Ses yeux étaient enfin habitués à la lumière du jour. Le professeur lui avait dit que c'était normal qu'Elya pleure sans être triste ou joyeuse, et qu'avec le temps, ça passerait. Il avait raison. Le professeur était un érudit et l'esclave l'appréciait particulièrement. L'homme, grand, vieux avec des cheveux blancs, des yeux doux et de longs doigts fins, l'avait accueilli avec la plus grande gentillesse et s'attelait à lui enseigner les lettres et les chiffres. Elle était particulièrement douée avec les chiffres mais avait plus de mal avec l'écriture. Cela lui provoquait des douleurs à la main, mais maître Roland ne la grondait jamais, il ne la punissait pas non plus.
Lorsqu'elle avait trop mal, elle ne pouvait pas s'empêcher d'arrêter ses exercices d'écriture et de secouer doucement sa main, parfois de la masser. Dès que le professeur l’apercevait, il changeait d'exercice.
Lorsqu'elle ne comprenait pas un exercice ou une leçon, l'enseignant ne s'énervait pas, il s'attablait à ses côtés et reprenait doucement les informations qu'elle n'avait pas saisit.
Sa voix était douce et maître Roland avait compris que l'attention d'Elya était attiré par les étoiles, alors il avait organisé des séances d'observation du ciel en pleine nuit avec d'autres esclaves souhaitant en apprendre plus sur les astres. Et lui avait aussi prêté des livres, pour enfants. Elle avait lu la première histoire, en une soirée et ne cessait de la lire encore et encore chaque soir. L'histoire de deux étoiles amoureuses, du moins c'est ce qu'Elya en comprenait jusqu'ici. Comment des étoiles pouvaient-elles avoir des sentiments comme l'amour? Elle devait en parler avec maître Roland!
C'était principalement pour cette raison que l'esclave était fatiguée aujourd'hui et aussi parce que même une fois couchée hier soir, elle n'avait pas arrêté de se tourner et de se retourner dans son lit moelleux, pensant à la matinée qui allait arriver.
"Le marché". Elle en avait entendu parlé et le professeur Roland lui avait dit à peu près ce que c'était. Un lieu commun, à l'extérieur d'une maison, où l'on trouve de quoi manger, de quoi boire mais aussi divers objets pour décorer la maison ou des vêtements. Des échoppes étaient tenues par des commerçants. Les aliments que l'on y trouvait étaient particulièrement frais. Et les "clients" devaient payer pour avoir les marchandises exposées.
Elya s'était habillée et avait pris soin lors du petit-déjeuner au moment où Tara lui expliquait comment elle devait se tenir à l'extérieur, de ne pas faire la moindre tâche sur sa tenue. Sa première vrai sortie en extérieur, elle ne devait pas la gâcher.
Les deux nouvelles amies étaient parties à pied avec chacun un panier dans la main. Tara avait pris l'argent des maîtres pour les emplettes. Le trajet avait été difficile, à chaque bruit, à chaque odeur, Elya devait s'empêcher de tourner la tête et d'observer avec intensité ce qui se avait accaparé son attention.
Arrivée devant le marché, elle en fût estomaquée. Elle n'avait pas imaginé ne serait-ce qu'un dixième de ce qu'elle avait sous ses yeux. Des couleurs, des mouvements de partout. Des cris, des pleurs, des conversations qui ne cessaient d'attirer son attention. Elle posait ses yeux sur une échoppe de tissus mais l'odeur du poulet bien cuit attirait rapidement son attention sur le comptoir d'un autre commerçant avant que la course d'un enfant l'attire jusqu'à l'échoppe du marchant de fruits. Certains marchands criaient à la volée, espérant que cela attire les clients; d'autres discutaient vivement avec ce client qu'ils avaient réussit à attiré; d'autres couraient dans tous les sens pour répondre aux demandes. Certaines personnes étaient réunis en groupe et discutait entre eux, au milieu du passage ou près d'un marchand, sans même regarder ce qu'il proposait.
Tara lui mit un coup de coude dans le creux du dos, elle se remit à marcher, se concentrant sur le bas du dos de son amie pour ne pas la perdre dans la cacophonie qui se présentait devant elle.
Un sourire, qu'elle ne parvint pas à réprimer, s'étira au fur et à mesure sur ses lèvres.
----------------------------------------
Ram détourna son attention de cette elfe qui souriait, pour la reporter sur Levin. Son ami et son aide de camp, lui expliquait que les hommes étaient prêt à repartir en entrant dans force de détails dont il n'avait cure.
- Bien, bien. Donc si nous partons demain, nous aurons mobilisés 2 000 soldats. Et si on attends, une semaine, on mobilisera le triple? Coupa Ram. Si on pars demain, on devra attendre, sept jours le ravitaillement?
- Oui, c'est bien cela, mon général.
Le général opina du chef. Une semaine était-ce trop long pour les prêtres? Ceux qui étaient venus l'informer qu'il devait repartir récolter des âmes à offrir aux Dieux, avaient l'air nerveux. Plus qu'habituellement, ils étaient étranges. Devait-il céder aux caprices des prêtres et risquer de perdre une partie de ses hommes à cause de la faim. Le général savait que les restrictions, même sur quelques jours, feraient baisser le moral des troupes. Ram soupira.
- On attendra une semaine alors. Préviens les hommes et fais en sorte que les équipements soient réparés et que les provisions soient prêtes pour le départ, et en nombre!
- Oui, mon général!
L'aide de camp s'inclina et parti rapidement.
Ram regarda la foule du marché, tentant de retrouver l'esclave qu'il avait aperçu un peu plus tôt. Il finit par l'apercevoir sur une échoppe de fruits et de légumes, elle avait l'air tout aussi heureuse. Elle semblait un peu confuse dans ses gestes, comme si l'autre elfe qui l'accompagnait était sa mère et qu'elle attendait ses directives et son assentiment.
Etait-elle mère? Etait-elle enceinte? Il avait entendu une drôle de rumeur, et il espérait que celle-ci soit fausse. Il s'inquiétait pour des esclaves à présent, quelle drôle d'idée!
----------------------------------------
La montagne était enfin silencieuse des bruits de la guerre. Réfugié depuis plusieurs années à l'intérieur d'anciennes fortifications naines, construites dans des montagnes ou sous la terre, la protection que ces cités accordaient au peuple nain était salvatrice. La grande majorité de la population était consciente de ce fait, sans ces anciennes constructions, leur peuple comme celui des elfes aurait été réduit à l'esclavage par ces saletés de démons depuis des générations.
Grand, blanc et pâle, l'homme terrifiait les enfants mais aussi les adultes, qui se représentait les démons dans les contes identiques à un homme. Il ne cessait jamais bien longtemps de guerroyer. Pour les nains, cela n'avait pas d'intérêt et pourtant, afin de survivre, ils avaient développer un art bien particulier, celui de la forge. Alors que dans les temps anciens, avant ces temps obscurs, la chaleur du feu et le talent des nains étaient utilisés pour créer de magnifiques pièces de bijouterie ou de ferronnerie ; aujourd'hui, tout était dirigés vers la guerre défensive et depuis peu offensive.
If you encounter this story on Amazon, note that it's taken without permission from the author. Report it.
Tous les nains, dès qu'ils étaient en âge de le supporter, disposait d'une armure sur mesure. Dès qu'ils tenaient debout, nain ou naine, ils apprenaient à maîtriser une arme et à travailler en groupe. La survie de la troupe tenait à la survie de chacun des membres constituant celui-ci.
En temps de paix, ils se concentraient sur le renforcement des structures de bases et parfois l'extension de leurs différents lieux de vie. On s'occupait aussi de vérifier la qualité de l'eau et de la nourriture. Les forges continuaient de chauffer autant mais pour faire des réparations plus minimes, peaufiner des détails et construire de nouvelles protections, que ce soient de nouvelles armures, des renforcements pour les différentes entrées ainsi que depuis peu le développement de pièges.
Bhorurn Vattask était occupé à donner ses ordres aux apprentis forgerons et à surveiller leur travail lorsque Rigeth Firtnigt arriva derrière lui, il l'avait sentit arrivé de son pas nonchalant caractéristique.
- Que veux-tu? Tu n'es pas de garde? Demanda d'un ton faussement mauvais Rigeth, en continuant d'observer l'apprentissage des jeunes forgerons.
- Si, si. Je viens te chercher. Dit-il avec son sourire toujours insolent au coin des lèvres.
- Mmh, Mmh
Personne ne parla pendant un instant, laissant le bruit des coups remplir le silence. Mais Bhorurn n'était pas patient et Rigeth le savait.
- Tu vas me dire de quoi il s'agit? grogna-t-il
- Il y a un homme devant la montagne.
- Un homme?
- Oui.
- Un seul?
- Oui.
- Comment ça?
- Et bien, il y a un être de taille, je dirai plutôt grande, qui est tout seul, c'est-à-dire sans personne d'autre avec lui, même pas un animal, devant là où nous vivons. Raconta Rigeth avec son éternel sourire.
- Je te demande pas de ... Laisse tomber. Que veut-il?
- Et bien, il a demandé à parlé à notre chef.
- Je suis pas le chef.
- Non mais comme on n'a pas un chef et que je t'aime bien, je suis venu te chercher. Parce que tu es un chef. Pas le chef, mais un chef quand même. Et un bon qui plus est.
Bhorurn soupira. Il appréciait beaucoup Rigeth, en dépit de son insolence. Il savait qu'il cachait son appréciation des autres derrières ce type de phrases. Lorsqu'il n'aimait pas son interlocuteur, il ne lui adressait juste pas la parole. Simple, efficace et direct. Le "chef" nain enleva son tablier et fit signe à son sous-fifre de le guider.
Le voyage jusqu'à la plaine fût relativement rapidement, en dépit des regards qu'on leur lançait, personne n'osait les arrêter pour les questionner.
L'esprit de Bhorurn, fulminait de questions sans réponse. Qu'est-ce que cet homme leur voulait? Allait-il leur déclarer la guerre? C'était étrange de venir comme ça seule, ses compatriotes l'avait-il banni? Etait-ce une bonne chose? Ou bien une mauvaise? Pourquoi venir seul? N'avait-il pas peur? Il aurait pu mourir, une des sentinelles aurait pu lui tirer un carreau et le laisser se vider de son sang sur la plaine. Pourquoi courir ce risque? Cela ne faisait même pas une vingtaine de jours que les précédents humains avaient pliés bagages du champ de bataille. Il était fatigué. Fatigué de faire la guerre, il détestait ça. Comme la majorité des nains, cela n'était pas dans ses gênes. Il aimait les sciences, celle du travail de la terre et des minéraux. Il aurait aimé pouvoir voyager et découvrir d'autres contrés, d'autres civilisations, d'autres pierres précieuses, avoir un lopin de terre pour cultiver des légumes. Mais ces humains l'avaient cantonné à être soldat, toute sa vie, en dehors des quelques instants de répit qu'il avait lorsque les humains cessaient leur guerre stupide. Alors qu'il ne souhaitait aucunement se marier et encore moins avoir une progéniture, Bhorurn en avait été obligé comme la majorité des siens. Sa femme non plus ne le souhaitait pas particulièrement. Et il voyait bien que ses couches successives l'affaiblissaient. Mais les hommes étaient très nombreux, trop nombreux. Les anciens avaient imposé le mariage dès que les nains et les naines étaient en âge d'enfanter. Quatre enfants par couple. On créait de la chair à canon pour protéger l'âme du peuple des nains face à la hargne des hommes. Le conseil des anciens avait décidé que la peur allait changer de camp, on s’entraînait à attaquer, non plus à juste se défendre. Bhorurn n'aimait pas ça. Prendre la vie, il détestait ça. Voir la lumière fuir les yeux de son ennemi, les cris et gémissements des mourants, la peur, les tripes qui se vident d'une façon ou d'une autre, tout lui donner envie de vomir.
Ils étaient enfin arrivés devant les portes principales de la montagne. Les sentinelles les avaient vu approcher et avaient déjà commencé à défaire les différents renforcements et fermetures qui, nombreuses, garnissaient ce type de structure. Magla s'approcha par la droite.
- Mon frère.
Bhorurn hocha la tête
- C'est vrai ce que l'on raconte?
Comment diable pouvait-il le savoir.
- Qu'est-ce qu'on raconte? demanda-t-il calmement, sa sœur avait le don de lui taper sur le système depuis leur plus jeune âge
- Un homme, tout seul qui veut parler à nos anciens.
Le nain jeta un regard noir à son aide de camp qui prit le relais:
- Ma chère, mais pas du tout ! Il s'agit bien d'un homme, et il est bien seul. Je n'ai pas à vous rappeler ce que signifie "seul" n'est-ce pas? Mais il a demandé à parler à notre chef pas au conseil! Je puis vous assurer que je dis parfaitement vrai.
- Pourquoi es-tu allé chercher mon frère?
- Et bien, il est un chef. Il est mon chef. Alors chef pour chef, j'ai pris celui-là.
Bhorurn en avait assez, il avança vers la porte laissant les deux autres continuer leur discussion. Il savait que son aide de camp appréciait beaucoup sa jeune sœur. Elle était en âge de se marier et lui aussi. Rigeth allait finir par lui proposer de s'unir, il ne lui restait que quelques jours avant de se voir "attribuer" une épouse, s'il ne le faisait pas. Il ferait un bon époux et sa sœur serait heureuse avec lui. Magla avait besoin d'un nain tel que lui. Taquin et réconfortant, fort et doux, calme comme l'eau qui dort au sein de la forteresse et furieux comme le feu qui brûle sur le terrain de combat. Magla était aussi adorable, il se devait bien de l'admettre. Bhorurn l'adorait autant qu'elle l'épuisait. Depuis qu'elle avait l'âge de marcher, il n'a de souvenirs d'elle qu'en étant dans ses pattes. Ce qui a fini de faire d'elle une naine d'une intelligence remarquable, traînant partout, y compris aux cours avec son grand frère, elle avait appris plus vite que n'importe qui qu'il connaissait. Elle était d'une grande érudition, d'une intelligence plus que remarquable et adorait apprendre plus et partager ses trouvailles. Magla venait de devenir enseignant, elle avait eu ce poste juste avant la dernière attaque. Ainsi, pendant la dernière guerre, elle alternait entre les semaines où elle faisait parti du corps de l'armée, celles où elle donnait des leçons et celles où elle se reposait. Bhorurn détestait savoir quand sa sœur était au combat. Qu'il le veuille ou non, lorsqu'il le savait, il ne pouvait s'empêcher de tenter par tous les moyens de la protéger, faisant fi de son devoir.
La porte s'entrouvrit enfin et "le chef" avança. Rigeth le rattrapa à petit pas, sans s’essouffler. Bhorurn jeta un œil à son aide de camp et le sourire qu'il vit sur son visage ne lui plaisait qu'à moitié.
Deux montures étaient prêtes. Une fois bien installés, Bhorurn, tout en gardant son regard fixé sur l'horizon, déclama:
- Si l'on ne revient pas. Préparez vous à une nouvelle bataille.
Serrant leurs jambes, les deux amis avancèrent de bonne allure au devant de cet homme seul. Et effectivement, pour être seul, il l'était. Bhorurn n'aimait pas ça. Non il n'aimait vraiment pas ça. En approchant, il aperçu que l'homme était assis sur l'herbe, ou plutôt sur la boue sèche. Il n'aimait pas ça. En les voyant s'approcher à petite allure sur leurs montures, l'homme se leva. Il était grand et fin, et portait une longue toge blanche. Celle des prêtes des hommes. Il n'aimait pas ça. Bhorurn arrêta son double poney arrivé assez près de l'humain pour qu'ils puissent échanger mais assez loin pour qu'ils ne puissent pas se toucher à l'épée. Personne d'autre à l'horizon. Il n'aimait pas ça. L'air était frais et revivifiant. Aucun son d'animal ne troublait le silence. Une bourrasque passa faisant voleter les vêtements du prêtre. Celui-ci abaissa sa capuche révélant un visage doux et jeune, sans barbe, une bonté transparaissait de ses traits.
- C'est donc vous le chef de ces gens? Demanda le prêtre d'une voix douce et fluette.
Bhorurn ne répondit pas. Il n'aimait pas ça. Des fourmis d'inconfort faisaient leur travail sur ces jambes et dans le bas de son dos et il ressentait des frissons au creux de sa nuque.
- J'aimerais vous aider à défaire les miens
Bhorurn et Rigeth eurent l'impression de prendre une immense claque, bouches bées, ils se regardèrent et reportèrent leur attention sur l'humain devant eux. Il souriait gentiment, calmement.
- Pouvons-nous parler?
- Je n'aime pas ça, dit l'aide de camp.
- Tu m'enlèves les mots de la bouche, répondit le général qui sentit le frisson descendre dans tout son corps.