Depuis que j'avais atteint ma majorité, la vie n'avait été qu'une succession d'épreuves.
Chaque jour se manifesta à un combat silencieux, une lutte pour maintenir la tête hors de l'eau.
Lina était ma lumière au milieu de cette tempête.
Nous avions quitté nos familles pour construire notre propre refuge dans un petit appartement exigu.
Ce n'était pas grand-chose, mais pour nous, c'était un sanctuaire.
Chaque matin, la lumière du soleil traversait les rideaux éliminés, inondant notre minuscule appartement d'une clarté fade mais apaisante.
À chaque réveil, tout semblait simple, presque suffisant. Pourtant, derrière cette tranquillité, la réalité s'impose : la fragilité de notre équilibre, retenue par des décisions qu'il valait mieux ne pas questionner.
Mais, malgré notre bonheur, les tensions étaient palpables.
Ma mère n'avait jamais accepté Lina.
Elle la voyait comme un obstacle à mes ambitions.
À ses yeux, il n'y avait aucune place pour les compromis :
soit en avance, soit en repos en arrière.
Et de son point de vue, Lina appartenait à cette dernière catégorie.
Peut-être était-ce parce qu'elles se ressemblaient trop : deux âmes farouches, luttant chacune pour avoir le dernier mot.
Mais moi, j'avais choisi Lina. Elle était mon pilier, même quand tout semblait s'effondrer autour de nous.
Mes journées étaient longues, partagées entre mes études en psychologie et des petits boulots mal payés.
La psychologie m'offrait une illusion de contrôle.
Étudier les comportements humains, essayer de comprendre les méandres des pensées des autres :
c'était ma manière de me protéger. Mais plus je tentais de contrôler ma vie, plus le chaos grandissait en silence.
Le soir, après une longue journée à jongler avec les responsabilités, Lina et moi trouvions refuge dans notre MMORPG préféré.
Là-bas, nous étions libres. Un monde sans limites où nous pouvions tout créer, tout imaginer. C'était notre échappatoire, notre royaume.
Ensemble, nous y bâtissions quelque chose de grand.
* Tu sais quoi ?
M'avait dit Lina un soir, après une longue session de jeu.
* On devrait créer un endroit qui nous ressemble vraiment. Quelqu'un a choisi de spécial, juste pour nous. Si on veut que cet endroit nous ressemble, il faut qu'il soit à l'écart, loin du chaos des autres joueurs. J'en ai marre de voir tout ce qu'on construit être balayé comme si ça n'avait jamais existé.
* C'est l'histoire de tous les royaumes. Rien ne dure vraiment, pas même dans ce monde-là.
Ai-je répondu en hésitant un instant, cherchant à voir si elle voulait en dire plus, puis je conclus avec une certaine ironie.
* Mais si tu veux t'obstiner à créer un sanctuaire, on va le faire. On verra combien de temps il patiente.
L'idée de créer un sanctuaire dans le jeu était fascinante.
Un lieu à part, loin du chaos des autres joueurs, un royaume qui n'appartiendrait qu'à nous.
Nous passâmes des semaines à façonner ce territoire, pierre après pierre, pixel après pixel, guidés par une vision que nous partagions sans avoir besoin de mots.
Tout commença par une forêt dense et impénétrable entourée par un brouillard vivant, où les arbres millénaires formaient une barrière naturelle.
Au cœur de cette forêt, nous installâmes un lac cristallin, si clair que l’on pouvait y voir les reflets des étoiles la nuit.
Le centre de notre sanctuaire était un château majestueux, perché au sommet d’une colline, dominant les environs.
Mais ce n'était pas un château ordinaire : ses tours élancées semblaient transpercer le ciel, et ses murs étaient ornés de runes mystérieuses, des symboles que même nous ne comprenions pas totalement.
* Tu crois que cet endroit pourrait exister quelque part ?
lui demandai-je un jour, en contemplant le travail que nous avions accompli.
Lina resta silencieuse, ses yeux fixés sur l'écran, avant de sourire légèrement.
* Peut-être que dans un autre monde, il existe déjà.
Je me souviens avoir ri doucement, croyant que ce n'était qu'une autre de ses répliques mystérieuses.
Mais au fond de moi, l'idée que ce sanctuaire puisse être réel, quelque part, s'était déjà immiscée.
C’était comme si, sans le savoir, nous avions recréé quelque chose qui existait au-delà de notre simple imagination.
Ce lieu, c’était notre refuge, mais il restait empreint d'un mystère que même nous ne pouvions totalement percer.
Ce sanctuaire devenait plus qu’un simple monde virtuel.
C'était un symbole de ce que nous voulions : un endroit à nous, loin des regards hostiles.
Cette nuit-là, le sommeil m’échappait, remplacé par des visions intenses qui tentaient de s’ancrer dans mon esprit.
Tout autour de moi s’étendait un décor immense, surréel, où la lumière semblait hésiter, flottant entre l’obscurité et une lueur incertaine.
Au loin, une ombre titanesque apparaissait, une forme draconique majestueuse qui m’appelait.
Sa voix profonde résonnait dans mon esprit comme un écho de légende oubliée.
« Aelion... »
La voix perçante et lointaine semblait s’adresser directement à mon âme, réveillant quelque chose d’enfoui, presque instinctif.
« Rejoins-moi. »
À chaque mot, la silhouette s’approchait, dessinant les contours d’un être d’une grandeur et d’une majesté indescriptibles.
Autour de moi, des fragments de pierre, des vestiges de colonnes antiques, se matérialisaient dans la brume, rappelant un sanctuaire oublié.
Je me réveillai en sursaut, le souffle court, la poitrine oppressée. Ce rêve... ou plutôt, cette vision, continuait de résonner, me laissant avec une certitude glacée.
Ce sanctuaire, ce Zuuri… comment tout cela pouvait-il paraître aussi réel ?
J'essayais de me persuader que ces visions n’étaient dues qu’aux nombreuses heures de jeu accumulées mais elles continuaient de me hanter presque toutes les nuits.
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Puis un jour, tout bascula. Lina m’annonça qu’elle était enceinte.
Ce fut un moment d’une pureté indescriptible mais aussi perturbant.
Je rentrais tard, exténué par ma journée. L’appartement était plongé dans la pénombre, et pourtant, Lina m’attendait, assise sur le canapé, un sourire étrange sur les lèvres.
Quelque chose dans son attitude m’intriguait. Elle semblait à la fois calme et nerveuse, comme si elle portait un secret.
* Aelion,
murmura-t-elle doucement, sa voix douce caressant l’air.
* J'ai quelque chose à te dire.
Je m’assis à côté d’elle, le cœur battant un peu plus vite. Elle prit ma main, ses doigts tremblants légèrement, elle semblait retenir cette révélation depuis trop longtemps.
* Je suis enceinte.
Le monde s’arrêta. Pendant un instant, tout ce qui pesait sur mes épaules sembla s’effacer.
Un bonheur pur et intense envahit mon cœur mais aussi la crainte de ne pas être prêt.
J’avais du mal à y croire, mais en la regardant dans les yeux, je savais que c’était vrai.
* Tu es sûre ?
balbutiai-je, la gorge nouée, les yeux embués de larmes.
Elle hocha la tête, un sourire radieux illuminant son visage.
À cet instant, plus rien d’autre n’avait d’importance.
Ni nos familles qui nous tournaient le dos, ni les difficultés.
Amara, notre petite étoile, allait naître.
Les mois qui suivirent furent parmi les plus doux de ma vie.
Malgré tout, l’espoir d’un avenir meilleur nous portait.
Nous avions des rêves pour Amara, une vision d’un monde meilleur où nous serions enfin heureux, loin des regards hostiles.
Nous étions prêts à tout pour elle.
Quand le jour de l’accouchement arriva, j’étais terrorisé.
J’avais peur de ce qui allait arriver, peur pour Lina, peur pour notre enfant.
Chaque minute passée dans cette salle d’accouchement me paraissait une éternité.
Et puis, finalement, le premier cri d’Amara retentit.
Lorsque je la pris dans mes bras pour la première fois, un flot d’émotions m’envahit.
Cette petite vie que nous avions créée, fragile et précieuse, changeait tout.
Sa petite main serra mon doigt, et en cet instant, le monde entier sembla s’arrêter.
Elle était parfaite.
Lina, épuisée mais radieuse, me regarda avec des yeux remplis d’amour.
* Elle est parfaite.
murmura-t-elle, des larmes de bonheur coulant sur ses joues.
Amara était notre miracle.
Rien d'autre n'avait d'importance.
Pour la première fois, je me sentais à ma place dans ce monde.
Cependant, la réalité nous rattrapa rapidement.
Nos familles, déjà réticentes face à notre union, rejetèrent catégoriquement la naissance d'Amara.
Ils nous coupèrent définitivement de leurs vies, refusant même de reconnaître notre existence.
Nous étions seuls, et chaque jour devenait une lutte pour maintenir un semblant de normalité.
Lina, qui avait toujours gardé le sourire pour Amara, commença à se renfermer sur elle-même.
Son désespoir grandissait, étouffé par les regards méprisants et par les silences lourds.
Chaque jour, je la sentais un peu plus éloignée, s’enfonçant dans une tristesse que je ne savais plus comment combattre.
Je la voyais pleurer en silence, tard le soir, seule dans la chambre.
J’essayais de l’aider, mais rien ne semblait fonctionner.
Elle s’isolait, me fuyant, fuyant Amara, fuyant cette vie que nous avions rêvée ensemble.
Nous étions des étrangers dans notre propre maison.
De mon côté, mes visions et rêves étranges ne faiblissaient pas.
Cette nuit-là, des visions frappèrent mon esprit, intenses et plus vivides que d’habitude.
Des langues inconnues murmuraient autour de moi, des mots anciens se mélangeant à des bribes de savoir.
Des créatures imposantes, familières et pourtant inconnues, défilaient dans un paysage sauvage : griffons, wyvernes, et autres créatures mythiques de ce monde.
Puis, des techniques de combat et d’esquive s'imprimèrent en moi.
Des guerriers exécutaient des mouvements d’une précision mortelle, maniant l’épée, la lance et même leurs poings avec une maîtrise surnaturelle…
Chacun semblait imprégné d’une discipline unique.
Je me réveillai en sursaut, une étrange connaissance gravée dans mon esprit, comme si ce monde m'avait révélé une part de lui-même, que je connaissais déjà… et pourtant, que je venais de découvrir.
En parler avec Lina ne me semblait pas nécessaire avec tout ce qu’elle traversait.
Alors je me contentais de sourire pour les rassurer, avant de retourner à mes tâches quotidiennes comme si de rien n’était.
Un soir, je rentrai du travail, le cœur lourd, espérant que les choses s’amélioreraient.
Mais en entrant dans notre petit appartement, un silence glacial m’accueillit.
Amara dormait paisiblement ; pourtant, une ombre étrange planait sur l’endroit.
Je me dirigeai vers la salle de bain, sentant une boule se former dans mon estomac.
La porte était entrouverte. Je la poussai doucement.
Et là, mon monde s’effondra.
Lina.
Pendue.
Son corps sans vie, suspendu dans un silence morbide.
Je hurlai, incapable de comprendre.
Comment avait-elle pu en arriver là ?
Pourquoi n’avais-je rien vu venir ?
Je tombai à genoux, le souffle coupé, mon cœur battant si fort que j’eus l’impression qu’il allait exploser.
Tout s’effondrait.
Lina était partie, et je n’avais rien pu faire pour la sauver…
Les années passèrent, mais la douleur ne s’effaça jamais.
Chaque jour, je voyais Amara grandir sans sa mère, et je faisais de mon mieux pour la protéger, lui offrir la vie que Lina aurait voulu.
Mais rien ne comblait ce vide. Chaque sourire d'Amara me rappelait ce que nous avions perdu.
Mes nuits devenaient de plus en plus courtes au fil des années, épuisé et à bout à cause des visions et rêves incessants qui remplissaient ma tête d’un savoir inconnu et inutile dans notre monde.
Un jour, après des semaines de pluie incessante, Amara et moi décidâmes de sortir prendre l’air.
Le ciel était encore lourd de nuages, mais quelques rayons de soleil perçaient à travers.
Amara, insouciante, sautait dans les flaques d'eau, éclatant de rire.
Et puis, soudain, le ciel s'ouvre.
Un double arc-en-ciel apparut, vibrant de couleurs vives, illuminant le paysage grisâtre.
Amara s'arrêta, fascinée.
* Papa, regarde !
s'exclama-t-elle.
* Un arc-en-ciel, non, Deux arcs-en-ciel !
Je levai les yeux, et une vague d'émotions me submergea.
Ce n'était pas juste un spectacle naturel. C'était un signe.
La voix que j'avais entendue dans mes rêves depuis si longtemps résonna de nouveau, cette fois plus forte, plus claire, comme si elle venait directement des arcs lumineux.
* Mon héritier... Le moment est venu.
Je sens mon cœur s'emballer. C'était le même message, la même voix ancienne.
Ce moment était important, bien plus que je ne le réalisais encore.
Amara me regarda, sentant le changement dans l'air, même sans en comprendre pleinement la portée.
* Papa, qu'est-ce qui se passe ?
Je m'agenouillai devant elle, la prenant doucement dans mes bras.
Je savais que ce moment marquait un tournant dans nos vies.
* Ne t'inquiète pas, ma petite étoile. Nous allons découvrir quelque chose de merveilleux. Ensemble.
Sous les arcs colorés, le monde semblait ralentir autour de nous.
Les couleurs vives, presque irréelles, enveloppaient Amara et moi dans une lumière douce et réconfortante.
C'est à ce moment-là que je fis un vœu, un vœu que je m'étais promis de ne jamais oublier.
* Un jour, Amara, je te promets que nous vivrons dans un endroit aussi beau que celui que ta mère et moi avons créé,
murmurai-je, la gorge serrée par l'émotion.
* Un endroit où tu n'auras jamais à souffrir comme ta mère. Un sanctuaire pour nous, loin de tout.
Je serrerai doucement la main d'Amara dans la mienne.
Ce vœu n'était plus seulement pour Lina.
C'était pour Amara, pour elle et pour le futur que je devais lui offrir.
Ce vœu, suspendu dans le temps comme un murmure oublié des anciens dieux, portait en lui la promesse d'un empire à naître, une étoile à suivre pour ceux qui oseraient défier l'impossible.
Sous le double arc-en-ciel, le monde autour d'eux commença à s'effacer.
Les couleurs des arcs lumineux les entouraient, enveloppant Aelion et Amara dans une lumière douce mais irréelle.
Le sol semblait disparaître sous leurs pieds, et tout autour d'eux devenait flou, comme s'ils étaient emportés dans un autre plan d'existence.
Aelion sentait que quelque chose de puissant les tirait, mais il n'avait pas peur.
Amara non plus ne tremblait pas.
Ensemble, ils disparaissaient, emportés vers cet autre monde qui les attendait, répondant à un appel qui était le leur depuis toujours.
* Mon héritier... Le moment est venu, viens me rejoindre.
résonna la voix une dernière fois, alors que la lumière les engloutissait entièrement.
Et ainsi, Aelion et Amara disparurent, guidés par cet appel mystérieux vers un destin inconnu.