Chapitre 8
Je ne me réveille qu’au petit matin en sueur. Je ne suis vraiment pas fait pour tuer des personnes. Mon entrainement prend le dessus dans l’action, mais je me sens maintenant misérable et coupable d’avoir, à nouveau, pris des vies humaines. Il me faut quelques heures de plus pour récupérer de cette expérience traumatisante et seul le luxe d’un bain bien chaud, me permet de reprendre confiance en moi.
Je rejoins l’école sans être inquiété et Nicolas m’apprend que les troupes royales ont libéré le Prince, tous les agresseurs ayant été tués. Sa position d’hériter du trône se renforce avec cette affaire, la rumeur prétend qu’il est intouchable. Avec cette affaire terminée, je peux profiter d’une tranquillité bien méritée. J’ai même droit à une surprise le jour d’après, un des salariés de l’école de magie vient me voir. Il m’apporte une nouvelle qui me surprend, un cheval m’attends dans les écuries. Je pense qu’il s’agit d’une erreur mais comme mon interlocuteur insiste je l’accompagne.
De nombreux élèves ont des montures et plusieurs chevaux appartiennent également à la Tour des Dragons. Il m’emmène jusqu’à un box où se trouve une belle jument. Sa robe est très sombre, presque noire. Encore une fois, je lui demande :
* Vous êtes sûr de ne pas faire d’erreur ?
Mais il secoue la tête en signe de dénégation et m’indique :
* La lettre qui l’accompagnait indique que c’est un cadeau de votre père, le baron Tillsmanq.
Là, je suis complètement perdu. Mon faux père ne m’offrira jamais ce genre de présent. Il a beau gagné beaucoup d’argent grâce aux marchands de Lutèce, il préfère acheter des œuvres d’art horrible pour impressionner les autres nobles. Je ne l’ai rencontré que 4 fois et je peux dire que ce n’était pas une bonne personne. Il ne s’occupe pas de rendre les gens de sa baronnie heureux.
C’est alors qu’une personne que je connais bien, fait son entrée. Il s’agit de Frédéric III, le fils de l’Empereur. L’employé quitte rapidement les lieux et le prince m’indique :
* Je ne savais pas comment te remercier pour m’avoir aidé. J’ai pensé à de l’or mais tu n’as pas l’air d’avoir ce genre de besoin. Je ne peux pas te proposer de terre, car tu as promis à ton père de reprendre la baronnie. Alors, je t’offre cette monture. Elle se nomme Jolie et elle est particulièrement endurante.
C’est le plus beau cadeau que j’ai jamais eu, et je lui dit avec émotion :
* Merci beaucoup.
Je continue de m’entrainer le soir avec Nicolas, ce qui lui permet de se maintenir au niveau de la classe « Diamant », même s’il doit faire plus d’effort que les autres. C’est après une de nos sessions que je vois arriver Emilia Lafroge. Curieusement, elle a lâché ses cheveux et cela la rend encore plus jolie. J’ai eu quelques flirts pendant ma formation sur Terre et je sais que les mariages mixtes sont possibles avec les habitants de cette planète. Certains infiltrés français qui sont ici depuis des années, ont même déjà de nombreux enfants. Je n’ai aucune idée du temps que je vais rester sur Elysium, c’est pourquoi je tente de rester le plus détaché possible dans mes relations avec les résidents de ce monde. C’est difficile, surtout avec mon compagnon de chambrée que j’apprécie de plus en plus et Ferdinand III qui montre les capacités d’un vrai leader, sans oublier la très belle adjointe du professeure qui me fait face.
Nicolas comprend qu’il est de trop et m’indique qu’il est épuisé et va aller se coucher. Il s’enfuit tel un ninja mais sans explosion de fumée et nous nous retrouvons seul sur le terrain d’entrainement. J’avoue que je ne sais pas quoi dire et j’ai une furieuse envie de me frotter l’intérieur de ma main, signe que je suis nerveux. Je me retiens in extrémis et j’entends la jeune femme me dire tout en pointant un objet derrière moi :
* Tu travailles dur.
Je me retourne et je peux voir la dizaine de cibles que nous avons détruites lors de notre séance d’entrainement, enfin, surtout moi. Je hoche la tête et j’attends la suite, elle n’est sûrement pas venue uniquement pour me complimenter :
* J’ai parlé de toi à mon père.
Je la regarde droit dans les yeux, me demandant bien ce qu’elle a bien pu dire à son paternel.
* Et malgré le fait que tu ne sois que le fils d’un baron de province.
Je ne comprends pas pourquoi elle dit cela, j’ai appris qu’elle est la troisième fille du ministre de la guerre et marquis Aurel Lafroge. Il est donc 3 rangs au-dessus de mon faux paternel et juste un rang en-dessous du titre de duc.
* Il souhaite te rencontrer.
Je fronce les sourcils, car la conclusion arrive un peu trop vite. Je ne vois pas du tout le rapport entre ses 4 phrases qu’elle vient d’annoncer. En plus, elle me regarde droit dans les yeux d’un air complètement sérieux, comme si c’était la chose la plus importante de sa vie. Mais elle n’a pas terminé, car elle m’informe :
* Soit prêt demain, à la seconde cloche du soir, devant le portail sud.
Et elle s’en va, d’un pas rapide et bien sûr, je ne peux pas la suivre, car j’ai le cerveau en ébullition. Pourquoi donc son père veut me voir ? Est-ce qu’il sait que je suis un espion venu d’une autre planète ? C’est quand même du ministre de la Guerre dont on parle. Finalement, je me reprends et file faire mon rapport à mes supérieurs grâce à la radio. Ces derniers semblent également très inquiets, mais il est trop tard pour reculer. Je suis peut-être déjà sous surveillance, surtout que certains magiciens de très haut niveau pourraient se rendre invisible, même si cela n’a jamais été confirmé. Ils me demandent donc d’y aller, mais bien équipé au cas où je devrais m’échapper rapidement. Une force d’intervention sera dissimulée non loin de la demeure du marquis, prête à intervenir et à m’exfiltrer. Ils seront déguisés avec des uniformes de soldats d’un autre pays pour rendre l’opération crédible.
Conscient de m’être préparé au maximum, je démonte mon arme de poing afin de cacher les différents éléments dans mes vêtements et mes chaussures, conçus à cet effet. J’ai appris lors de mes cours de magie, qu’un sort permet de créer une sorte de poche spatiale mais il faut être de niveau bleu, soit celui du plus puissant mage du Royaume pour réussir à le lancer, j’en suis très loin. J’ai rechargé à fond la batterie du micro et de la caméra bouton au cas où. Je regrette de laisser les grenades dans ma valise, car trop volumineuses, elles auraient été très efficaces contre des groupes d’ennemis.
A l’heure demandée, je suis devant la grille sud, ayant demandé et obtenu une dispense de la part du responsable du dortoir. C’est un véritable carrosse qui vient me chercher, uniquement pour moi, car l’intérieur est vide. Quand j’y entre, j’ai l’impression de monter de moi-même à l’échafaud, mais je chasse ces pensées noires. Au bout d’un petit quart d’heure, je me retrouve au centre de la ville, pas loin du Palais Impérial, siège du pouvoir de Frédéric II. Le véhicule s’arrête enfin devant une magnifique demeure, bien loin de celle du baron de Tillsman et je suis impressionné, car on dirait Versailles, avec ses nombreuses dorures et son style à la fois utilitaire et aérien. Cela n’a pas la majesté de la Tour des Dragons, mais celui qui y vit a un goût certain pour les belles choses.
Un garde équipé d’une longue hallebarde, d’une dague et d’un plastron en métal ouvre la porte et je descends du carrosse et me dirige vers la bâtisse bien éclairée. Machinalement, je compte le nombre de gardes et je n’en dénombre pas moins de 23 ! Bref, en cas de combat, j’aurais clairement le dessous. Une fois la porte principale passée, je rentre dans un immense hall, un lustre étincelant illumine une personne que je connais bien, Emilia Lafroge. Elle porte une tenue inédite, une longue robe de mousseline blanche parfaitement ajustée. Elle porte de nombreux bijoux qui font ressortir son époustouflante beauté et elle a les cheveux détachés.
Pris dans ma contemplation, je perds de nombreuses secondes à me rendre compte qu’un homme est à ses côtés. Je reconnais immédiatement le maître des lieux grâce aux photos prises par les espions français. Agé d’une cinquantaine d’années, il a le visage sévère et une silhouette digne d’un haltérophile. Son costume semble vouloir craquer à chaque fois qu’il fait un geste, bref, il est très impressionnant physiquement. Son regard inquisiteur me dévisage et je me dépêche de m’incliner comme le veut l’étiquette tout en me présentant :
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* Enchanté de faire votre connaissance, Marquis, je suis le fils du baron Tillsman.
Il consent à hocher la tête, son cou étant plus épais et musclé que mon avant-bras et me fait rapidement signe de le suivre. Sa fille me fait un petit signe d’encouragement et c’est ainsi que nous arrivons dans une grande salle à manger, aussi luxueuse que le reste de la maisonnée. Elle peut accueillir facilement une vingtaine de convives, mais nous ne sommes que trois et après avoir pris place, nous sommes servis par le personnel de maison.
Ces derniers partent rapidement sans dire un mot et c’est alors que le noble prend la parole :
* Je suppose que tu sais pourquoi tu es là.
Alors que je commençais à être un peu plus à l’aise, sa question me hérisse d’un seul coup et j’ai une furieuse envie de me gratter la paume de ma main. Toutefois, une fois que le vin est tiré, il faut le boire et je réponds, le regardant droit dans les yeux :
* Votre fille m’a indiqué que vous souhaitez me rencontrer.
De toute évidence, c’était la réponse qu’il attendait, car il me dit sans ambages :
* C’est exact, je veux que tu arrêtes de tourner autour de ma fille et…
Il n’a pas le temps de continuer sa phrase, car Emilia crie quelque chose comme « Papa ! ». J’avoue que je ne prête qu’une oreille distraite à leur conversation. Mon cœur qui battait à cent à l’heure il y a quelques minutes reprend un rythme régulier et j’ai une furieuse envie de rire, tellement la tension que j’ai éprouvé début de cette soirée était forte. Moi qui pensais que j’allais devoir risquer ma vie pour sortir de cet endroit en un seul morceau, je suis juste le prétendant, bien involontaire de sa fille. Je comprends la réaction du paternel, le sang est plus important que tout, les enfants nés hors mariages sont très rares, le divorce n’existe tout simplement pas, certains nobles ont mêmes des harems. L’Empereur Frédéric II Pendragon a par exemple 4 épouses toutes filles de duc ou de marquis, mais il faut pouvoir les assumer financièrement et moralement. Je suis tiré de mes pensées car la discussion entre la fille et son père est terminé et ce dernier m’annonce :
* Emilia est la troisième de mes filles et la sixième et dernière de mes enfants. Même si tu es bon à l’escrime et que tu sais lancer quelques sorts, tu restes un fils de baron.
Je suppose qu’il doit s’attendre à un démenti ou à un plaidoyer pour lui prouver que je suis digne de sa fille mais à la place, je lui dis simplement :
* Vous avez tout à fait raison, je ne suis pas digne de votre fille.
Et j’en profite pour manger de la soupe qui est absolument délicieuse, rien que pour la nourriture, cela valait le déplacement. Le ministre est interdit par sa réponse et même Emilia me regarde avec des yeux ronds. Je me sens désolé pour elle, après tout, je la trouve très jolie, mais est-ce que j’ai le droit de lui donner de faux espoirs ? Je ne suis pas militaire et je n’ai donc pas, théoriquement, à exécuter les ordres du commandant de la base de Lutèce, mais je me suis engagé moralement à servir mon pays. Une fois les 3 années passées à l’école de Magie, je devrais sans aucun doute rentrer sur Terre pour l’enseigner. Je devrais alors laisser ici tous mes amis et relations, sans une lettre d’adieux ni aucun mot d’explication. Le baron indiquera simplement que j’ai disparu sur la route, que je suis considéré comme mort et l’affaire s’arrêtera là. Si je la fréquente, c’est en vue du mariage, le badinage étant interdit, toujours dans le but de conserver ce fameux sang le plus pur possible. Je ne veux pas en faire une veuve avant ses trente ans.
Le repas se termine ainsi, dans le silence le plus total, jusqu’à ce qu’Emilia craque et commence à pleurer. Elle devait s’imaginer plein de choses avec cette soirée et nous avons ruiné tous les deux ses espoirs. Finalement, elle quitte la table en bredouillant quelques mots d’excuses, me laissant en tête à tête avec son père. Finalement, le maitre des lieux, un peu mal à l’aise, prouvant ainsi qu’il aime sincèrement sa fille, se lève et met sa main sur mon épaule :
* Tu as fait le bon choix, jeune homme. Ma fille t’en sera reconnaissante plus tard.
C’est possible, dans les contes de fée, les femmes épousent des nobles de rang bien supérieurs à celui des barons, voire carrément des princes ou des rois.
Alors que je pensais pouvoir prendre congé, il continue :
* Notre famille a une dette envers toi depuis que tu as sauvé Emilia, alors viens avec moi.
Il m’entraine jusqu’à l’étage, dans son cabinet de travail, si je me fie au grand bureau couvert de documents. Ayant ouvert une grande armoire, il s’écarte pour me laisser voir un râtelier d’épée qui est logé à l’intérieur. Il y en a de toutes tailles et de tous types et je reconnais rapidement une de notre fabrication, que je prends. Le maitre des lieux étouffe avec peine un petit cri de désespoir et me dit, d’une voix faussement enjouée :
* Tu as bon goût, c’est ma dernière acquisition et elle m’a couté une petite fortune. Son acier est d’une pureté extrême et le forgeron doit être un des meilleurs artisans de notre pays, nul doute que son seigneur est maintenant un homme riche.
Devant de tels compliments pour l’industrie française, je ne résiste pas et je dévisse rapidement le pommeau pour lui montrer le blason des Tillsman. Il est abasourdi par cette information et je remets en place l’épée, peu désireux de prendre une arme très au-dessus de mon rang qui risque de me valoir de nombreuses questions. C’est alors que le marquis reprend la parole et me demande ;
* Tu dois connaitre la personne qui a forgé ce chef-d’œuvre. Je te propose une partie d’échecs, si je gagne, tu me dis tout ce que tu sais à ce sujet, si tu gagnes, tu pourras me demander tout ce que tu veux, excepté la main de ma fille, bien sûr.
Je réfléchis à peine quelques secondes, la couverture pour le forgeron fictif a déjà été mise en place il y a quelques années par la base de Lutèce, avec une histoire complète sur sa vie et sa mort. Pour augmenter les prix, une légende a été lancée. Il aura réalisé un nombre inconnu d’épée de toutes catégories, toutes des chefs d’œuvre. Même sa forge a été construite près la barrière montagneuse pour plus de crédibilité. Je lui donc d’une voix assurée :
* Ce sera avec grand plaisir.
Il pousse rapidement quelques papiers, libère une chaise et avance un échiquier. Ce jeu n’a pas évolué depuis des milliers d’années et je me trouve en terrain connu. Mon adversaire doit être confiant en ses capacités pour me faire ce genre de pari et il me laisse les blancs. J’ai fait de nombreuses parties contre ma mère qui est très bonne à ce jeu et j’ai très rarement réussis à la battre, mais j’ai appris quelques tours. Je commence donc par une ouverture classique afin de réaliser le coup du berger. Je bouge mon pion, puis mon fou et enfin, ma reine, gagnant en seulement 4 coups.
Je vois l’homme qui me fait face grincer des dents et les veines de son cou sortir encore plus. A un moment, j’ai même l’impression qu’il va s’énerver et casser la table en deux, mais il se contente de rire, en m’indiquant :
* Tu es un homme plein de surprises. Je respecterai ma parole et si, un jour, tu as besoin des Lafroge, nous répondrons présents.
C’est déjà bien plus que ce que j’espérais et nous continuons à jouer aux échecs, jusqu’au petit matin. Il en profite pour me narrer les exploits qu’il a réalisé lors des nombreuses batailles auxquels il a participé, étant avant de devenir ministre, un général de l’armée de l’Empire de Pendragon. C’est là une occasion unique d’en apprendre plus sur les tactiques militaires de ce monde et ma caméra n’en perd pas une miette. Le fait que je l’écoute avec autant d’attention et que je lui pose des questions sur tel ou tel point, semble beaucoup lui plaire. Sa famille doit en avoir assez de l’écouter parler ou est peu intéressée par ce sujet.
Finalement, le soleil se lève et le maitre des lieux s’excuse de m’avoir retenu aussi longtemps. Je lui réponds en souriant que ce n’est rien et que ce fut très intéressant, je suis sincère dans mes propos. En descendant l’escalier, nous tombons nez à nez avec Emilia, surprise de me voir encore ici et semble inquiète, mais le marquis me met familièrement la main sur l’épaule et lui annonce :
* Tu t’es trouvé un ami fort intéressant.
Puis il se tourne vers moi et me dit, avec un clin d’œil très peu discret :
* Tu es le bienvenu quand tu le souhaites.
Emilia me fait un large sourire et je profite de son carrosse pour rejoindre à temps l’école de magie pour le début des cours. En chemin, elle me pose de nombreuses questions sur tout le temps que j’ai passé avec son père et a beaucoup de mal à accepter que j’aie réussi à battre son paternel aux échecs, ce dernier étant un joueur de renommé national. Emilia finit par aborder, le sujet principal, la raison de ma venue et m’indique :
* Je t’ai invité car je t’apprécie beaucoup. Mon père s’est fait des idées et je sais très bien que tu n’es pas comme les autres garçons.
Je suppose que les autres garçons sont plus intéressés par son titre que par sa personne. Je lui réponds donc en souriant :
* Ne t’inquiète pas pour cela, j’apprécie beaucoup ton père. Concernant notre discussion lors du repas, j’étais sincère dans mes paroles, je ne suis pas digne de toi.
Je vois une ombre passer sur son visage et le reste du voyage se fait en silence. Finalement, nous arrivons à destination et je reprends ma vie d’étudiant.