Chapitre 10
Le matin, je suis entièrement reposé. La capacité du corps à récupérer entièrement de la fatigue liée à la magie pendant la nuit est vraiment impressionnante. Je peux donc me lever et suivre le reste des combats, Emilia finissant quatrième ce qui est vraiment très bien. Les premières années ont maintenant quartier libre pendant les vacances d’été de juillet-août. Je comprends vite que la jeune femme essaye maintenant de m’éviter et je suis d’accord avec cela, j’ai également peur que mes bonnes résolutions fondent comme la neige au soleil en la voyant.
Nicolas part pour rejoindre le fief de son père et il semble triste de me quitter, ne serait-ce que pour 2 mois. Nous passons le reste de temps ensemble, je l’aide à faire ses bagages et je mentirais si je n’éprouvais pas un pincement au cœur quand il quitte l’école. Quand je rejoins ma chambre, ne devant partir que le jour suivant, je vois avec surprise un serviteur en livrée du Palais Royal qui me tend une lettre. Curieux, je l’ouvre et je découvre une invitation pour le bal donné en l’honneur de l’anniversaire du Prince dans 4 jours ! Je ne m’attendais pas à cela, mais il s’agit d’une chance unique pour entrer dans le lieu le plus sécurisé de tout le Royaume.
Je préviens alors, toujours par radio, la base et nous mettons en œuvre un plan. On va m’envoyer un cadeau bien particulier pour sa Majesté et je reçois la description des 2 seuls espions qui ont réussi à s’infiltrer, au cœur du pouvoir, en tant que domestique. Ce n’est pas un problème de compétence, l’instruction donnée aux espions français étant bien plus élevée que le standard du royaume. Ce n’est pas non plus un manque de papier d’identité, ils sont ridiculement faciles à contrefaire, comparé aux passeports modernes. La difficulté ici, ce sont les références. Un domestique postulant pour la Palais, doit avoir, au minimum, dix années de travail irréprochables dans une grande famille, lorsqu’il vient de l’extérieur et c’est rigoureusement contrôlé. Les autorités de Lutèce ont dû soudoyer à 2 reprises des familles influentes de la capitale, afin qu’elles puissent se porter garant pour les infiltrés du Palais et cela n’a pas été sans mal. Au fur et à mesure du temps, ce genre de chose devrait être plus facile.
Une des craintes du Gouvernement français était les sondages mentaux réalisés par la magie, mais il n’existe pas de sort enseigné à l’académie qui puissent réaliser de telle chose, j’ai vérifié. Il reste toujours comme inconnu les sorts offerts par la magie des Ténèbres et de la Lumière, mais les prêtres sont peu nombreux dans l’enceinte de la résidence de l’Empire. De plus, aucun indice ne permet de soupçonner une telle capacité. Je reçois l’ordre de ne pas porter d’arme dissimulée et seulement le micro et la caméra avec sa petite batterie. Je vais être dans la même pièce que le mage royal qui est de niveau bleu et ses capacités sont complètement inconnues, autant ne pas prendre de risque. J’en saurais plus quand je serais en deuxième puis en troisième année, du moins, si je survis jusque-là. Donc le mieux serait que je l’observe de loin et que je ne m’approche pas de lui, après tout, cela ne fait qu’un an que je suis dans cette académie, il ne devrait pas s’intéresser à moi.
Le jour de la fête, je suis paré des plus beaux vêtements qu’un fils de baron de province puisse avoir. J’ai opté pour des couleurs sobres et une coupe simple, sachant pertinemment que je ne pourrais jamais rivaliser avec des nobles de haut rang. Je me rends donc dans le centre-ville de la capitale, Camelot, le palais impérial étant visible de loin et grâce à mes nombreuses visites à la famille Lonfole, je ne risque pas de me perdre.
Je suis un des rares à venir à pied, la plupart des invités viennent en carrosse. Cela ne me dérange guère et j’attends patiemment mon tour. Les gardes examinent chacun des invités et les saluent selon leurs rangs, autrement dit, ils se contentent de hocher rapidement la tête pour ma personne. Cela ne me dérange pas, n’ayant aucune considération pour la hiérarchie d’un pays étranger et dont j’usurpe le titre de noblesse. Je dois laisser mon cadeau à l’extérieur au poste de sécurité pour vérification, mesure de sécurité standard, je sais que je le reverrai à l’intérieur.
Une fois passé les grilles, l’entrée est majestueuse et les gardes omniprésents. Fait nouveau, le fameux bataillon de mage, le corps des phœnix a été déployé. Il s’agit de membres de la noblesse, ayant un cristal vert, qui sont au service exclusif de l’Empereur. Les apprentis mages ont l’obligation de faire un service militaire d’un an à leur 21ème anniversaire mais les membres de cette organisation sont des militaires à temps plein et considérés comme redoutable sur un champ de bataille.
Pour le moment, je n’ai pas à m’en soucier et j’entre dans une immense salle très décorée. Le chambellan à l’entrée ne prend même pas la peine de m’annoncer, ce qui me va très bien. Mon but est vraiment de faire profil bas, d’offrir son cadeau au Prince et tout cela sans faire de vague. C’est un objectif simple à réaliser et je me sens tout à fait capable de le faire. Je suis un espion, la discrétion est mon métier et…
* JE N’Y CROIS PAS, LE DECHET EST LA !
Tout le monde se retourne vers moi et je vois arriver, de manière triomphale, Damien, accompagné par son père, le marquis Lonfole. Je suis désappointé que ma prestation en tant qu’homme invisible n’ait pas duré plus de dix secondes et je soupire. Mais ce n’est pas terminé car l’aristocrate casse-bonbons continue :
* Qui est l’idiot qui t’invité ? On ne devrait pas laisser n’importe qui entrer ici.
Et il croise les bras, jubilant, les yeux brillants comme s’il avait annoncé la chose la plus drôle du monde. En tout cas, cela fait de l’animation car un cercle important commence à se créer tout autour de nous. Je ne maitrise pas vraiment les codes de l’étiquette impériale, j’ai juste reçu quelques conseils de la part des autres infiltrés de notre nation. Comme disait Coluche, de tous les gens qui n’ont rien à dire, les plus agréables sont ceux qui se taisent, je n’ouvre donc pas la bouche.
Je vois bien que mon absence de réaction enrage encore plus mon interlocuteur. Alors qu’il allait m’insulter une nouvelle fois, Aurel Lafroge, ministre de la guerre, débarque dans une tenue entièrement noire, tel Zorro. Il commence d’abord par me saluer en me serrant vigoureusement la main, pour montrer à tout ce beau monde qu’il me connait, puis il se tourne vers le père de l’impertinent :
* Ton fils ose insulter un ami de ma famille ?
Je vois l’interpellé regarder très surprise son enfant, ce dernier lui a sûrement indiqué que j’étais un pauvre fils de baron et que je n’avais aucun soutient. Mais ce n’est pas fini, car une autre personne arrive à mon secours. Si le premier ressemblait à un Zorro sous stéroïdes, le second est un ange tombé du ciel. Avec son vêtement d’une blancheur immaculée, sa crinière digne d’un lion mais coiffé au cordeau, ses yeux de jade, le Prince fait une entrée très remarquée. Ce dernier prend également place à côté de moi et demande sur un ton léger, toujours à l’attention du marquis :
A case of literary theft: this tale is not rightfully on Amazon; if you see it, report the violation.
* Je n’ai pas bien compris la phrase concernant la personne qui l’a invité, auriez-vous l’obligeance de me la répéter ?
Je vois l’homme déglutir avec difficulté, car son fils vient de manquer de respect à des personnes très puissantes. Pour sauver la face, il oblige son fils à baisser la tête, faisant le même mouvement et nous indique d’une voix contrite :
* Toutes mes excuses, j’ai mal élevé ma descendance ? Cela ne se reproduira plus, je vous le promets sur mon honneur.
Et sans perdre de temps, ils partent rapidement tous les 2 à l’autre bout de la salle. L’attroupement se dissout rapidement, même si je sens de nombreux regards sur moi, m’indiquant que mon objectif de rester sous les radars a complètement échoué. Maintenant qu’il ne reste plus que le Ministre et le Prince, je vois une tension palpable entre eux et j’entends ce dernier dire, d’un ton mielleux :
* Je suis surpris que vous connaissiez aussi bien, mon grand ami.
Le marquis lui répond avec un grand sourire :
* C’est également une personne que j’apprécie beaucoup et il connait fort bien ma fille.
Le prince insiste :
* Alors, je suis sûr que vous comprenez qu’à la fin de ses études, il reste à la cour pour m’assister.
Le marquis, toujours souriant, ne se laisse pas démonter :
* Je ne ferais jamais rien contre le Prince, mais la défense du Royaume est également importante et nous manquons de magicien compétent.
J’ai l’impression d’être une marchandise qu’on se dispute et pendant qu’ils continuent à argumenter, je préfère prendre la poudre d’escampette. Plusieurs balcons, répartis en hauteur tout autour de la pièce, permettent d’avoir une vue bien dégagée. Je monte quelques escaliers en marbre blanc, les images enregistrées pourront ainsi être de meilleure qualité. Je constate que tous les gens présents portent un cristal alors que ce ne sont pas tous les aristocrates qui pratiquent la magie. Je comprends rapidement pourquoi, si une personne n’arbore cet accessoire, cela veut dire que sa famille a été trop pauvre pour l’envoyer à l’école ou qu’il ne possède pas le bon sang. Quel que soit la raison, c’est mal vu par cette élite. La majorité des cristaux sont de couleur jaune et rouge. Il y a quelques cristaux orange et une minorité de cristaux verts.
Le bal proprement dit commence enfin et je reste sagement à ma place, ne sachant absolument pas danser. Mes 5 ans d’études dans la base militaire du Larzac ne m’ont absolument pas préparé à cela. Ce n’est pas mes quelques trémoussements lors des soirées d’anniversaire de mes amis, sur Terre, qui vont faire la différence. Je suis sorti de mes réflexions par la présence d’une éblouissante jeune femme qui vient d’arriver à mes côtés. Sa robe rouge s’harmonise parfaitement à ses cheveux d’un blond éclatant et chacun de ses bijoux doivent valoir une baronnie. Elle n’a pas de cristal, signe qu’elle n’est pas encore entrée à l’académie. Elle commence directement par me tutoyer :
* Je ne vois vraiment pas ce que mon beau-frère te trouve, tu es très quelconque.
Je réfléchis intensément pour me souvenir, parmi toutes les photos que j’ai vues, qui peut bien être cette personne. Grâce à l’indice qu’elle vient de me donner, j’arrive à l’identifier. Exécutant une révérence très basique, je lui réponds :
* Enchanté de faire votre connaissance, Damoiselle Mélodie de Pendragon.
J’ai devant moi, la seule princesse de l’Empire et la demi-sœur de Frédéric III, car ils n’ont pas la même mère. Je sais très bien que je viens de me faire insulter, mais cela ne m’atteint guère et je n’ajoute rien, l’ignorant ostensiblement. Vexée que je ne fasse pas plus attention à elle, elle continue d’un ton empreint de colère :
* J’allais te proposer de rejoindre mon camp l’année prochaine quand j’arriverai à l’académie de magie, mais tu es trop idiot et tu préfères rester avec le Prince.
Je la regarde droit dans les yeux et lui indique :
* Je ne suis avec personne, vos jeux de pouvoir entre vous ne m’intéressent absolument pas.
Elle est surprise par mes paroles. Personne n’a jamais dû lui dire qu’il était neutre, chaque noble devant choisir son camp pour profiter des avantages du vainqueur ou se rallier à lui. Elle s’approche donc de moi, j’arrive même à sentir son parfum délicat de rose et me dit à l’oreille :
* L’ordre de succession va bientôt changer, alors réfléchis bien.
A peine a-t-elle fini sa phrase qu’Emilia, dans une belle robe bleue, entre sur le balcon, nous découvrant tous les 2, dans cette position. Son visage devient rouge écarlate et sans ajouter un mot, elle quitte les lieux d’un pas pressé. Pour ma part, j’aimerais bien la rejoindre pour lui expliquer la situation mais la Princesse a peut-être plus d’information sur la situation politique du Royaume. Si le Prince est écarté ou pire, si une guerre civile éclate pour le trône, il faut absolument que le gouvernement français en soit informé. Je lui indique donc, sans mentionner l’incident avec la fille du marquis :
* Que voulez-vous dire par cela ?
Je vois les yeux de mon interlocutrice briller, ravie d’avoir éveillé mon intérêt mais elle me répond simplement :
* Je te dirai tout en septembre.
Puis elle quitte à son tour le balcon, me laissant seul. Je ne sais pas quoi penser, mais il semble important, une fois cette cérémonie terminée, de prévenir la base de Lutèce. Les trompettes sonnent bruyamment, interrompant les danseurs et l’Empereur Frédéric II fait son entrée. Il a les cheveux couleur de l’or, un port empreint de majesté et une stature certaine d’homme d’état. Il porte un cristal vert et un costume blanc, comme son fils, avec une couronne sur la tête. Derrière lui marchent 3 femmes qui sont ses épouses. Il manque sa première femme, la mère du Prince, les rumeurs disant qu’elle est gravement malade doivent être vraies. Ce n’est pas lui qui capte mon attention, mais l’homme à sa gauche, le mage impérial qui est le seul à posséder un cristal bleu de tout le Royaume, Taran Derrhus. Sa vie est une vraie légende, certains indiquant qu’il a étudié avec le chef de l’Alliance Magique en personne, d’autres que c’est un sang-mêlé d’un elfe ou d’un nain.
Sa peau est grise, comme si le temps lui avait fait perdre toute couleur. Ses rares cheveux sont gris et il marche courbé. Pourtant son regard, d’un bleu profond comme la mer, est vif. C’est de toute évidence, une sommité dans le domaine de la magie et une véritable calamité sur le champ de bataille. Il semble capable de lancer des sorts pouvant affecter une armée entière. Je me fais tout petit sur mon balcon et décide même de descendre pour être plus discret.
Pendant que le maître de l’Empire fait le tour des invités, le Prince reçoit ses différents cadeaux. Je fais la queue après avoir récupéré le mien et l’offre mon tour venu. Il s’agit d’une épée, mais pas n’importe laquelle, la plus belle que les artisans français aient créée à ce jour. Sur Terre, elle pourrait être vendue une petite fortune, alors ici, son prix est incommensurable. Son acier, de première qualité, est à la fois léger et résistant. Une masse, même maniée par un colosse, n’arriverait pas à l’érafler. Seul le titane est plus résistant et encore, de très peu.
Le Prince sourit jusqu’aux oreilles en voyant mon cadeau et son père vient même l’examiner, suivi par le mage de cour. Je dois expliquer d’où vient cette lame et je sors la petite histoire sur le forgeron ayant vécu dans la baronnie de Tillsman. Il a créé un nombre inconnu d’épées exceptionnelles avant de mourir, abandonné de tous. Taran n’arrête pas de me fixer pendant que je parle et je dois faire appel à tout mon sang-froid pour ne pas être complètement déstabilisé. L’important ici, c’est de montrer que mon territoire a plus d’argent qu’avant et d’expliquer d’où vient cette source de revenu supplémentaire, sans que cela paraisse suspect.
Cela semble marcher, car le Prince me remercie et passe au prochain cadeau. Je peux ainsi prendre congé et sortir de la salle de bal. Je respire intensément, content de ma prestation, car même si je n’ai pas réussi à rester discret, j’ai pris l’intégralité de la pièce et des personnes présentes en vidéos et donné mon cadeau. Mon seul regret concerne Emilia car je ne l’ai pas revue depuis l’incident du balcon, mais après, c’est peut-être pour le mieux. Demain, je vais quitter Camelot, la capitale, avec ma jument, Jolie. Il est temps de rentrer chez moi, mon vrai chez moi, en France, sur une planète nommée Terre.