La maison des démons est juste… immense. Ça fait presque quinze minutes que Sahana me montre les pièces une par une, de l’unique salle à manger aux nombreux salons et salles de bains, et il reste encore des ailes entières que je n’ai même pas aperçue. Tout est dans un style assez ancien, mais entièrement rénové et avec une sensation de ‘comme neuf’, qui vient me perturber toujours plus.
Le gars de tout à l’heure, Ovaalak ? S’il s’occupe tout seul de cet endroit, son travail est assez incroyable. Tout est vraiment impeccablement nettoyé, et j’ai parfois l’impression d’être le premier à découvrir ces pièces.
Évidemment, mon admiration n’a pas échappée à Sahana, qui m’a ensuite expliquée que la magie aidait beaucoup pour ce genre de taches. Ce qui m’a beaucoup intrigué. De la magie ? C’est vrai qu’Aylin et le vieil ange en avaient parlé, dans mon rêve. Il faudra d’ailleurs aussi que je me renseigne à ce sujet, si anges, démons et autres êtres surnaturels peuvent venir squatter mes rêves, j’aimerais le savoir.
Et c’était d’ailleurs probablement de la magie aussi, qui m’a permis de guérir aussi vite de ma blessure à la poitrine. De le magie utilisée par Sahana ? Elle avait la main posée sur ma poitrine quand je me suis réveillé dans la voiture.
Je la suis dans le couloir suivant, celui qui nous amène aux chambres lorsque j’interromps ses explications pour la remercier de ce moment.
-Au fait, je sais que tu m’a dis de ne plus te remercier, mais je viens de me rappeler qu’en venant ici… c’est toi qui m’a soigné. Donc merci, une dernière fois.
Elle me jeta un regard d’abord un peu désapprobateur, mais surtout amusé, avant de me répondre.
-Tes capacités régénératives ont fait le plus gros du boulot, je n’ai fait que donner un petit coup de pouce. Un démon, quel que soit son âge, est difficile à tuer.
-Mon âge ? Je suis considéré comme un nouveau né ?
Elle grimaça un peu en entendant ça, comme un peu gênée de la question. Elle hésita quelques instants supplémentaires puis daigna m’accorder une explication.
-C’est compliqué. Les démons-nés, comme Aylin ou moi, enfin pas moi ou Aylin, les autres, ont tendance à considérer les nouveaux Changeurs comme des bébés. Après tout, même avec ton âge… Les démons de ton âge ont le corps et la mentalité d’un enfant de quoi, 6 ans ? Donc oui, pour certains, tu es presque un nouveau né. Mais personne ici ne te traitera comme tel, ne t’inquiète pas.
Ça me rassure un petit peu, mais pas complètement. Si personne ‘ici’ ne me traitera comme un bébé, cela sous-entend fortement que quelqu’un, ailleurs, le fera. Devenir un être surnaturel pour être traité comme un gosse n’a pas l’air d’être une si bonne idée que ça. J’espère pouvoir éviter de rencontrer les démons qui font ce genre de choses. D’ailleurs, si les démons de 17 ans sont comme des enfants de 6 ans, ça veut dire qu’ils se développent, qu’ils grandissent, quoi, trois fois plus lentement que nous ? Ça devrait forcément avoir des effets sur eux, sur leur perception du monde.
Cependant, avant que je n’ait le temps de poser la question à Sahana, une voix lente et assez… séduisante nous interrompt.
-Le traiter comme quoi ?
Sahana grimaça une nouvelle fois. C’est une habitude chez elle ? Elle se retourna dans la direction d’où la voix provenait. Une autre fille, brune, qui a l’air un peu plus jeune que moi, remonte le couloir des chambres dans notre direction. Habillée d’un mini-short et d’un débardeur noir montrant des larges portions de sa peau bronzée, elle porte aussi un petit sac en cuir noir et devait être en train de sortir quand elle nous a entendu parler.
Elle m’adresse un regard un peu surpris, qui se transforme rapidement en petit sourire séduisant, alors que Sahana se donne la peine de lui répondre, et de nous présenter.
-Oh. Salut Narase. Narase, voici Nils, c’est un nouveau Sonen, on en a parlé avant-hier soir au repas. Nils voici Narase, c’est une démone, comme tu peux l’imaginer. C’est aussi la plus jeune et la plus récemment arrivée dans notre petit groupe.
-Plus maintenant, on dirait. Enchantée, Nils, j’ai entendue que tu n’es pas du coin, donc si jamais tu veux découvrir les meilleurs endroits de Valiute, n’hésite pas à venir me voir.
Je suis un peu désarçonné par sa proposition, et par elle en général, mais j’arrive à répondre de manière cohérente et relativement assuré.
-Je suis enchanté aussi. Je n’hésiterais pas si j’ai besoin d’aide, merci.
L’air satisfaite par ma réponse, Narase repart d’un pas assurée vers les escaliers, qui est l’endroit d’où l’on vient, et, en repartant, elle nous fait un petit signe de la main, en nous adressant quelques mots.
-Super, bon, à la prochaine, Sahana, Nils.
Après avoir échangé un regard avec ma guide, je réponds en même temps que cette dernière un ‘Salut’ à Narase. Cela fait sourire Sahana, et m’arrache un petit rire. Une fois que nous nous sommes tout les deux calmés, Sahana revient sur notre rencontre.
-Donc voilà, tu as rencontré Narase. C’est la plus jeune ici, et elle est parfois un peu immature, donc ne fait pas trop attention à elle et ne lui en veut pas si elle fait une bêtise. Elle est gentille, au fond. Évite juste de trop lui faire confiance, et d’écouter tout ce qu’elle dit, et tout se passera bien.
-D’accord. Je vais essayer.
Après un petit hochement de tête approbateur, Sahana reprend la visite. Nous passons rapidement devant chacune des chambres, sauf celle d’Aylin, qui n’est pas ici. Leurs habitants sont tous absents, sauf dans la dernière, où j’ai l’occasion de rencontrer un autre membre de notre petit groupe.
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Elle était en effet dans sa chambre lorsque nous sommes passés devant cette dernière. Ayant entendue notre conversation, elle a ouvert la porte pour venir voir ce qui se passait, et c’est ainsi que j’ai découvert la quatrième, et dernière, fille de la maison.
Par une simple déduction, ce doit être Marie, donc une Changeuse, tout comme moi. Habillé simplement d’un jean foncé et d’un sweat large, et un peu grand pour elle, avec ses cheveux châtains coupé court retenu par une queue de cheval. Elle semble, elle aussi, surprise de me voir. Pourtant Sahana a mentionné un repas durant lequel ils ont parlé de moi, donc ça ne devrait pas être si choquant.
Alors qu’elle balbutie, clairement hésitante et ne savant pas trop quoi dire, je fais le premier pas, et me présente à elle.
-Salut, je m’appelle Nils. Ravie de te rencontrer.
Je me demande pendant une poignée de secondes si je ne devrais pas lui faire la bise, ou lui serrer la main, ou n’importe quel geste classique quand on rencontre quelqu’un, mais je décide finalement de m’abstenir, plutôt que de risquer de la mettre mal à l’aise.
-Euh ouais. Salut ! Moi c’est Marie.
Elle me répond sur un ton enjoué, après s’être remise de la surprise, puis reprend d’un ton un peu plus posé.
-Bienvenu parmi nous, tu verras c’est cool, on est sympa. Hésite pas à demander si t’as besoin d’aide. Salut aussi, Sahana, et euh, à ce soir.
Sans vraiment nous laisser le temps de lui répondre, elle rentre à nouveau dans sa chambre et ferme la porte sur ces derniers mots. Après quelques secondes, Sahana se décide à me présenter un peu plus Marie, comme elle vient juste de présenter Narase.
-C’était Marie, elle n’est pas une démone depuis longtemps, mais elle est plutôt douée. Elle sort pas beaucoup de sa chambre, donc tu la verras sans doute pas beaucoup. Elle est sympa sinon.
-Ok, ouais, elle a l’air sympa.
Je lui réponds avec un sourire amical, avant que nous reprenions ma découverte des lieux. On arrive d’ailleurs finalement à ma chambre, qui se trouve à un des bouts du couloir. La chambre en face est vide, et celle à gauche est celle d’Otukk, un démon-né si l’on en croit son nom, qui n’est pas là actuellement.
La salle dans laquelle je me suis réveillé n’est apparemment qu’une chambre d’hôte, et effectivement, cette chambre est un peu plus sympa. Elle est spacieuse, plus de quarante mètre carrés, si je devais estimer. Un grand lit deux places un peu ancien est posé fièrement au centre de la pièce. À quelques mètres de celui-ci, sur la droite, un grand bureau est posé, avec une chaise roulante digne des meilleurs fauteuils gaming. Un écran d’ordi est posé sur un des côtés du bureau, ainsi que des projecteurs holographiques. De l’autre côté, du matériel scolaire, feuille, stylo et tablette eLearn bien rangés dans des compartiments spécifiques.
En parallèle du bureau, une grande penderie recouvre le mur de droite. Des portes en bois pliables sont grandes ouvertes, me permettant d’apercevoir une grande collection de vêtements, des habits plus communs tels que des t-shirts et des jeans, aux costards bien repassés. Derrière moi enfin, à droite du couloir menant à la porte qui donne vers le couloir, une grande salle de bain est installée, équipée de toilettes, d’une douche à l’italienne et d’une grande baignoire.
Je suis un peu choqué par tout ce luxe, moi qui ait grandi dans une petite maison moyenne, dont le rez-de-chaussé entier était probablement plus petit que cette chambre, mais j’imagine que quand on vit des centaines d’années, on a de quoi se faire plaisir.
Sahana, encore une fois, remarque facilement le regard de stupéfaction que je porte à la pièce, et elle arbore de nouveau un petit sourire amusé.
-Alors, ça te plaît.
-C’est… impressionnant. Mais oui, ça me plaît. Tout le monde à une chambre aussi grande ?
Je connais déjà la réponse, mais je lui demande quand même, si jamais j’aurais le droit à un traitement spécial pour une obscure raison.
-Bien sûr. Et encore, t’as pas vu celle d’Aylin. C’est un avantage d’être un démon. Le confort et les grands lits.
Sa réponse me surprend un peu, et soulève d’autres interrogations dans mon esprit.
-Pourquoi, c’est différent chez les anges ?
Elle me dévisage avant de lever les yeux d’un air songeur, puis reprend la parole.
-Plus ou moins. Ils peuvent vivre dans le confort aussi, mais ils sont plus adeptes des traitements… un peu spartiates chez les jeunes. Tu connais le film 300 ?
Ça me dit effectivement quelque chose, un vieux film je crois, un des trucs du début du siècle, je me rappelle des publicités pour la sortie d’une version holographique, mais je ne l’ai jamais regardé.
-Je l’ai jamais vu, mais j’en ai entendu parler.
-Il faudra qu’on le voit, un jour, mais c’était juste pour dire que les anges sont entraînés dans des pires conditions que nous.
Bon, j’ai clairement fait le bon choix si elle me dit la vérité, et je ne vois pas pour quel raison elle me mentirait. Les anges doivent avoir un rythme de vie bien plus difficile que les démons.
Après cette petite discussion, nous avons terminé la visite en jetant un petit coup d’œil dans les jardins. Ceux-ci sont tout aussi impressionnant que la maison elle-même, et tout aussi bien entretenu. Alors qu’on est en train d’explorer un coin du domaine, Sahana s’arrête devant un abri de jardin, une petite cabane à l’air un peu miteuse, qui semble étrangement moins bien traité que le reste de la villa. Sahana se retourne vers moi, et, les yeux remplis d’une certaine joie, me pose une question.
-Tu veux voir un truc vraiment cool ?
Un peu étonné par cette demande, je lui réponds rapidement.
-Euh oui, pourquoi pas. C’est… ici ?
-Exactement ! Suis-moi.
Elle pose sa main sur un des côtés de la cabane, et celle-ci s’ouvre d’un coup, dans un petit clic mécanique. Se retournant vers moi avec le même sourire, elle rentre dans la cabane, et me fais signe de la suivre. Je la suis, intrigué, commençant à me faire des films sur le fait que cet cabane serait en fait un accès un peu trop évident à une bat-cave.
La jeune fille traverse la cabane d’un pas tranquille mais assuré. Cette dernière semble parfaitement banale, même si un peu grande. Divers outils de jardinage sont stockés sur les étagères, du râteau au sécateur, du seau au broyeur.
Sahana s’arrête au milieu de la pièce, devant un arrosoir violet à fleurs jaunes, clairement usé par le temps, avec même un petit trou sur le côté. Elle me fait encore signe de me rapprocher, et j’obéis. Je ne suis maintenant plus qu’à quelques centimètres d’elle. Elle me prend par la main, et je ne peut m’empêcher d’apprécier la douceur de la sienne.
Elle tend son autre main, et appuie sur le bout de l’arrosoir, et alors que je cherche à comprendre ce qu’elle veut me montrer, le sol se met à trembler tout autour de nous, les étagères se rétractent magiquement dans les murs en bois bien trop fin pour qu’elles puissent tenir, et le sol descend sous nos pieds.
Je panique un petit peu avec la sensation de chute et tente de me raccrocher à quelque chose, mais tout est partit et les murs défilent trop vite autour de moi. Sahana me serre la main un peu plus fort, remarquant mon agitation. Elle se retourne vers moi, et m’offre un sourire amusé, presque agressif, et je vois qu’elle se retient un peu de rire.
Puis, en moins de cinq secondes, tout s’arrête. Je réussis à naepas tomber, déstabilisé par les brusques changements de vitesse.
-Alors, marrant hein ?
Sans répondre à Sahana, j’explore du regard la pièce dans lequel je viens d’arriver, éberlué.
Finalement, on dirait bien que je suis arrivé dans la bat-cave.