Finalement, je n’ai pas appris de magie démoniaque, ni rien de similaire, au cours de toute ma première journée parmi les démons. J’ai passé toute la fin de l’après-midi, et une partie de la soirée à errer dans les rues du centre-ville de Valiute avec Sahana. Nous avons même mangé là-bas, à deux dans un fast-food local, puis la fatigue a fini par me vaincre, et je suis rentré me coucher sans avoir eu le temps de revoir les autres. Je n’ai finalement même pas rencontré tout mes camarades après une journée entière dans le groupe, mais j’espère pouvoir les voir bientôt.
Ma nuit ne fut pas sans histoire. Une succession de cauchemars troublèrent mon sommeil, revenant systématiquement sur le bus, et donnant au monstre qui as tué mes amis divers traits. D’abord celui du vieil ange, Karel, puis le masque de monsieur A, le visage souriant de Sahana, celui d’Aylin, et puis une succession de visages divers, de celui de mes parents à celui de mon professeur de maths. Finalement, vers trois heures du matin, après avoir été réveillé au moins dix fois, je finis pas plonger dans un sommeil bien plus lourd, qui m’accompagna jusqu’au matin.
Je suis réveillé assez tôt, un peu avant huit heures, par les rayons du soleil passant à travers la fenêtre, dont j’avais oublié de fermer les volets durant la nuit. Surprenant que les lumières de Valiute soient si peu visibles la nuit que je ne les ait même pas remarqué lors de mes réveils successifs. Je comate un peu dans mon lit avant d’émerger moins d’une demi-heure plus tard. Je prends mon temps, une douche, je m’habille et descends dans une des salles à manger, où Sahana m’avait informé que presque tout le monde prenait son petit déjeuner.
Je rentre dans la pièce avec un peu plus de confiance qu’hier. Je me sens un peu plus à l’aise maintenant, malgré mon léger manque de sommeil qui se fait toujours sentir.
La salle n’est, sans surprise, pas vide. Aylin est assise au bout d’une table, mangeant un pain au chocolat tout en regardant quelque chose sur son téléphone, posé sur la table. Un garçon que je ne connais pas est en train de s’affairer au niveau de la cuisine et plus particulièrement, de la machine à café.
Il doit s’agir de Louis, le seul démon mâle que je ne connais pas. C’est aussi un Changeur, tout comme moi. D’après ce que m’a dit Sahana, c’est un mec super sympa. Il se retourne en m’entendant rentrer et je m’empresse de me présenter.
-Bonjour, Aylin. Et tu dois être Louis c’est ça ? Moi c’est Nils.
-Ah, oui, le nouveau. C’est bien ça, ravi de te rencontrer. Tu veux quelque chose pour déjeuner ?
-Bonjour Nils.
-Euh, oui je veux bien un chocolat chaud, si ça ne te dérange pas.
-Pas de problème, je m’en occupe, tu peux t’installer ici, il y a à manger dans les placard ici, et du pain sur le plan de travail si t’en veux.
Je le remercie et commence à prendre mon petit déjeuner. Quelques minutes plus tard, il m’apporte une tasse de chocolat chaud, accompagné de deux autres tasses de café, une pour lui et une autre pour Aylin, et il finit par prendre place à côté de la démone, qui en profite pour prendre la parole.
-Donc, Nils, ta première journée s’est bien passée ? Tu as pu découvrir un peu la ville ? Et le manoir ?
-Oui, c’était intéressant. La base secrète au sous-sol est impressionnante.
À ses mots, elle sourit, amusée, puis me répond.
-En effet, elle surprend souvent les gens à leur première arrivée ici. Cependant, maintenant que tu es installé, il est temps que tu découvres un peu ce que devenir un démon, ou plutôt ce que devenir un de mes servants implique. Après le déjeuner, rejoint moi dans le salon.
* * *
Moins d’une heure plus tard, et me voila déjà dans le fameux salon, assis sur un fauteuil en face d’Aylin.
Nous sommes seuls dans la pièce, mais j’ai pu croiser Sahana juste avant de rentrer, et cette dernière m’a souhaité bonne chance, ce qui ne me mets pas particulièrement à l’aise.
J’espère juste que ce n’est pas un genre d’examen, même si c’est peu probable. S’ils n’étaient pas sûr de m’accepter, ils ne m’auraient pas montré leurs passages secrets. Sauf s’ils comptent me tuer ? J’en doute un peu, mais toute cette attente commence à me stresser.
Aylin me dévisage sans rien dire depuis presque trente secondes, et je ne sais pas quoi dire. J’attends désespérément qu’elle prenne la parole, et elle finit heureusement par le faire.
-Donc, Nils, tu dois avoir beaucoup de questions, j’imagine, et tu en auras encore plus quand j’aurais fini mes explications, mais il faut que tu me laisses finir, d’accord ? Je répondrais à tout après.
-Euh, d’accord.
J’ai l’impression qu’elle s’inquiète un peu pour rien. Je ne suis pas du genre à interrompre constamment les gens, enfin je ne crois pas. Mais bon, si elle le demande. Après que j’ai donné mon approbation, elle hoche la tête et commence à parler.
-Donc, comme je te l’ai dis, tu es désormais un de mes serviteurs. Le monde démoniaque est divisé en un petit nombres de clans très influent. Des démons majeurs, comme moi, règnent sur chacun des clans, et sont épaulés par nombre de démons mineurs. Pour créer leur clans, les démons majeurs ont deux méthodes. Soit recruter des membres de clans inférieurs, des descendants de démons mineurs au service de leurs parents ou indépendants, soit de rejoindre une des zones d’affrontement avec les anges et de recruter des Changeurs qui leur deviendront fidèle.
Cela soulève beaucoup de questions. Ça veut dire qu’il y à d’autre clans démoniaques à Valiute ? Que les jeunes démons sont les seuls combattants face aux anges ? Ça n’a pas beaucoup de sens, mais je me retiens de l’interrompre, et je la laisse continuer.
-Ces démons formant leurs clans sont aussi les seuls force de combat face aux anges. Notre mission est de surveiller et contrôler leurs agissements pour vérifier s’ils ne préparent rien de dangereux. Ça peut sembler surprenant que ce soit les jeunes démons inexpérimenté qui se battent contre les anges, mais après la deuxième guerre mondiale, nous avons signé un traité pour limité les affrontements globaux entre démons et anges qui faisaient trop de dégâts. En temps de guerre humaine, nous pouvions les masquer dans les bombardement et affrontements plus traditionnels, mais plus récemment, surtout depuis l’age de l’information, c’est plus compliqué que ça.
-Donc ce sont les jeunes qui se battent ? C’est vraiment mieux ?
Le regard assassin que me porte Aylin me rappelle immédiatement ses paroles. Je n’ai pas pu m’empêcher, toutes ses informations sont beaucoup trop intéressante pour que je me taise. Malgré ça, je ne proteste pas lorsqu’elle reprend son explication sans daigner répondre à mes questions. Je suis un peu déçu, mais je me re-concentre sur ses mots.
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-Nous avons donc, en tant que démon, protecteur de la cité de Valiute, et globalement de toute la francophonie européenne, de la Suisse à la Belgique, plusieurs devoirs. Nous devons déjà, comme je l’ai expliqué, surveiller les anges. On les soupçonne de vouloir provoquer un violent renversement mondial pour reprendre discrètement le contrôle des états, sur lequel nous exerçons le plus de pouvoir aujourd’hui. C’est d’ailleurs sûrement la seule chose les empêchant aujourd’hui de se révéler au monde à nouveau, comme au début du moyen-âge, quand la chute de l’empire romain leur avait donné de nombreuses opportunités d’exploiter le chaos pour répandre leur influence.
Mais ne sont-ils pas censés vouloir une société ordonné, hiérarchisé, avec un système de castes leur permettant de dominer les hommes ? C’est comme ça que j’avais compris les paroles d’Aylin a leur sujet, mais on dirait bien que dans les faits, ils agissent à l’opposé de leur propre idéologie.
-En effet, s’ils se révélaient là, tout de suite, ils devraient affronter les humains et nous en même temps, et seront sans doute vaincu. Nous nous devons de garder cet équilibre, car sinon, cela risque d’être notre fin à tous.
Elle prononce ces mots avec un air dépressif, en cherchant probablement à me transmettre le plus possible la gravité, le sérieux et tout le désespoir que cela représenterait. Ça marche un petit peu, et je me surprends à penser que les anges sont un risque pour notre société. J’essayais d’être un peu impartial tant que je n’avais pas de certitude sur le sort de mes camarades, mais les anges apparaissent de plus en plus comme des profiteurs, des ennemis de tous, humains et démons, et donc certainement ceux les plus à même de tuer sans sourciller un bus entier de lycéens.
-À part ça, nous sommes aussi plus ou moins chargé d’entretenir des bonnes relations avec nos alliés, Luga et Vampires, donc nous passons un certain temps avec eux, et nous les aidons et les accompagnons partout où nous le pouvons, pour renforcer nos liens, surtout avec leurs jeunes, qui sont aussi entraînés ici.
Un air surpris apparaît sur mon visage. Je vais donc pouvoir côtoyer loups-garous et vampires. Je ne sais pas vraiment s’il s’agit d’une bonne chose, mais avoir des informations sur ce que j’ai raté en ne les rejoignant pas, et surtout un avis un peu extérieur sur les démons et l’accident semble une idée intéressante.
Aylin voit mon visage et souris un peu, visiblement amusé, même si je ne sais pas vraiment par quoi.
-Bref, je pense que c’est le principal, pour l’instant. Tu as encore beaucoup de lacunes sur l’histoire et les idées de notre groupe, mais ça ne se réglera pas en une discussion de quelques heures avec moi. Je demanderais à Ovaalar de t’amener quelques livres importants pour mieux comprendre les relations entre les peuples, et celle entre les clans. Si tu as des questions, je serais toujours disponible, et je pense que Sahana sera aussi ravie de te répondre, donc n’hésite pas.
Sa mention de Sahana m’interloque, j’ai l’impression que il y a un peu trop de sous-entendu dans cette phrase, mais je ne relève pas, et me contente de la remercier poliment.
-Merci pour ces informations. Je n’hésiterais pas à te poser des questions. D’ailleurs, à propos de ce que tu disais tout à l’heure, sur la seconde guerre mondiale…
-Wow, wow, calme toi, j’ai dit plus tard, les questions ! Pour l’instant, on a encore des trucs plus important à faire.
Je suis un peu choqué de son interruption un peu violente, et un peu déçu de ne pas pouvoir continuer, mais son sourire amusé, qui a bien grandit en finissant cette phrase, me surprend aussi, et je ne peux me retenir de l’interroger.
-Et c’est quoi, les ‘trucs’ ?
-Héhé… T’as déjà voulu faire de la magie ?
DE LA MAGIE ! Wow, je crois que c’est le moment que j’attendais le plus depuis que je suis arrivé dans ce monde un peu étrange. Une occasion de devenir un magicien, un vrai. C’est beaucoup trop intéressant. Ma fascination presque enfantine pour la magie devait être parfaitement visible sur mon visage, car Aylin rit un peu et me fait un petit signe de la main, avant que je ne lui réponde.
-Oui, ça doit être… bien. Tu, euh, comment ça fonctionne, du coup ?
Elle arrête de rire, prend un air sérieux, le même que lors de son explication un peu plus tôt, et me répond.
-La magie est la base de toute la puissance des démons, et des anges. Nos magies sont très différentes, presque opposées dans leur fonctionnement, mais pour l’instant, on va se concentrer sur la notre. C’est la seule que tu peux utiliser, de toute façon.
Elle fait une courte pause, et je vois ses mains bouger légèrement, et en moins d’une seconde, la pièce se retrouve dans une obscurité totale. Pas un peu sombre, comme à l’extérieur en pleine nuit, ni même comme dans une chambre au volets fermés, mais bien une obscurité totale, profonde, infinie. C’est comme si toute les sources de lumière du monde avait disparut, en un instant, et que toute l’obscurité s’était rassemblé ici, juste autour de moi, pour m’obscurcir à jamais la vision et l’esprit. Je commence à paniquer un peu dans ces ténèbres éternels, mais, aussi vite qu’ils étaient apparus, ceux-ci se dissipent désormais, et la pièce est de retour à son état d’avant l’ombre.
Je me retourne vers Aylin, alors que mon cerveau est encore en train d’essayer de comprendre les cinq dernières secondes.
-C’est toi qui as fait ça ?
Son sourire réapparaît légèrement, avant de laisser à nouveau place à son air sérieux.
-Exactement. C’est une de nos magies, pas la plus utile mais elle est assez impressionnante. Pour maîtriser l’art magique des démons, tu dois prendre conscience du Flux en toi. Le Flux est l’énergie qui transpire à travers toute chose, à travers tout être, toute vie, tout objet. Elle est présente partout, autour de nous, bien qu’invisible au commun des mortels. Notre don, à nous démon, est la capacité à utiliser le Flux qui se trouve en nous pour créer de la magie. Le Flux est bien plus puissant dans un être vivant, et nous pouvons donc utiliser le notre, mais cela a aussi un impact sur notre état physique. Utiliser trop notre Flux est dangereux, et peut même être mortel.
Le Flux ? C’est assez incroyable comment un nom de magie peut être à la fois aussi étrange et aussi peu original, mais si c’est dans ce monde que je vis, je vais devoir faire avec.
-Pour utiliser le Flux, et la magie démoniaque, il n’y a pas beaucoup de solutions. La plus simple est de forcer ton corps et ton esprit à le reconnaître pour te permettre ainsi de l’utiliser. Je vais donc utiliser différents sorts sur toi, jusqu’à ce que tu y arrives.
-Attends une seconde, utiliser des sorts sur moi ? Ce n’est pas dangereux ? Je vais être blessé ?
Son sourire s’agrandit, et je l’entends presque rire, mais elle me répond sérieusement.
-Ne t’inquiète pas, je vais surtout utiliser des sorts non-mortels, tout devrait bien passer.
Des sorts non-mortels ? Quoi ?
-Comment ça, surt…
Je suis interrompu par le retour des ténèbres. Je tente de me débattre et de me déplacer, mais je suis paralysé, figé sur place, et l’appréhension monte alors que j’imagine toute les magies dangereuses et douloureuse qu’elle pourrait utiliser sur moi.
Tout commence par une sensation de froid. Je suis gelé, pétrifié, je ne sens plus la plupart de mes membres, et je m’engourdis lentement, comme dévoré par un glacier démoniaque. Après ça, et sans que le froid ne se dissipe, je sens une montée d’énergie dans tout mon corps. Je suis bouillant, je me sens puissant, fort comme je ne l’ai jamais été. Cette chaleur interne, couplée avec le froid externe provoque une sensation douloureuse, terrible, que j’essaie de chasser en hurlant, mais aucun son ne sort de ma bouche.
Et puis, ça devient pire, une nouvelle sensation de douleur et de désespoir m’envahit. C’est si étrange, car je sens que les émotions, la tristesse et la peur qui déborde en moi ne vienne que partiellement de moi, et surtout d’un sortilège utilisé sur moi, mais je ne peux m’empêcher de sombrer progressivement, alors que des images de cette journée fatidique, de ce bus plongé dans l’obscurité, de ce monstre, remplisse à nouveau mon esprit.
Je bouts de l’intérieur, gèle de l’extérieur, et le désespoir déborde, suivit par la haine et la colère. Je veux ma vengeance. Je veux punir celui qui a attaqué mes amis, celui qui a tué tout ceux qui comptait pour moi, et je ne me laisserais pas mourir aussi bêtement, au cours de ce qui ressemble de plus en plus à une épreuve de volonté.
Je me dépasserais, et je les dépasserais tous, et ça commence maintenant, en surpassant toute ces magies, et en devenant le plus fort, le plus grand démon qui ai jamais été.
Cette ambition dévorante consume ma haine, consume ma colère, consume la peur, la tristesse, le désespoir, et ne laisse rien d’autre qu’un désir de vengeance, un sentiment du devoir qui doit être accompli.
Et lorsque un rayon d’énergie est lancé dans ma direction, lorsque je sens cette magie dangereuse, destructrice qui s’apprête à me frapper, je concentre toute mon attention, tout mon pouvoir, tout le Flux que je sens désormais résonner à travers moi, vibrer au plus profond de mon être, et je dévie le rayon.
D’un geste, je dissipe l’obscurité, et ramène la douce lueur du soleil, réchauffant mon cœur et la pièce.
Je me tiens droit, fier, avec l’impression d’avoir accompli quelque chose. D’avoir changé. D’être devenu quelqu’un, et pas une simple ombre hantée par la mort. Je lève les yeux, et me retrouve face au visage souriant d’Aylin. Son sourire a changer. Il n’est plus moqueur, plus amusé, mais chaleureux, aimant. Elle murmure quelque mots, mais je ne les entends pas, et je m’effondre, en sentant toute cette adrénaline, tout ce Flux, quitter mon corps pour retourner au monde.
Je tombe.
Mais j’ai réussi.