez d’autonomie ? »

Suzanne inspecta les batteries. Lorsqu’elle reparut dans son champ de vision, elle lui tapota le rebord inférieur gauche de son casque. Sous une barre orange, un pourcentage apparaissait ainsi qu’une durée en heure.

D’après la jauge, il lui restait suffisamment d’énergie pour une demi-journée. Toutefois, comme lui fit remarquer la jeune femme, cette dernière pouvait chuter en cas d’efforts importants ou prolongés.

« Garde un œil dessus », conclut-elle.

Erol acquiesça tandis que Suzanne s’approcha du bord et lança dans le vide l’avant-dernier bâton lumineux. Celui-ci voleta et rebondit contre les parois avant de se perdre dans l’obscurité. Après de longues secondes, il retentit l’écho de son impact sur le sol.

La jeune femme prit position sur son dos. Elle s’arrima solidement, les bras autour de son cou. Après une profonde inspiration, Erol agrippa l’un des câbles en acier de l’ascenseur et amorça sa descente. Ses semelles antidérapantes collaient admirablement bien au béton.

Ses mains le brûlaient, mais le revêtement de ses paumes lui assurait une bonne prise. Bien qu’amoindri par l’armure et son membre artificiel, l’effort restait herculéen avec la jeune femme sur les épaules.

Le câble grinça à plusieurs reprises, mais ne lâcha pas. Néanmoins, sa sérénité se dissipa à l’instant où des lampes de sécurité s’illuminèrent brutalement. Un appel d’air le déséquilibra, mais il parvint à se rétablir avec l’aide de Suzanne.

« C’était quoi ça ? demanda Erol en plissant des yeux.

— Quelqu’un a restauré le courant. Le réseau fonctionne aussi ! »

Erol jura.

« On a donc du monde bien équipé qui approche, commenta Erol. L’Inquisition a dû entrer !

— Mais quelque chose bloque toujours le contact extérieur. Je ne peux pas joindre Byte ! »

Un nouveau déclic puis un son strident eu lieu au-dessus d’eux. L’ascenseur était en train d’amorcer sa descente.

Erol redoubla d’efforts et effectua des sauts exponentiellement longs. Ils avaient maintenant parcouru près des trois quarts de la pente, mais le hurlement perçant de la cage était de plus en plus fort.

L’archéologue entama un dernier bond avant de s’immobiliser, les pieds ancrés dans les barreaux de l’échelle de secours. Suzanne l’alerta que le monte-charge était actuellement en vue et que la situation était des plus urgente.

« Saute ! Je vois le sol d’ici !

— J’ai une idée », l’interrompit Erol qui tirait à présent de toute ses forces sur le barreau.

Les vis d’ancrages cédèrent enfin et Erol pu plier l’acier de manière qu’un bon mètre de l’échelle pendant dans le vide. Il réitéra l’opération quelques mètres plus bas avant de finalement préparer son saut.

« Prête ? »

Il n’attendit aucune réponse de la part de Suzanne et s’élança. S’il y avait eu un concours de celui qui avait juré le plus fort, il y aurait eu deux gagnants.

L’armure assistée encaissa miraculeusement le choc au détriment d’une partie de sa batterie. Erol avait néanmoins l’impression de s’être fait scier le dos et ses bras, comme ses jambes étaient feu. Il était prêt à parier d’avoir entendu ses genoux craquer quand la jeune femme mis enfin pied à terre entre les ressorts rouillés.

« C’est la première… et… dernière fois, suffoqua-t-elle en s’approchant de la cage sectionneur. Pourquoi avoir plié l’échelle ? »

Un grincement sonore retentit alors suivi de bruits de choc de métal contre métal.

« Si des Paladins sont déjà là-dedans. Les voilà bloqués quelques étages plus haut, lui répondit Erol, fier d’avoir imaginé un tel stratagème.

— Bien joué », le félicita la jeune femme.

Il avait eu raison. Au-dessus d’eux, quelqu’un cria. Erol ignorait comment, mais les sbires de Maev avaient définitivement passé les portes d’acier de la caverne. Il n’y avait désormais plus une minute à perdre pour mettre hors d’état de nuire le missile.