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La Loi du Mystère [French]
Chapitre 5.2 - Caetobria

Chapitre 5.2 - Caetobria

— Je comprends mieux pourquoi on n’a croisé personne dans le tunnel, dit Saira. Ce passage a dû être abandonné à cause du danger d’effondrement.

Un bruit de succion l’accompagna lorsqu’elle se releva de la bourbe. Elle et March étaient couverts de boue de la tête aux pieds.

— On en a échappé de peu, répondit March. Je suis désolé pour ta jument…

— C’était une bonne compagne, dit Saira.

Une larme roula sur sa joue.

— Et toi, tu n’as rien ? demanda March.

— Ma jambe me fait un mal de chien.

— Laisse-moi regarder, dit March.

Saira gémit lorsqu’il palpa sa cuisse. Il sentit l’hématome qui se formait déjà là, mais le reste de la jambe avait l’air en bon état.

— La bonne nouvelle c’est que tu n’as rien de cassé. Mais tu as reçu un sacré coup, il vaudrait mieux reposer ta jambe pendant quelques jours.

— Quelques jours ! Impossible, j’ai des affaires qui m’attendent demain.

March la prit sous le bras pour l’aider à se relever.

— March… qu’est ce qu’il s’est passé dans le tunnel ? Comment en sommes-nous sortis vivants ?

March considéra sa réponse. Son cœur le suppliait de partager son secret avec Saira, mais le Mysterium patrouillait surement toute la ville et il ne voulait pas rester une minute de plus à découvert.

— Je peux tout t’expliquer, mais… pas ici. D’ailleurs, où sommes-nous ?

La cour boueuse dans laquelle ils pataugeaient était encerclée de maisonnées comportant toutes plusieurs étages. Malgré le vacarme de l’effondrement, personne n’avait daigné se montrer.

— Ne t’inquiète pas, les seules âmes présentent dans ces taudis sont des drogués à l’herbe du Mage. Une explosion pourrait avoir lieu sous leur nez, ils ne s’en rendraient même pas compte. Habituellement les Serpents Bruns laissent un ou deux gardes pour protéger l’accès au passage, mais leur absence confirme que ce tunnel a été abandonné.

— Des gardes ? Comment comptais-tu les convaincre de nous laisser passer ?

— Les membres du gang ne sont loyaux qu’à la couleur des métaux précieux, dit-elle en essayant de tapoter sa besace.

Au lieu du sac de cuir, sa main ne rencontra que sa hanche.

— Oh non ! Où est-elle passée ?

— Tu as dû la perdre dans le tunnel ! dit March en cherchant autour d’eux.

— Mais l’or que tu m’as donné y était stocké et…

— Ton collyre, devina-t-il.

Elle acquiesça et March sortit sa bourse qui, elle, était toujours à l’intérieur de son veston.

— Tiens, l’autre moitié du payement est là. Je te rembourserais ce que tu as perdu quand je trouverai plus d’or. Est-ce que cela suffira pour payer la commande du bal ?

Elle prit la bourse timidement et la serra dans sa main.

— Merci March. Oui, ce sera amplement suffisant.

— Bien, dans ce cas, je te propose de m’accompagner dans cette demeure censée m’appartenir. Tu pourras t’y reposer pour demain. Avec un peu de chance, on y trouvera quelque chose à manger.

Elle lui sourit et accepta son invitation.

— Et pour ton collyre, tu crois que cela posera un problème ?

— Je peux me procurer de la soldanelle noire et préparer un nouveau mélange avant de rencontrer mon fournisseur.

— Bien. Dans ce cas, par où va-t-on ?

Saira le guida vers les ruelles adjacentes, un bras passé au-dessus de ses épaules pour épargner sa jambe. Ils déambulèrent dans les rues de la capitale, couverts de boue, mais le peu de personnes qu’ils croisèrent ne semblèrent pas s’importuner d’une telle vision. Caetobria était une vraie fourmilière où se rencontraient toutes les classes et origines du continent. Ils croisèrent d’ailleurs de nombreux mendiants dans de bien plus piteux états qu’ils ne l’étaient.

March reconnut bientôt les rues qu’ils traversèrent et le plan de la ville jaillit dans son esprit comme s’il venait de dérouler une carte devant lui. Il connaissait très bien Caetobria, cela ne faisait aucun doute.

— Passons plutôt par là, dit-il en dirigeant Saira vers une petite rue moins fréquentée.

— Ça va nous faire perdre du temps.

— Je préfère être discret. Nous approchons des quartiers riches et notre apparence risque d’attirer les ennuis.

Malgré leur précaution, les quelques passants qu’ils croisèrent ne manquèrent pas de leur jeter des regards douteux, certains s’éloignant de dégout en les voyant. Ils durent même se cacher à deux reprises dans des renfoncements de façades obscures pour éviter les escouades de gardes qui patrouillaient la ville.

— La sécurité a vraiment été renforcée, je n’ai jamais vu autant de soldats dans la ville, dit Saira. Regarde devant nous, c’est l’adresse que tu m’as montrée.

Elle pointa du doigt une petite villa étroite sur deux étages coincée entre deux manoirs qui la toisaient de toute leur hauteur. Comme March, on aurait dit que la demeure voulait constamment passer inaperçue.

— Oui, j’ai l’impression que ce lieu m’est familier.

Ils se présentèrent devant la porte et March tendit la main pour frapper le heurtoir doré. Saira lui attrapa le bras.

— C’est chez toi non ? Pourquoi frapper ?

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Elle tourna la poignée et la porte s’ouvrit sur un grand vestibule. Ils entrèrent en laissant des traces de boue sèche sur le tapis qui couvrait l’entrée.

Le vestibule était peu fourni et n’avait que pour seul meuble un simple portemanteau en bois. Depuis l’entrée, on devinait aussi un salon à moitié vide. Les murs étaient nus et aucun portrait n’aurait indiqué à qui appartenait ce bâtiment.

— Et bien, tu n’étais pas un grand fan de décoration ! fit remarquer Saira.

Des bruits de pas résonnèrent dans un couloir et March se plaça devant Saira pour la protéger. L’avis de recherche du Mysterium ne comportait pas de nom, mais il réalisa soudainement que si quelqu’un connaissait son identité, ce serait le lieu idéal pour lui tendre un piège. Il s’en voulut de ne pas avoir été plus prudent. Il avait baissé sa garde depuis qu’il était en compagnie de Saira.

Un vieil homme portant une livrée de domestique fit son apparition dans le vestibule.

— Mais, qu’est ce que vous faites là ? demanda le valet avant de mettre sur son nez une paire de lunettes qui pendait à son cou. Mon… Monsieur de Tassigny ?

Le domestique dut se retenir au portemanteau pour ne pas tomber de surprise.

— Mais comment… Et pourquoi êtes-vous couvert de la sorte ? Je vous croyais mort !

— Nous ne voulions pas vous effrayer, dit March pour calmer le valet. Est-ce bien ici que je vis ?

Le valet hésita avant de répondre.

— Mais bien sûr, quelle idée ! J’hallucine, n’est-ce pas ? Ma vieille mère m’avait juré que ça finirait par arriver, c’est une vraie malédiction dans notre famille !

— Non, vous ne rêvez pas. March… euh, Léon de Tassigny a perdu la mémoire, lui dit Saira.

— Comment ? Je… vous êtes donc vraiment là ? Nom-d’un-mage, c’est impossible !

— Elle dit vrai. J’ai été blessé à la tête, dit March en ôtant son bandeau, laissant le servant voir la trace blanche parcourant sa chevelure.

— Vos cheveux, ils ont poussé !

— Euh, qu’est ce qu’il y a d’étrange à ça ?

— Monsieur a toujours eu une calvitie des plus prononcées ! Depuis que je vous connais, pas un cheveu n’a poussé sur la tête de Monsieur.

— Il semblerait que tu es doublement miraculé, March ! D’abord un bateau te repêche en mer et ensuite tes cheveux repoussent, dit-elle pour plaisanter.

— March ? Quel est ce nom absurde ? Et qui est cette femme ?

— Une amie. C’est… une longue histoire. On m’appelle March depuis que j’ai été sauvé par des marins.

— Quel outrage ! Léon de Tassigny est votre nom et vous devriez le porter avec fierté !

— Dites-moi mon bon, l’interpela Saira. Nous avons fait un long voyage, auriez-vous quelque chose à se mettre sous la dent ?

— Vous n’allez pas diner dans une telle tenue ?

— Nous n’avons presque rien avalé de la journée, dit March. Et Saira à la jambe blessée, il faudrait qu’elle se repose un moment.

Le valet se plaignit de la nonchalance de la jeune femme, mais invita néanmoins les voyageurs à s’installer autour d’une grande table, tout en leur jetant des regards meurtriers à chaque trace de boues qu’ils laissaient sur leur passage.

Il ne fallut que quelques minutes au servant pour revenir avec un plateau de fruits secs accompagnés de fromage et d’une grosse miche de pain frais. Le valet installa aussi une pile de coussins pour soutenir la jambe de Saira.

March l’invita à se joindre à eux, mais il avait immédiatement refusé, disant que ce n’était pas correct. Il avait néanmoins accepté de répondre aux questions de March.

Le valet se nommait Julius et avait passé les dix dernières années au service de Léon de Tassigny. D’après lui, Léon de Tassigny était un orphelin ayant construit sa propre fortune grâce au commerce du vin. Ses clients comptaient les plus grandes familles d’Algrava, ainsi que la couronne elle-même. On lisait une grande fierté dans l’expression de Julius lorsqu’il raconta cette histoire.

Saira avait fini par se mêler elle aussi à l’enquête.

— Dites-moi Julius, pourquoi avez-vous cru que March… euh, Léon de Tassigny était mort ?

La question déstabilisa le servant.

— Mais il n’est pas mort ! Monsieur est là devant vous !

— Oui, mais vous pensiez qu’il était mort non ? Il doit bien y avoir une histoire derrière ce… malentendu ?

Julius se racla la gorge puis, gêné, il se livra à eux.

— La nouvelle m’est parvenue il y a quelques semaines. Monsieur de Tassigny aurait été victime d’un accident de cheval l’ayant mortellement blessé.

— Un accident de cheval ? s’interrogea March.

— Oui, Monsieur possède une écurie à l’extérieur de la ville et de magnifiques destriers. Ne sachant pas vraiment quoi faire d’autre, j’ai continué de m’occuper de la demeure depuis votre disparition. Monsieur n’a pas d’héritiers, vous comprenez.

— Si je suis mort, il y a bien dû y avoir un corps non ? demanda-t-il.

— Oui et… des obsèques. Il y avait peu de monde présent, Monsieur a toujours été un solitaire, mais j’y ai assisté !

— Vous avez vu mon corps ?

— Non, on m’a affirmé que votre visage était en lambeau. Le cercueil était fermé.

— S’il y a un cercueil, on doit pouvoir le déterrer non ? dit Saira comme s’il s’agissait d’une activité des plus banales.

— Par les Saints, vous êtes folle ! s’offusqua Julius. Et de toute façon, le cercueil a été brulé.

— Brulé ? C’est peu commun en Algrava de bruler les morts.

— Je m’y suis aussi opposé, mais les ordres venaient du Mysterium. Tous les morts ayant eu lieu la même semaine ont dû être incinérés. Ce serait pour des raisons sanitaire d’après l’Inquisiteur à qui j’ai eu à faire.

— Ta soi-disant mort m’a l’air vraiment louche March.

Julius tiqua encore une fois en entendant ce nom.

— Oui, je suis d’accord. D’abord on refuse à la seule personne capable de reconnaitre mon corps de le faire, et ensuite le cercueil est incinéré.

Les nouveaux indices interpelèrent March. S’il était vraiment impliqué dans la tentative d’assassinat du roi, comme il le pensait, il serait tout à fait plausible qu’on essaie de cacher ses traces. Mais pourquoi le Mysterium se mêlerait-il à cela ? Serait-ce une coïncidence ou auraient-ils eux aussi été bernés par les vrais auteurs de l’assassinat ?

Le repas continua, Julius se réjouissant de pouvoir de nouveau servir son maitre. Une fois repu, March se leva de table. Utiliser ses pouvoirs l’avait de nouveau affaibli et il souhaitait se reposer. Il avait des milliers de questions à poser à Julius, mais cela pourrait attendre le lendemain. De plus, Saira avait aussi besoin de se reposer pour que son hématome commence à dégonfler.

— Julius, avons-nous une chambre d’amis pour Saira ?

— Oui bien entendu, mais… Madame va-t-elle vraiment rester ?

Julius attira l’attention de March vers le visage de Saira. Ses iris avaient pris une teinte violacée qui ne trompait plus sur son origine. Elle baissa les yeux en réalisant ce que les deux hommes regardaient.

— Julius, je vous demande de traiter Saira comme une invitée de marque. Elle est la bienvenue sous ce toit et peu rester aussi longtemps qu’elle le souhaitera.

Saira cacha un sourire en coin, ses joues prenant une légère couleur rosée.

— Bien entendu Monsieur, dit le valet. Pardonnez-moi mon impolitesse. Madame aimerait-elle que je lui fasse couler un bain ?

— Avec plaisir, Julius, dit Saira en prenant la main du valet qui souhaitait l’aider à se lever.

Elle se tourna vers March puis ajouta.

— Merci March, pour tout ce que tu as fait pour moi.

— C’est moi qui dois te remercier. Bonne nuit, Saira, nous pourrons parler demain matin, je n’ai pas oublié que je te dois des explications pour… le tunnel.

La jeune femme acquiesça puis lui caressa l’épaule amicalement avant que le valet ne la guide vers les chambres. March se retrouva seul dans la salle à manger censée lui appartenir. Malgré la familiarité du lieu, il ne put s’empêcher de penser que quelque chose ne collait pas.