Chapitre 2
On me fait signe et c’est à mon tour d’entrer sur le domaine de l’école.
J’arrive devant une jeune femme d’une vingtaine d’années, très jolie, brune avec une queue de cheval. Elle est assise à une table et me regarde attentivement. Il faut dire que même si je joue le rôle d’un fils de noble de rang inférieur, je ne peux pas cacher mon physique. Mon corps est musclé par des heures d’exercice au combat, aussi bien à l’épée qu’au corps à corps. Cette posture détonne dans ce groupe de gosses de riches qui n’ont jamais dû faire de sport de leur vie.
Pour ma part, je la salue respectueusement. Elle doit être en troisième et dernière année, si j’en crois son uniforme. C’est une grande différence par rapport à certains pays de mon monde d’origine, ici, les hommes et les femmes, dans la noblesse sont strictement égaux. C’est sans doute grâce à la magie, qui touche les sexes de manière identique, puisque les femmes du peuple sont beaucoup moins bien traitées que leurs homologues masculins.
Une fois cette révérence réalisée, elle me demande d’une voix sévère :
* Votre nom et titre.
Evidemment, je me suis préparé à ce genre de questions et je lui réponds donc, la regardant droit dans les yeux :
* Robert Tillsman, fils du baron de Tillsman.
Elle semble un moment décontenancée, n’ayant jamais entendu parler de ce domaine. Par acquis de conscience, elle vérifie sa liste et semble presque surprise de m’y trouver. L’inscription n’est pas donnée et si le commandant de la base, le Général de Brigade Davout n’avait pas aidé mon « père » financièrement, il n’en aurait jamais eu les moyens. Je suis sans aucun doute classé comme noble de troisième zone mais cela ne me dérange guère. Après tout, mon but est de rester le plus discret possible, d’obtenir mon diplôme et de revenir en France pour partager mes connaissances avec les futurs apprentis en formation sur le plateau du Larzac.
L’établissement ressemble un peu à un campus américain. Il forme un cercle parfait et entièrement clos avec des grilles de 3 mètres de haut, les 4 portes étant les seuls accès. Au sud, celle du Griffon par où je suis rentré, puis dans le sens de l’aiguille d’une montre, celle de la Wywerne, celle du Phoenix et enfin, celle du Pégase. De nombreux bâtiments en pierre blanche forment un anneau au milieu duquel se dresse un édifice gigantesque, impossible à construire avec les moyens de l’époque. Cette tour ronde de près d’une centaine de mètres de haut, percée d’innombrable fenêtres, a dû être bâtie avec une puissante magie. C’est sa présence qui a donné le nom à cette école, la Tour des Dragons.
J’y entre parmi les derniers et des gardes ferment la porte derrière moi, nous isolant complètement du monde extérieur. Il y a plusieurs centaines d’élèves réunis dans une très grande salle. Au-dessus de nous, sur une grande plateforme se trouve un homme très âgé, au vu sa chevelure argentée. Il est vêtu d’une grande robe mauve et or. Il porte un joyau d’un vert éclatant, dans un collier porté autour du cou et bien visible malgré sa longue barbe.
La salle est parfaite d’un point de vue acoustique, car je l’entends très distinctement dire :
* Je suis le grand mage Tempus, directeur de cette école. En cette année 325 du Dieu Renaissant, je vous souhaite la bienvenue, vous la 203eme promotion depuis l’ouverture de la Tour des Dragons ! Nous sommes heureux d’accueillir au sein de cette académie, les futurs dirigeants de notre glorieux empire. Cette année est spéciale à plus d’un titre, car le fils de l’Empereur Frederic II, est présent.
Je peux voir tous les élèves regarder partout autour d’eux, mais personne ne sait à quoi il ressemble. Personne sauf moi, car l'un des espions à la capitale a pu le photographier alors qu’il était dans son palais, à 2 km de distance, grâce à un téléobjectif. Je peux ainsi constater qu’il est juste à côté de moi ! Je ne peux m’empêcher de faire un pas en arrière et le prince me regarde surpris, ne devant pas s’attendre à ce que quelqu’un le reconnaisse.
Pourtant, avec ses cheveux blonds impeccablement coiffés, ses yeux verts comme des émeraudes et une taille digne d’un mannequin, il est l’archétype du héros d’un conte de fée. Conscient de ma bourde, je reprends ma place comme si rien ne s’était passé, espérant qu’il y verra un simple hasard. Je vais devoir être plus prudent à l’avenir, il faut que je réagisse comme un banal habitant de ce monde. Perdu dans mes pensées, je me rends compte que j’ai loupé une bonne partie du discours. Heureusement, mes vêtements intègrent de nombreux gadgets fort utiles, dont une caméra et un micro camouflé en bouton de veste. La batterie et l’enregistreur sont une merveille de technologie et peuvent fonctionner toute une journée sans être rechargés. Je vais pouvoir me repasser les instructions cette nuit, lors de la recharge de mon équipement, ma valise contenant tout le nécessaire et bien au-delà.
Après une dizaine de minutes de discours, le vieil homme se retire, indiquant une nouvelle fois à quel point nous sommes les meilleurs, et semblant particulièrement fier de son école. Son adjointe, une femme d’une trentaine d’année, à la peau dorée, aux longs cheveux châtains et répondant au nom de Monique Evegold, prend la parole :
* Je vais vous demander de prendre la porte de gauche où se trouve une salle d’examen. Vous allez tous subir un test pour déterminer votre classe.
J’avais déjà été prévenu, lors de mon briefing sur Terre, de ce passage obligé.
Il y a en tout 10 classes de 30 élèves. La première est réservée aux élèves les plus brillants et ainsi de suite, jusqu’à la classe 10, regroupant les moins bons. Je suis donc le mouvement et nous arrivons dans une salle magnifique, un genre d’amphithéâtre en demi-cercle et au milieu, une estrade avec un immense tableau derrière.
Je n’ai qu’à prendre une place au hasard et une copie m’est rapidement distribuée par un assistant. Je prends alors mes lunettes, un accessoire inutile car je vois très bien, mais ce modèle est équipé d’une petite caméra incrustée dans la monture très ancienne. Montrer chaque document au bouton-caméra de ma veste aurait paru très suspect, cet accessoire est donc fort utile. D’ailleurs, certains des candidats imitent mon geste et je peux ainsi me concentrer sur l’examen. Ce dernier fait plusieurs pages et d’après le sablier sur le bureau, le temps imparti est court.
Je commence donc et je réponds avec précision aux différentes questions. Les premières, celles de mathématique sont ridiculement simple, celles de l’histoire du Royaume sont plus difficiles, mais les plus compliqués restent celles sur la théorie magique. C’est là où j’ai le moins de connaissance, que ce soit les différents éléments à apprendre, la puissance de chacun ou encore le fameux mana présent chez les nobles et permettant au cristal de fonctionner. J’essaye de faire de mon mieux mais je ne sais pas si ce que mes réponses sont pertinentes ou non. Je me rassure, en me disant que grâce à moi, mes compatriotes arriveront mieux préparés et je finis au moment même où le dernier grain du sablier tombe.
Le même assistant ramasse les copies et nous restons sur place jusqu'à l'arrivée des résultats. L’attente est longue et j'en profite pour regarder tout autour de moi les autres élèves. Certains semblent satisfaits de leur prestation, mais la majorité est inquiète et je les comprends. Les professeurs particuliers sont rares et les nobles se les arrachent, faisant grimper les prix. Seuls les plus riches peuvent donner une éducation d’élite à leur enfant. Je peux voir la diversité des membres de l’aristocratie devant moi, les vêtements reflétant le rang de chaque individu, une sorte de compétition sociale dont je fais moi-même partie avec mes vêtements très simples. La seule exception est le prince qui est vêtu comme un duc, sans doute pour cacher son identité, même si ce rang reste très élevé.
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Finalement, les assistants reviennent et affichent les résultats au grand tableau du fond. J’espère avoir la moyenne, me permettant de me fondre encore plus dans la masse et je peux voir que j’ai reçu un A+. Je sens un frisson me parcourir le dos, car je ne m’y attendais pas. Je ne connaissais pas le barème de chaque question et je n’ai pas pu me faire une idée précise du résultat. A l’annonce de mon nom, je quitte la salle pour rejoindre l’extérieur. Un serviteur de l’école en livrée marron et or, coûtant sans aucun doute plus cher que ma propre tenue, me conduit à un grand bâtiment qui sert de dortoir, uniquement pour les élèves masculins. Il est situé à gauche de la Tour, où l’on me remet mes affaires et une clé de ma chambre.
N'ayant pas de serviteur à ma disposition, un domestique pour un noble de mon rang étant complètement hors de question d’un point de vue financier, je porte moi-même mes affaires. Il y a 2 lits avec le mobilier correspondant et par habitude, je décide de prendre celui le plus loin de la porte. Je peux enfin déballer mes affaires, du moins celles qui sont standards dans ce monde. Mon matériel spécial reste dans une valise disposant d’une serrure à empreinte digitale, inforçable avec les moyens dont disposent les gens de cette planète. Toutefois, je prends le temps de sortir mon Glock 19, plus facile à dissimiler et très maniable, disposant également d’une bonne capacité de munition. J’ai de nombreux chargeurs dont un avec balle perforante à utiliser uniquement comme dernier recours, un silencieux permettant le maximum de discrétion.
J’hésite à utiliser la radio pour envoyer mon premier rapport, mais mon futur colocataire peut arriver à tout moment et je dois rester le plus discret possible, j’attendrai donc la nuit. Une fois mes affaires rangées et le pistolet bien dissimulé, l’on frappe à la porte et un garçon de mon âge, petit, fluet mais possédant une étonnante tignasse rousse entre, sa valise à la main. Il doit s’agir d’un noble plus important que moi, vu sa tenue, mais ses yeux bleus très clairs trahissent sa nervosité et d’ailleurs, il baisse la tête avant de se présenter :
* Je suis Nicolas, fils du Vicomte Lancel.
Je lui souris et me présente à mon tour :
* Enchanté, je suis Robert, fils du baron de Tillsman.
Si ma mémoire est bonne, son père, roturier devenu riche grâce au commerce, a épousé une fille de la famille Lancel, au bord de la faillite suite à de nombreuses dettes de jeu. Plusieurs enfants sont nés de leur union et sont donc devenus naturellement des porteurs du fameux groupe sanguin.
Seuls les nobles pratiquent la magie, les analyses de sang effectuées à l’insu et sur quelques membres de l’aristocratie ont montré qu’ils sont tous de groupe sanguin AB négatif. Sur Terre, seul 1% de la population est porteur de ce groupe sanguin et les scientifiques français pensent que c’est le cas également sur Elysium.
Je ne peux m’empêcher de remercier dame Fortune. Parmi tous les participants ayant terminé le programme, je suis le seul porteur de ce groupe sanguin. Je sais que beaucoup d’autres élèves AB négatif sont en cours de formation sur Terre, mais ils ne seront pas encore opérationnels avant 2 ans, je suis donc le premier à avoir pu m'infiltrer dans cette école.
Je laisse mon nouveau camarade de chambrée s’installer sans le déranger et au bout de quelques minutes, nous entendons une cloche sonner, c’est le signal pour rejoindre la salle à manger.
Nous sortons ensemble et devisons sur le chemin, enfin, je l’écoute surtout me parler de sa famille qu’il semble beaucoup apprécier. Il est l’ainé et son père a de grands espoirs pour lui. Cela me fait penser à ma propre situation. En effet, j’ai aussi ce genre de pression, sauf que ce ne sont pas seulement mes parents qui comptent sur moi mais également toute une nation, voire les 6 milliards d’habitants de la planète Terre.
Heureusement, je n’ai pas le temps de trop penser à cela, car une bonne odeur vient chatouiller mes narines. Pressant le pas, nous arrivons à la cantine déjà bien remplie où nous faisons la queue pour entrer. Arrivés devant une sorte de self, nous prenons un plateau pour y poser notre nourriture, un poulet cuit à la perfection et des carottes, ne manque que quelques épices. Les animaux sont identiques à ceux de ma patrie d’origine, du moins la majorité, car des créatures fantastiques sont également présentes, en nombre très restreint heureusement. Il semble que le passage qui relie les 2 mondes ne soit pas le seul qui ait existé, ce qui a inspiré la littérature fantastique terrienne au fil des siècles. Les scientifiques sont persuadés que le passage va passer par une taille maximale avant de diminuer puis de disparaitre, mais les données restent à consolider.
Nicolas me considère maintenant comme son ami, notre différence de statut étant faible. La noblesse est divisée en 6 différentes classes ; cela va du plus bas Baron, puis Vicomte, Comte, Marquis, Duc et bien sûr Roi. Les prêtres n’ont ni titre, ni terre mais disposent d’une forte influence sur le peuple avec des églises présentes dans chaque village et même une cathédrale à Camelot, la capitale de l’Empire de Pendragon.
Nous prenons donc une table et je peux alors analyser sereinement la situation, tout en mangeant rapidement mon plat. Je suis sans aucun doute la personne de plus basse extraction de toute l’école, mon compagnon de chambré me confirmant même que la plupart des élèves présents emploient au moins 2 serviteurs. Lui-même n’en possède pas car son père lui a demandé de se débrouiller tout seul. Une fois nos plats terminés, nous nous apprêtons à nous lever quand 3 jeunes gens nous bloquent le passage. Ce sont des descendants de comtes un peu plus âgés que nous, si j’en crois le blason de deuxième année cousue sur leurs vêtements luxueux. Ils sont menés par un fils de marquis, Damien Lonfole, qui, lui, est en 1re année. Ils ont un sourire que je connais fort bien, celui de petites frappes qui ont choisi une victime à harceler. D’ailleurs, cela ne manque pas car leur chef nous demande :
* Que fais-tu ici, le fils de roturier ?
Je suis surpris, je pensais qu’il venait pour moi, mais je ne semble guère les intéresser. La cible est manifestement le sang-mêlé, ce qui m’arrange à vrai dire. Ne voulant pas attirer l’attention, je décide donc de partir car ce n’est pas mon problème et je me lève. Mon geste, pourtant anodin, provoque une réaction inattendue. L’harceleur pense que je vais l’attaquer et recule d’un bond sans regarder derrière lui. Il percute une autre personne et il tombe lourdement au sol. Fou de rage, il se lève et s’apprête à sortir une dague. Par réflexe, je lui donne un rapide atemi, le tranchant de ma main le percutant avec force au niveau poignet. Il crie de douleur et tombe à nouveau, se tenant la main droite. Avec ce coup, il aura du mal à s'en servir pendant plusieurs heures.
Alors que je m’apprêtais à partir, les 2 sbires du marquis ayant prudemment fait un pas en arrière, la cible du fils de marquis me bloque le passage et me dit :
* Merci pour ton aide.
Alors que je m’apprêtais à lui répondre que ce n’est pas grand-chose, je remarque qu’il s’agit du Prince ! Pris par l’action, je n’ai pas réfléchi et me voilà dans de beaux draps. Il me demande :
* Où as-tu appris ce genre de coup ?
Effectivement, il n’y a pas d’art martial dans ce monde, les soldats combattent à l’arme blanche, les paysans avec des bâtons et les nobles avec leur magie. Personne n’a eu la nécessité de développer le karaté ou encore ce que j’ai appris lors de ma formation de krav-maga. C'est une technique qui provient de la boxe, du judo, du ju-jitsu et de la lutte. Le krav-maga ne suit aucune des règles des autres arts martiaux et permet l'usage de la violence, ce qui le rend particulièrement adapté en conditions réelles. Heureusement, me suis pourtant préparé à cette situation et je lui réponds d’un ton détaché, comme si cela n’avait pas d’importance :
— C’est mon grand-père qui me l’a appris.
Toujours impliquer les ainés dans les réponses. En effet, ce monde est très respectueux envers les plus anciens et je n’hésite pas à en profiter au maximum. En tout cas, il semble intéressé par ma réponse et il conclut :
— Cela me semble fort efficace.
Je mets fin rapidement à notre semblant de conversation et après un bref signe de tête, je quitte les lieux, rejoins par un Nicolas très reconnaissant de mon intervention. Je ne lui ai pas dit que je n’ai jamais eu l’intention de l’aider, faire ce genre de petite omission est devenu aussi naturel que de respirer.