-Bienvenue, Nils Nocquat.

Je reste immobile, alors qu’une multitude de questions se succèdent et se bousculent dans ma tête. Avant que je n’ai le temps de bredouiller une demi réponse hésitante, elle se tourne aussi vers mes deux camarades, et s’adresse à eux cette fois.

-Sahana Kara, Kowrr fils de Raowk, Bienvenue aussi à vous deux. N’hésitez pas, entrez !

Nous la suivons en silence à l’intérieur de la petite maison. Loin du palace que j’imaginais pour un être aussi puissant qu’elle est censée être, l’endroit est aussi normal que l’extérieur le suggère. Nous entrons dans un petit salon, avec un canapé un peu abîmé, une petite table en verre frôlant le sol et un fauteuil grand et confortable, affublé d’un accoudoir sur lequel repose le plus gros livre que j’ai jamais vu.

Le livre est si gros que je ne vois d’autre explication que la magie pour expliquer comment il tient sur l’accoudoir. Il doit faire au moins vingt mille pages, et si le sigle IX reposant sur l’immense dos signifie ce qu’il a l’air de signifier, la collection complète doit être facilement la plus longue œuvre, encyclopédie incluse, jamais écrite dans l’histoire de l’humanité.

En laissant les hyperboles de côtés, je ne suis clairement pas le seul à m’émerveiller de la taille gargantuesque de l’ouvrage, si l’on en croit le visage choqué de Kowrr. Sahana, elle, semble bien plus habitué que nous à ce genre de phénomène, car elle ne cille pas une fois, et elle prend la parole pour interroger notre hôte, qui se tient silencieuse à nos côtés.

-Merci de nous avoir accueillis, Oracle. Si vous connaissez nos noms, j’imagine que vous savez déjà tout de la raison de notre visite ?

La femme balance la tête de droite à gauche, réfutant l’assomption initial de la jeune démone, puis répond, toujours en arborant le grand sourire doux qu’elle porte depuis notre entrée dans cette maison.

-Malheureusement, je ne sais pas tout, jeune fille, je ne suis que l’Oracle, celle qui voit les futurs possibles. Et vous êtes tout les trois suffisamment impliqué dans nombre de ces futurs pour que j’apprenne à vous connaître au travers de certaines de mes visions.

Elle marque un temps de pause pour nous balayer du regard, jusqu’à s’arrêter au moment où nos yeux se croisent. Elle me fixe, et je vois dans ces yeux, dont la couleur jaune pâle me rappelle à chaque instant le fait qu’elle, comme moi, n’est pas humaine, un étrange mélange de colère et de compassion. Et lorsqu’elle reprend finalement la parole, son regard ne se détache pas, me paralysant toujours plus.

-Surtout Nils Nocquat, ici présent. Jouer la décision de sa vie à pile ou face ? Tes actions ont à elle seule malmené des générations d’Oracles. Toute vision du futur confuse et vague, et la moitié des prédictions inutilisable aujourd’hui! Enfin, maintenant que cette étape est passée, tout va un peu mieux.

J’essaie de comprendre les implications des paroles de l’esprage. Mon jeter de pièce, ma décision de laisser au hasard ce choix a une si grande influence sur le futur ?

-Je… Je ne pensais pas que c’était si important. Mais du coup, vous devez savoir quelque chose, ais-je fait le bon choix ?

Elle pousse un soupir, dans lequel je détecte un peu trop de pitié pour mon plaisir, mais elle me répond immédiatement après.

-Mon garçon, il n’y avait pas de bonne décision. Enfin, j’imagine que ce que tu demande, c’est qui a attaqué tes amis ? Je ne peux pas répondre à ça. Je ne peux pas me permettre de trop agir, malheureusement.

Je ne lui réponds pas, car je m’y attendais. Ça ne va pas être aussi simple, on dirait. En attendant, la précaution qu’elle semble mettre dans chacune de ses phrases m’inquiète un peu, sans parler de son avis sur l’absence de bonne décision. Je commence sérieusement à avoir l’impression que, pour elle au moins, je suis important, très important, et ça m’inquiète.

Au vu de ma puissance actuelle, je doute de pouvoir être important à cause de ma puissance ou de mon talent. Ça ne laisse pas beaucoup de possibilités, seulement deux, soit il m’arrive un truc tragique qui provoque des choses qui me dépasse, de la même manière que la mort d’un seul homme, bien qu’archiduc, avait provoqué la première guerre mondiale, même si aujourd’hui il me semble clair qu’ange et démon avait plus d’une main là-dedans, soit je fais un truc stupide, comme l’homme qui a tué l’archiduc en question.

Dans les deux cas, il y a peu de chance que tout se passe bien pour moi dans le futur.

-Et donc, vous ne pouvez rien me dire, sur ce que je dois faire ?

-Pas grand-chose, je le crains. Mais ça ne me dit pas pourquoi vous êtes tous les trois là, aujourd’hui.

Elle se tourne cette fois vers Sahana, qui jusqu’à présent se contentait d’écouter la conversation avec un intérêt évident, visiblement passionnée et intriguée par notre petit échange.

Quelques minutes plus tard et Sahana, lui a déjà fourni des explications détaillés sur notre situation, avec mon assistance et parfois celle du luga, et aussi un petit café fourni par l’Oracle, qui nous a laissé nous asseoir sur le canapé, prenant place sur le fauteuil et passant l’entièreté de la conversation occupée à feuilleter son gigantesque livre.

À part ça, l’esprage est resté très silencieuse, se contentant d’un hochement de tête à intervalles réguliers. Finalement, après toute cette discussion, elle s’arrête sur une des pages de son livre, lit pendant une dizaine de secondes dans le même silence, et reprend la parole.

-Bon, je pense avoir trouvé mes visions de ce futur. Je devrais pouvoir vous aider un petit peu. Quand au conflit avec les lugas, je pourrais accepter leurs excuses de l’alpha en personne si vous le sauvez. Ou de son successeur sinon. J’ai des choses à lui demander, et seul un descendant adulte d’Awlvir pourra me donner les réponses que j’attends.

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Elle prend une grande inspiration, nous dévisage un par un à nouveau, laissant l’appréhension monter lentement. Je sais déjà ce qu’elle va nous demander. Les lugas nous avaient prévenus, après tout.

-Cependant, vous n’ignorez sans doute pas que je demande une offrande pour mes services, et aujourd’hui, je ne ferais pas exception. J’ai deux requêtes à vous faire. D’abord, à toi, Nils. Enterré au milieu du plus grand parc de votre ville, Valiute, se trouve un anneau magique. Je veux que tu le trouves, et que tu me le ramène. Ne t’inquiètes pas, cette tache n’est pas urgente, tu pourras le garder jusqu’à notre prochaine rencontre, qui ne sera sans doute pas de sitôt. Ensuite, Sahana. Je veux une équipe de briseur de sorts pour quelques jours. Vois avec ta maîtresse. Enfin, Kowrr, je veux, comme je l’ai déjà dit, la présence du futur alpha dans cette maison dès son retour ou sa nomination. Nous sommes d’accord ?

J’acquiesce sans hésiter, la requête de l’Oracle semblant être une tâche simple à réaliser, et l’idée d’utiliser et de posséder un anneau magique, même si c’est seulement temporaire rends cette tâche toujours plus intéressante. Kowrr fait de même dans les secondes qui suivent, ce qui ne m’étonne pas, vu que la présence de Raowk dans cette maison était déjà presque certaine. Sahana, elle, est plus hésitante, et elle prend la parole pour interroger notre hôte sur ses intentions.

-Des briseurs de sorts ? Pourquoi auriez vous besoin d’eux, des anges vous attaquent ?

Je lève un sourcil dans sa direction, lui demandant du regard ce que sont ces ‘briseurs de sorts’ dont ils parlent. Probablement une contre-mesure à la magie angélique, mais j’aimerais avoir plus de détail. Mon amie ne me répond pas immédiatement, concentrée sur le visage de l’esprage, qui semble à son tour hésiter.

-Je ne peux pas en dire plus, et j’ai déjà énoncé mes prix. Si tu veux une prophétie maintenant, accepte le marché.

La démone semble torturée. Peu importe qui sont ces briseurs de sorts, ils doivent être vraiment important pour qu’elle prenne autant de temps à se décider. Elle finit par lâcher un soupir et acquiescer.

-D’accord, tu auras tes briseurs de sorts, mais pas plus de trois jours !

C’est au tour de l’Oracle d’approuver leur deal, et elle le fait sans hésiter.

-Trois jours ce sera donc. Bien, maintenant que le marché est conclu, j’ai besoin d’un peu de temps. Je vais faire une dernière prédiction, préparer la prophétie que je dois vous livrer, et je vous dis tout. Vous pouvez rester ici, profitez des gâteaux et du café, je vous rejoins bientôt.

Sur ces mots, elle se lève tranquillement et quitte la pièce sans un bruit, emportant, à ma grande surprise, l’énorme livre avec elle. Elle le porte comme s’il était aussi léger qu’une plume.

Dès son départ de la salle je me tourne vers Sahana, toujours un air interrogateur sur mon visage.

-Elle est toujours comme ça ?

-C’est aussi ma première rencontre avec elle, mais elle semble un peu différente de ce qu’on m’a dit. Elle connaît nos noms, et c’est assez inquiétant. C’est rare, et ceux à qui ça arrive ont rarement une existence joyeuse.

Un silence pesant tombe sur cette dernière phrase de la démone. Je ne peux m’empêcher de m’inquiéter, de ressasser en boucle quelques scénarios horribles expliquant son attitude envers moi. Et quelques uns moins horrible. Mais après une poignée de minutes dans le silence, certainement pas interrompu par le luga, qui a l’air de vouloir garder autant de distance avec nous qu’il le peut, je reprends la parole, espérant quelques clarifications.

-Et donc, c’est quoi des briseurs de sorts ?

-Ils sont, hm, des démons très talentueux, à qui on a appris à manier le Volvar, qui est une série d’artefacts détectant et détruisant les cercles magiques des anges. Le problème, c’est qu’on a qu’une poignée de ces artefacts, et leurs tarifs sont très, très élevés.

-Les cercles magiques des anges ? Ce truc dont on a parlé en cours, qui leur permet de créer des zones avec des effets, c’est ça ?

-Exactement. Et ça peut être très puissant, et surtout très grand. Une partie de la hiérarchie démonique pense même qu’il y en a des centaines dans chacune des grandes villes du monde, prêts à être déclenchés, pour la prochaine fois où les anges vont se rebeller. Mais bon, les briseurs ont bien cherchés, et rien trouvés, donc pas vraiment besoin de s’inquiéter.

Je passe le reste de la demi-heure à en apprendre un peu plus sur ces cercles, et sur tout les effets qu’ils peuvent avoir, passant de la régénération à la destruction totale, d’un simple buff à un poison ciblé sur les démons.

Je suis presque un peu surpris que les démons puissent rivaliser avec autant de pouvoirs, et tous aussi puissant, mais c’est aussi vrai que les anges sont tout sauf rapides quand ils créent leur sort, ce qui balance sans doute les combats, ou au moins les a balancé, dans le passé.

Après cette petite discussion, quelques blagues et un tour rapide de quelques autres sujets, tout sous le regard aussi silencieux qu’inquisiteur du loup, l’Oracle revient dans la salle, une expression un peu sombre sur le visage. Dans ses mains, deux livres.

Tout d’abord, elle tient ce qui semble être un autre tome de l’encyclopédie, le XII, ainsi qu’un autre, beaucoup plus petit, affublés d’un titre de mauvais augure : ‘Grands prophéties du XXI-ème siècle : Le Projet A’.

Elle pose le plus grand sur l’accoudoir, laissé vide depuis qu’elle a enlevée l’autre livre, et ouvre le deuxième à peu près au milieu.

Elle nous dévisage une dernière fois tous, alors que je tremble presque d’anticipation. Je veux savoir ce qu’elle a vu, ce qui lui donne cet air sombre, la raison pour laquelle elle connaît mon nom. Tant de choses.

Elle finit par prendre la parole, et d’une voix bien plus grave qu’avant, énonce la prophétie.

Avec chacun de ses mots, la maison vibre, résonne, les meubles tremblent et nous sommes parcourus de secousses. Chacune de ses phrases est ponctuée par un violent bruit d’éclair, qui me font tous sursauter. L’écoute me fait passer à travers tant d’émotions que je ne sais plus quoi penser.

Je ne me sens pas prêt à l’écouter, pas prêt à la comprendre, mais la prophétie se grave dans mon esprit, dans ma mémoire, se transforme presque immédiatement en un souvenir permanent, et j’ai la sensation étrange que désormais, je ne pourrais jamais l’oublier, mais je pourrais très bien ne jamais la comprendre.

Cette oracle, cette prédiction, est la suivante :

*

Lorsque arrivera le victorieux

Celui qui libérera ou condamnera les peuples.

Lorsque tombera la pièce

Celle qui sauvera ou détruira le monde.

Lorsque le ωμπρε recouvrira les Sonens

Ceux qui apporteront le sang et les larmes.

En ce dernier jous, l'As ne pourra qu'être vaincu par le Fou,

Les hommes ne pourront qu'être aidés par les Sonens,

L'Ange ne pourra qu'aider le Démon.

En ce dernier jour, si vivre vous désirez,

avec l'Ennemi vous devrez pactiser.

Pour devenir un monstre, il faudra en sauver un.

Pour devenir un dieu, il faudra en tuer un.

Et attendre la FIN.

*