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La Loi du Mystère [French]
Chapitre 2.1 - La chasse

Chapitre 2.1 - La chasse

L’équipage de L’Imbattable s’affairait sur le pont. L’homme de vigie continuait de marteler la cloche signalant que le dragon-baleine était en vue. Les gabiers travaillaient encore à affaler les voiles du mât d’artimon, le plus petit des trois-mâts se trouvant à la poupe du bateau. Une fois libérées et fixées, les voiles propulseraient le bateau à pleine vitesse.

— Tous à vos postes, hurla le capitaine depuis la barre. Armez le canon !

À la proue, les trois artilleurs rejoignirent la plateforme sur laquelle reposait l’imposant canon lance-harpon. Les ingénieurs ayant construit le navire n’avaient qu’un seul but en tête : la chasse au dragon-baleine. Pour cette raison, le mât de beaupré se trouvant à la proue disposait d’une surface plate et large pour accueillir le poste de tir du canon.

Les trois artilleurs se répartissaient les tâches : un tireur libérant le harpon, un conducteur tournant la manivelle de rotation latéral et un autre pour la rotation verticale. Ainsi, avec une bonne coordination, le canon pouvait tirer dans presque toutes les directions.

La méthode de chasse était bien différente de celle des simples baleines que l’on trouvait dans les mers du Nord. Ici, pas question d’attaquer la proie depuis des barques armées de harpons, car l’animal les coulerait sans sourciller. Pour fatiguer la créature marine, tout le poids de L’Imbattable serait nécessaire.

Une partie de l’équipage disposait aussi d’arbalètes lourdes pour le combat rapproché, mais d’après Egas, la plupart des carreaux ricochaient sur les écailles du dragon-baleine. Cependant, un tir chanceux pouvait toujours atteindre ses yeux, la seule partie molle de son corps.

— Qu’est-ce que je dois faire ? avait demandé March à Egas en voyant tous les autres marins courir sur le pont.

Chaque membre de l’équipage avait son rôle à jouer en cas d’attaque, mais le capitaine n’avait pas préparé March à cela.

— Reste à côté de moi, j’aurais besoin d’aide pour transporter les hommes blessés.

— Tu penses qu’il y aura des blessés ?

Egas se tourna vers lui, l’air grave.

— Il y a toujours des blessés. Prie pour qu’il n’y ait aucun mort cette fois.

Le navire accéléra de plus en plus et bientôt March put voir une forme sombre à la surface de l’eau : la crête de l’animal ! Elle était aussi haute qu’un homme adulte, hérissée de pointes acérées et d’un noir aussi profond que le charbon. Egas lui avait expliqué que l’animal gardait sa crête à l’air libre pour réguler la température de son corps. C’était la seule façon de repérer et poursuivre les dragon-baleines, car en temps normal, ils préféraient les eaux profondes.

Les artilleurs chargèrent le canon et s’apprêtèrent à faire feu sous l’ordre du capitaine.

— Cette fois, c’est la bonne, fit le capitaine perché derrière la barre. Préparez-vous, on le rattrape !

Le bateau s’approcha encore plus de la crête noire.

— Capitaine, il va bientôt plonger, lança Ronin à côté du capitaine.

— La ferme, Ronin ! J’me concentre !

Le capitaine leva la main, totalement absorbé par le dos de la bête. Tout à coup, il baissa le bras et hurla :

— Maintenant !

L’artilleur fit feu et l’immense harpon fut projeté à toute vitesse devant le bateau. L’énorme chaîne de fer reliant le projectile à la proue se déroula comme un serpent sortant de sa cage. La pointe du harpon alla se planter en plein dans le dos de l’animal qui lâcha un hurlement strident. March et le reste de l’équipage dut se couvrir les oreilles tellement le son en devenait douloureux.

— On l’a eux ! cria le capitaine malgré le vacarme.

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Tous les matelots hurlèrent de joie, s’imaginant déjà les poches pleines d’or après une pêche fructueuse. Egas quant à lui, ne bronchait pas.

— Bande d’imbéciles, ne vous réjouissez pas si facilement, murmura-t-il à lui-même.

Devant le bateau, le dragon-baleine ne ralentissait pas et donnait des à-coups violents pour se libérer. La base du canon était solidement ancrée au mât et malgré les efforts de l’animal, l’arme ne bougea pas d’un poil.

— On l’aura à l’usure ! Hisser les voiles, il va se fatiguer rapidement, lança le capitaine.

Les gibiers se mirent à la tâche pour ralentir le navire, en rangeant les voiles afin de priver le dragon-baleine de l’avantage du vent dans son dos. Pendant ce temps, le dragon-baleine continuait son combat contre la mort, zigzagant sous les flots pour se libérer.

— Il commence à ralentir, dit March.

Egas ne dit rien, préférant observer la scène dans le silence. Tout à coup, la crête disparut sous la surface de l’eau en tirant derrière elle la chaîne reliée au bateau.

— Qu’est-ce qu’il fait ? demanda March.

Une violente secousse en provenance de la proue parcourut le pont. Des éclats de bois jaillirent dans les airs lorsque la chaîne de fer commença à mordre dans la coque. Une nouvelle secousse fit trembler L’Imbattable et un matelot manqua presque de passer par-dessus bord. Derrière la barre, le capitaine s’était tu. C’est Egas qui réagit le premier. Il courut vers la proue en criant aux artilleurs :

— Libérez le harpon ! Libérez le harpon !

Les artilleurs le regardèrent avec des yeux ébahis, ne comprenant pas pourquoi le médecin leur donnait des ordres.

— Il va nous couler ! hurla Egas.

Cette fois, les artilleurs comprirent, mais trop tard. Le dragon-baleine remonta à la surface puis replongea aussitôt dans les profondeurs de la mer. La nouvelle secousse projeta deux des artilleurs dans l’eau alors que la proue commençait à pencher dangereusement vers les fonds. Le tireur se frappa la tête sur l’arrière du canon et resta inconscient sur son siège.

— Tu vas crever, salle vermine ! hurlait le capitaine depuis son poste.

Il engagea une manœuvre depuis la barre pour diriger le bateau à tribord et tenter de fatiguer le dragon-baleine, mais celui-ci continua de tirer sur la chaîne, empêchant le navire de naviguer librement.

La panique se lisait sur les visages des matelots. La plupart avaient déjà compris que L’Imbattable s’était attaqué à une proie trop large pour son gabarit. S’il n’était pas libéré, le navire coulerait sous les flots.

Egas courut immédiatement vers le canon pour libérer la chaîne reliant l’animal au navire. Une nouvelle secousse fit tanguer le navire et Egas perdu l’équilibre. Sa tête cogna violemment la balustrade parcourant le bord du bateau et il tomba au sol, inconscient. March courut vers lui pour l’aider. Il saignait au-dessus de la tempe, mais son pouls continuait de battre. D’autres matelots qui avaient compris eux aussi le danger s’empressèrent de rejoindre le canon pour libérer la chaîne.

— La chaîne est coincée ! dit l’un d’eux.

— Je vous dis de laisser mon canon tranquille ! s’égosillait le capitaine. Ronin prend la barre !

Son second suivit les ordres sans broncher tandis que le capitaine avançait sur le pont, son épée brandie en signe de menace aux matelots.

— Je vous préviens, si l’un de vous touche à cette chaîne, je m’occuperais de lui couper les mains personnellement !

Les matelots étaient trop absorbés à leur tâche pour s’occuper du capitaine. L’animal tira encore une fois et l’extrémité du mât supportant le canon commença à s’enfoncer sous l’eau. Les trois marins qui tentaient de libérer la chaîne furent projetés dans l’eau et disparurent sous la coque. March dut se cramponner à la balustrade pour ne pas tomber lui aussi. La scène était irréelle, le pont du navire était maintenant une pente glissante menant jusqu’à la proue. Tout l’équipage se cramponnait pour ne pas finir englouti par les flots. Le capitaine fut sauvé par son épée, qu’il planta dans le plancher du pont pour s’en servir de prise. Par chance, Egas était coincé le long de la balustrade et ne bougeait pas.

March devait agir. Il était le seul qui soit assez proche de la chaîne pour la libérer à temps. Son corps se mit en mouvement sans qu’il ait besoin de réfléchir. Il se laissa glisser vers le canon en utilisant la pente glissante du pont. Au dernier moment, il attrapa une des manivelles pour ne pas connaitre le même sort que les malheureux matelots.

L’animal continuait sa course vers les profondeurs et l’eau monta jusqu’aux genoux de March. Il se hissa d’une main vers le loquet maintenant la chaîne. Il tira de toutes ses forces, hurlant sous l’effort. Trois marins avaient essayé de déloger le mécanisme avant lui sans aucun résultat et il se demanda s’il avait la moindre chance de le faire bouger.

March continua de tirer, convaincu qu’il en avait la force. Le loquet se brisa dans un éclat de métal et la chaîne fonça sous la surface, emportée par le dragon-baleine. Le bateau se renversa en sens inverse et retrouva sa position horizontale.

L’équipage était sauvé. Du moins, c’est ce que March pensait à cet instant.