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Le grand exode - Daria (french)
Chapitre I : La moisson

Chapitre I : La moisson

Ram était lassé. Lassé et fatigué de tout ce cérémonial. Il n'avait jamais particulièrement apprécié ces processions et préférait accomplir son devoir sur les champs de bataille.

Pouvait-on dire qu'il s'ennuyait? Oui sûrement. Il le cachait avec plus ou moins de succès. Ram n'était pas stupide, il se doutait bien que les hauts prêtres savaient ce qu'il ressentait, mais espérait qu'ils ne savaient pas tout. Si les hauts serviteurs des Trois Grands connaissaient le fond de sa pensée, celui qu'il tentait par tous les moyens de sceller au fond de lui, celui qui l'empêchait bien trop souvent, dorénavant, de dormir et lorsqu'il dormait lui donnait des cauchemars, il serait mort, se rassurait-il.

Les cris avaient cessés, depuis longtemps déjà. La fin était inéluctable, les sacrifiés le comprenaient, passé un certain temps et finissaient par se laisser conduire sur l'autel du sacrificial.

C'était un endroit sombre et triste, du moins c'était ainsi que le percevait Ram ces derniers temps. Avant, il trouvait cet endroit majestueux. La simplicité du décorum rendait le lieu encore plus divin. Là, au centre de cet immense bâtiment, on pouvait ressentir les Dieux, on pouvait parfois les apercevoir et même rentrer en contact avec eux. Même si cela faisait un moment que les Dieux ne s'étaient pas montré. Jamais sa foi n'avait faiblit.

Ram se souvenait, petit, il avait été amené l'année de ses 9 ans sur le piédestal et il Les avait vu. Royt, Tropl et Frinj, les Trois Grands, trois immenses ombres dont on ne pouvait apercevoir le visage. C'était l'âge du choix, comme on appelle cette cérémonie, qui relève plus d'un ordre que d'un choix pour l'élu. Ce jour-là, Royt l'avait appelé à ses côtés, ainsi il se destinait à devenir prêtre de Royt, soldat ou assassin. Lorsqu'il était rentré sa mère avait pleuré à l'annonce de son père. Il n'avait pour souvenir de sa mère que sanglots et larmes. Des murmures disaient qu'à présent, les Trois Grands ne se présentaient plus lors des cérémonies du choix, ils parlaient aux prêtres officiant mais ne daignait plus se montrer. Mais il n'avait pas écouté les rumeurs et sa foi était resté vive.

Jusqu'à ce jour, sur le champ de bataille. Ce jour décisif où il fût pour la première fois attiré par le cris de douleur d'un de ses hommes. Les blessures et la mort étaient le lot des guerriers, jusqu'alors cela ne l'avait jamais empêché de faire quoi que ce soit, il avait accompli son devoir, celui auquel il était destiné depuis son plus jeune âge: combattre, et mourir pour les Trois. Et pourtant, ce jour, alors que la bataille était fini et que son armée avait vaincu, ce jour-là, le cri d'agonie d'un de ses hommes l'avait interpellé. Le général avait marché entre ses hommes étendus sur le sol et les prêtres qui récoltaient les âmes, et il l'avait vu. Un jeune garçon d'à peine 15 ans, portant une longue toge noire, celle des prêtres, agenouillé auprès d'un de ses soldats et lui apportant du réconfort. Ram n'avait pas tout de suite compris ce qui se jouait devant ses yeux, jamais il n'avait vu une telle chose. Le soldat avait cessé de crié et s'était mis à murmurer, le visage du jeune prêtre était empli de compassion. Cette scène l'avait figé sur place. Mais il n'était pas le seul à l'avoir remarquée, des prêtres étaient arrivé, avaient entouré le jeune adolescent et l'avait poignardé, avant de repartir, le laissant agoniser au côté de celui qu'il avait tenté d'aider quelques secondes plus tôt, ses cheveux roux dépassant de la capuche et se mêlant au sang et à la boue. Une scène fugace, mais qui était marquée au fer rouge en lui.

L'attention de Ram fût attirée par une jeune elfe qui était menée sur l'autel, elle était pâle, mais surtout elle lui paraissait excessivement jeune, bien plus jeune que les autres sacrifices. L'âge des sacrifiés, lorsqu'il s'agissait des esclaves, était de 99 ans.

- Elle a causé des troubles

Le général se retourna, un haut prêtre se trouvait légèrement derrière lui en retrait, celui-ci fit un geste de la tête pour désigner la jeune elfe.

- Elle a tenté de fomenter une rébellion contre les Trois Grands et Leurs Enseignements. Continua-t-il, en emplissant l'air de son haleine chaude et putréfiée.

- Elle ne méritait même pas de participer à la cérémonie dans ce cas, répondit Ram d'une voix calme et, l'espérait-il, sans émotion.

Il vit un sourire se dessiner sur les lèvres craquelées du prêtre.

- Nous ne pouvons pas nous permettre de gaspiller une seule âme. Toutes les âmes doivent Leurs revenir. Afin qu'Ils nous accordent Leur Faveur.

Ram ne voyait pas quoi rajouter, et il avait toujours détesté parlé aux prêtres, encore plus à celui-ci, aussi se détourna-t-il de cet homme pour regarder de nouveau la cérémonie. La main de sa femme, lui comprimait la sienne, depuis l'instant où le prêtre leur avait parlé. Les femmes avaient une peur bleue des prêtres. Ces dernières n'avaient pas leur mot à dire, du jour de leur naissance, au jour de leur mort. Un mot de travers, un geste mal interprété et elle participaient à la cérémonie d'une manière bien plus définitive. Mais ce prêtre-là, terrorisait encore plus sa femme, car il la désirait. Elle le savait, Ram le savait, mais ils ne pouvaient rien y faire. Tant que Ram était en vie et haut gradé, ce sale rat ne tenterait rien.

Les ombres se répandaient avec l'odeur du sang et de la chair brûlée. Au centre du temple se trouvait la structure principale du cérémonial. On y accédait via un escalier en colimaçon, où les sacrifices s'entassaient les uns derrières les autres. Au centre de cette marche, les odeurs de peur, de sueur, d'urine et d'excréments montaient au nez des gardes qui encadraient la marche. Sur la fin de la montée, cette immonde odeur était remplacée doucement par l'odeur de fumée puis de chair brûlée au fur et à mesure que les sacrifices avançaient. Trois immenses feux entouraient la plate-forme centrale sur laquelle se trouvait le sacrificial, une sorte d'immense bol dans lequel se tenait debout trois prêtres, en toge blanche pour la cérémonie et muni d'un poignard, qui s'occupaient de faire couler le sang des elfes.

Ainsi lorsque les elfes arrivaient sur l’estrade, un prêtre choisissait sa mort : le poignard, le feu ou la folie. La folie était sûrement la pire des manières de s'offrir aux Trois Grands. Les désignés étaient menés sur la plate-forme, entre les brûlés et les poignardés, ils attendaient que Frinj se décide à leur accorder son attention. Frinj étendait alors ses ombres, et s'insinuait dans leurs pensées, étendant sa folie jusqu'à ce qu'ils en meurent. Ces sacrifiés ne criaient jamais, ils écarquillés les yeux et souvent murmuraient des mots que seuls les prêtres et les autres sacrifiés entendaient.

Lors de sa jeunesse, Ram avait été parmi les gardes qui veillaient sur les sacrifices, comme tous les hommes non mariés. Cela ne lui avait jamais rien fait. Aujourd'hui, alors qu'il était loin d'eux, en hauteur sur des plate-formes permettant d'observer la cérémonie, loin des pleurs, des cris et des odeurs, il ressentait quelque chose. Ce sentiment difficile à définir pour lui, une sorte de dégoût, de tristesse aussi, comme si ce qui se déroulait sous ses yeux était anormal. Il secoua discrètement la tête pour faire partir cette idée impure.

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Autre différence d'avec ses jeunes années: il n'y avait pas que des butins de guerre ou des esclaves qui allaient au sacrificial. Des hommes et des femmes y étaient aussi menés. Nus, la peau recouverte de taches sanglantes dues à de violents coups de fouet. Ces personnes se nommaient "guérisseurs" et "guérisseuses", ils faisaient partis du même culte déviant que le jeune prêtre adolescent qu'il avait vu pratiquer son art infâme sur l'un de ses hommes. Ces traîtres étaient pourchassés à travers tout le pays, dans les rangs même des soldats et des prêtres, des hauts fonctionnaires et des marchands. Il fallait les annihiler.

Tout était mieux avant, se dit Ram. Avant, il ne ressentait pas ses "émotions", il ne faisait pas de cauchemars, il n'y avait pas de guérisseurs, ni de tentative de rébellion, ni de chasse aux traîtres. Avant, tout était plus simple. On naissait et on mourrait selon les Enseignements.

C'était au tour de la rebelle, le général ne pouvait pas se détacher réellement de la scène. Une curiosité malsaine le guidait. Elle était habillée d'une toge courte, la toge des esclaves. Même de loin, elle était relativement jolie. Et Ram compris, la raison pour laquelle son regard avait était attirée par cette esclave au milieu de tous les autres. Une peau blanche, de tout petits yeux dont on ne pouvait voir la couleur, de longs cheveux bruns ondulés, un nez si léger qu'on l’apercevait à peine, des jambes longues et fines. En dehors des oreilles pointues, c'était le portrait de sa femme lorsqu'il l'avait épousée, il voyait son aimée, dans sa jeunesse, être sacrifiée. Il manquait un sourire sur son visage se dit-il tout de même. L'âme de la condamnée avait l'air de l'avoir déjà abandonnée. L'un des prêtres la dirigea vers le bol de Royt, sa main entourant légèrement son bras. La jeune elfe avança doucement puis s'arrêta nette devant le bol, elle se retourna vivement, le prêtre lâcha son emprise de stupeur et elle se mit à courir avant de se lancer dans le vide, emportant avec elle de toutes ses forces l'un des prêtres qui étaient sur son chemin. Ce dernier, hurla tant de surprise que de frayeur.

Soudainement, des cris retentirent de nouveaux dans l'enceinte, et plusieurs sacrifices prirent exemple sur la jeune elfe, sautant vers la mort mais vers une mort choisie et emportant parfois avec eux, un garde ou deux, c'était d'eux que venaient les cris, des gardes surpris et amenés vers une mort sans honneur, loin de leurs Dieux.

Les prêtres et les gardes survivants restèrent stupéfait, la scène s'était jouée en un instant. Un silence se fit, plus personne ne bougea pendant plusieurs minutes, on entendait seulement le crépitement des flammes et les paroles des déments qui se tortillaient sur le plateau. La cérémonie finit par reprendre mais des dizaines d'âmes n'avaient pas pu être offertes aux Trois Grands.

Quelles conséquences cela allait-il avoir?

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- Cela n'aurait jamais dû se produire, gronda une voix dure.

- Et pourtant, cela s'est produit, repris une autre voix.

- Ne pouvais-tu pas prévoir ceci?

- J'étais occupé, comme vous, à recevoir et je ne peux m'infiltrer dans les pensées profondes et cachées des êtres qui se ferment à moi, à ceux-là je ne peux qu'infliger la folie.

- Quel talent! ironisa la première voix.

- Prends garde mon frère.

Un troisième voix se fit entendre:

- Cessez vos chamailleries. Vous ne l'avez pas ressentie?

- Si, répondit la deuxième voix, une force égale à la nôtre mais qui se cache.

- Un autre Dieu? Impossible! S’inquiéta la première voix.

- Et pourtant, il nous faut l'envisager ! Les nains ont bien des dieux, aussi minables soient-ils. Peut-être qu'un des leurs à acquis plus de puissance que nous ne l'avions envisagé et qu'il s'en sert pour semer le trouble parmi nos fidèles.

- Non, interrompit la troisième voix. Il ne s'agit pas d'un dieu existant déjà. Il s'agit d'une création.

- Comment le sais-tu?

- Je le sais, je le ressens et elle a déjà conquis les cœurs de certains de nos adeptes. Frinj, pourrais-tu sonder les âmes de nos croyants pour trouver les infidèles? Il nous faut absolument tuer cette entité avant sa naissance. L'empêcher d'acquérir assez de pouvoir, qu'elle ne puisse prendre forme.

- Je peux essayer, mais je ne peux rien promettre. Comme je l'ai dit plus tôt. Il m'est difficile, si ce n'est impossible de lire dans les âmes de ceux qui se cachent à moi.

- Mais tu pourrais savoir s'ils t'offrent une résistance? Cela nous permettrait de trouver les infidèles et de les éliminer.

- C'est plus complexe que cela. Effectivement, je peux ressentir si une âme me cache quelque chose, ce n'est pas pour autant qu'ils ne nous vénèrent plus. Bien souvent, ils nous vénèrent encore, par crainte ou par habitude, ils nous apportent de la force par leur prière quotidienne ou par les âmes qu'ils nous sacrifient. Mais ils me cachent, qu'ils aiment leurs parents, leurs conjoints ou la femme d'une autre, qu'ils ont peur d'une personne ou d'une fonction car ils en ont honte.

- Profitons-en pour faire une grosse récolte.

- Tu ne comprends pas, vous ne comprenez pas. Ce dont je viens de parler, quasiment la totalité de nos fidèles le font, consciemment ou non. Il faudrait éliminer la majorité de la population, ne nous laissant que quelques prêtres parmi les plus endoctrinés.

- Tu as une autre solution ? Parce que moi, je n'en vois pas. Nous avons perdu une part importante des âmes, une part que nous ne pouvions pas nous permettre de perdre, surtout si une autre entité se sert de ces âmes et grandit sans l'ombre.

- Je propose de donner un autre ordre aux hauts prêtres : l'élimination des enfants des esclaves à leur 3ème jour à partir de maintenant et pendant 3 ans. Cela nous apportera plus d'âmes pendant un certain temps et ils pourront ensuite de nouveaux agrandir le troupeau d'elfes. De plus, cela ne réduira pas nos fidèles.

Les deux autres Dieux donnèrent leur assentiments et ainsi commença une ère d'infamie pour les elfes.

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La cérémonie était terminée et les neuf hauts prêtres du haut plateau étaient réuni autour du bol. Trois d'entre eux avait une toge, anciennement blanche, qui paraissait noire du sang accumulé. Les fidèles de Royt, le Dieu du sang. Trois d'entre eux avait une toge, roussie par le feu à certains endroits. Les fidèles de Tropl, le Dieu du feu. Trois d'entre eux avait une toge, blanche et immaculée. Les fidèles de Frinj, le Dieu des ombres.

Agenouillés, ils demandaient la voie à suivre aux Trois Divinités. Cela faisait plus de deux heures qu'ils étaient ainsi. Ils ne bougeraient pas, ne mangeraient pas et ce pendant trois jours, où jusqu'à ce que les Dieux s'adressent à eux. Un tel événement n'était pas arrivé depuis plus d'une centaine d'années. Mais ce qui s'était passé pendant le cérémonial ne s'était jamais produit auparavant, ils avaient besoin d'être guidés.

Leurs genoux et leurs dos commençaient à leur faire mal. Certains commençaient également à frissonner, l'air frais de la nuit rafraîchissant doucement le bâtiment. On avait entendu une fois ou deux, un ventre grogner de faim (leur corps était habitué à avoir ce qu'il voulait avant même d'en ressentir le besoin).

Les rituels des Hauts prêtres étaient marqué par le chiffre 3 et ses multiples. Ils priaient trois fois dans la journée, et répétait alors 3 prières identiques. Ils avaient trois toges différentes. Ils tournaient trois fois la clé dans les cellules des prisonniers. De nombreux rituels se déroulaient sur 3 heures ou 3 jours. Toute leur vie, ils attendaient les paroles des Trois Grands. Les Hauts prêtres étaient les seules qui recevaient les directives des Dieux, ils étaient les seuls à pouvoir le supporter. Et lorsqu'ils ne le supportaient plus, ils rejoignaient les Dieux et étaient remplacés par un autre rapidement.

Soudain, tous les prêtres saisirent leur tête entre leurs mains. Trois voix se mêlaient dans leur esprit formant un discours qui se répétait en boucle, comme en écho dans leur crâne:

"Vous avez échoué.

Nous sommes en colère.

Échouez de nouveau et vous périrez.

Dès demain et pour le temps de trois années, vous sacrifierez les jeunes des esclaves dès qu'ils auront atteint l'âge de trois jours.

Renvoyez les troupes en guerre, faites des prisonniers et sacrifiez-les nous.

Échouez et vous périrez."

Les hauts prêtres s’évanouirent de douleur après trois heures de prières.

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