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Chapitre 8 : Le carrosse d'Au Val

Chapitre 8 : Le carrosse d'Au Val

Nous nous alignons tout les trois en face du rond-point. Le luga, Kowrr, semble au moins aussi stressé que nous. Après un dernier petit regard et un sourire, Sahana commence à parler à voix haute, assez fort et distinctement, tout en levant un de ses bras qu’elle tend vers la route devant nous.

-Terbriar Rolvis Le Messager !

Après cela, elle baisse la main lentement et se retourne vers nous deux.

-C’est l’appel traditionnel, il devrait bientôt arriver si tout se passe bien.

Je hoche la tête, retenant encore un peu ma respiration. Je ne connais pas la signification de ces phrases, loin de là, mais leur simple prononciation par mon amie a fait résonner en moi tout mon Flux. Je l’ai vu, je l’ai senti vibrer à travers moi, se déformer légèrement, avant de lentement reprendre sa position initiale.

Cet appel n’est clairement pas juste des paroles dans le vent. Il semble agir sur la magie même, tout autour de nous. Et au moment où j’en prends conscience, une deuxième vague agite mon Flux, le changeant encore pour quelques instants. Sahana reprend la parole.

-Ah ! Notre message a été reçu. On a plus qu’à attendre, maintenant.

Alors qu’elle finit sa phrase, j’entends un crissement un peu étrange, comme celui de bouts de bois qui racle contre le sol. Je lève les yeux juste attend pour voir un étrange carrosse arriver à toute vitesse et s’arrêter brusquement, bien trop brusquement, juste devant nous, après un dérapage violent mais contrôlé sur le béton.

Il allait bien trop vite pour s’arrêter aussi rapidement, mais ce n’est pas la seule, et même pas la plus importante des choses étranges l’entourant.

Il est grand, aussi grand qu’un petit bus, mais il n’est tiré par aucun cheval. Une moitié, celle qui nous fait face est peinte d’un noir si profond qu’il semble absorber la lumière même et projeter une ombre ténébreuse camouflant la lueur du soleil sur nous, avec des fenêtres obstruées par du tissu de la même couleur. Je ne peux pas bien voir l’autre côté, à part les bords, mais ça me suffit à comprendre que l’autre moitié est peinte avec un blanc brillant, si brillant qu’il éclaire même la chaussée derrière lui.

La porte de notre côté s’ouvre dans un silence assourdissant, sous les regard médusé de nos compagnons lugas et de moi-même.

Un petit marchepied se déplie de manière tout aussi automatique, sans intervention visible d’une seule pièce mécanique, et certainement sans intervention humaine.

Sans hésiter un seul instant, Sahana me prend la main, et me tire à l’intérieur de l’habitacle. Je grimpe les marches lentement, encore hésitant, puis me retrouve dans ce qui ressemble à l’intérieur d’une limousine.

L’intérieur est grand, bien plus que l’extérieur ne devrait le permettre. Des bancs confortables sont répartis le long du véhicule, et bien plus de fenêtres que l’unique à l’extérieur recouvrent la plupart des murs.

En son centre, l’espace est coupé en deux par une vitre de glace donnant une vue sur l’autre côté du véhicule. La même dichotomie visible à l’extérieur y est respecté. Là où, de notre côté, les bancs sont d’un noir profond, et l’ambiance est sombre, de l’autre les bancs sont d’un blanc brillant et tout est très bien éclairé.

C’est d’ailleurs particulièrement choquant de voir un endroit aussi éclairé à côté d’un endroit aussi sombre.

Toujours surpris, admirant sans un mot les merveilles de l’intérieur de ce carrosse, je prends place sur un des bancs, face à Sahana, qui m’adresse toujours le même sourire. Le luga entre dans la voiture tout aussi silencieusement et s’installe un peu plus loin de nous.

Lui aussi, comme moi, explore avec attention chaque recoin, émerveillé par l’ambiance magique de l’endroit. Je suis rassuré de voir que je ne suis pas le seul complètement dépassé par les événements.

Sahana brise finalement encore une fois le silence, dissipant aussi l’atmosphère un peu gênée et perturbée qui se développait entre moi et Kowrr.

-C’est incroyable, hein ? Le carrosse d’Au Val. Une merveille, un des seuls artefacts du monde a avoir été crée par une association entre des anges et des démons. Il sert souvent pour les rencontres officielles, mais la plupart du temps, c’est les Esprages qui le gardent.

Donc c’est un véhicule officiel ? Ça ne me surprend pas tant que ça, mais c’est une information intéressante.

Alors que j’étudie encore cette pensée, je vois à l’extérieur le paysage se déformer à grand vitesse, nous éloignant en une poignée de secondes à peine du quartier des lugas. Après les quelques premiers instants, les fenêtres s’assombrissent lentement, dissimulant entièrement le paysage, qui ne semblait pas s’arrêter d’accélérer sous mes yeux ébahis.

Ma contemplation de ce verre obscur, qui ne renvoie pas un seul reflet, alors que la lumière à l’intérieur du carrosse n’a fait qu’augmenter, surtout grâce à la brillance des fenêtres opposées, désormais si lumineuse qu’il est difficile de regarder dans leur direction, est interrompu par un toussotement discret.

Je sursaute et me tourne en un instant, me levant à moitié, car personne n’était installé là d’où ce bruit vient, et je me retrouve face à un homme.

Il est grand, mais très fin, ce qui rend assez étrangement alors qu’il est assis sur un des larges siège de cet endroit. Des longs cheveux blonds encadrent son visage dans un étrange carré, mais ce qui m’intrigue le plus, c’est ses habits.

Il porte un costume très distingué, un costard entièrement gris avec un pantalon assortit, un chapeau un peu étrange, portant deux longues plumes du même gris que ses vêtements, une de chaque côté. Mais le plus remarquable sont ses chaussures, des grandes bottes dorées, qui semblent aussi solide que du métal et aussi souple que du tissu, et dont les couleurs vives tranchent agressivement avec le gris de son costume.

Après mon premier moment de surprise, je me rends compte qu’il s’agit, de manière complètement évidente, du Messager. Je prends la parole rapidement.

-Bonjour. Vous êtes le Messager ?

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L’homme me dévisage d’un grand sourire. Je remarque ses yeux perçants, d’un gris glacial, qui tranche à même mon âme et mon esprit, lisant en moi aussi bien que dans un livre ouvert.

-En effet, nombreux sont ceux qui m’appellent ainsi. Quand à vous trois… hm, tu es une démone, Sahana ? Je t’ai déjà rencontré avec ta maîtresse, je crois, tu pourras lui transmettre mes salutations.

-Bien sûr, Messager.

-Ensuite,… un luga ? Et un des descendants d’Awlvir, j’imagine ? Si je ne me trompe pas sur les raisons de votre présence, tu prends beaucoup de risques en les accompagnant !

-Les torts de mon ancêtres ne doivent pas assombrir à jamais nos relations avec les Esprages. Mon père aurait voulu que ce voyage soit aussi le début d’une possible réconciliation avec l’Oracle.

-Quand au dernier, je ne pense pas t’avoir déjà vu… Ah si ! Je vois qui tu es, le nouveau Changeur, c’est ça ? Tu as rencontré mon frère, il me semble ? Désolé pour ça, notre lien ne signifie pas que j’approuve ses actions.

-Votre frère ? Comment ça ?

J’ai peur de la signification de ces dernières phrases de sa part.Est-ce qu’il pourrait parler de… ?

-On l’appelle comment aujourd’hui ? Le Mercenaire ? La Mort Silencieuse ? J’ai toujours détesté le dernier, d’ailleurs. Enfin, celui qui t’a attaqué, qu’on a payé pour ton Changement.

Quoi ? Le meurtrier… celui qui a tué tous mes amis… Ce n’est donc ni un ange, ni un démon, mais un esprage ? Et on l’a payé pour mon Changement ? La stupéfaction, teinté d’une nuance d’horreur à la réalisation de ce que ça impliquait doit être assez visible sur mon visage, car le Messager reprend la parole juste après.

-Oh… Je vois, tu n’étais pas au courant. C’est surprenant, je pensais que tout le monde le savait.

Il lève un sourcil interrogateur en direction de Sahana, perplexe. Cette dernière semble hésiter un peu. Elle évite mon regard, fais une grimace, clairement très mal à l’aise, puis ce décide enfin à répondre à la question implicite de l’esprage.

-Je… On comptait en parler plus tard. Pour l’instant, Aylin pensait qu’il valait mieux éviter de te rappeler ce moment. De toute façon, la Mort n’est qu’un agent, ça ne change pas le fait que ce sont les anges qui ont commandité cet assaut !

Elle a raison. Peu importe qui a commis l’acte, celui-ci a été commandité par quelqu’un. C’est eux que je dois trouver, c’est sur eux que doit s’exercer ma vengeance. Remarquant l’absence de réaction du messager, j’en déduis que les anges sont bien responsables de l’attaque. Je lui demande quand même, avec l’espoir d’obtenir plus d’informations.

-Donc les anges sont bien ceux qui ont demandé cet attaque ?

Ses yeux gris et froids me dévisagent une fois de plus, mais il n’attend pas pour me répondre.

-Je ne le sais pas. Seuls mon frère et les coupables le savent. Et, jeune homme, sache que je ne prends pas partit, dans cet guerre qui vous oppose. Les esprages ont juré la neutralité il y a bien des millénaires, et nous ne comptons pas briser notre serment.

-Juré neutralité ? Pourquoi ? À qui ?

En entendant mes questions, il sourit tristement.

-Ce n’est pas le moment pour ces questions. Nous sommes arrivés à destination. Descendez, et ne vous perdez pas en chemin.

Avant d’avoir pu ajouter le moindre mot, je me retrouve debout sur un petit chemin de terre. Le carrosse a entièrement disparu, et mes deux camarades se trouvent à mes côtés.

Je reste complètement déstabilisé pendant une poignée de secondes, alors que mon cerveau tente difficilement de s’adapter à la situation.

Nous sommes littéralement au milieu de nulle part. Des champs verdoyants, mais qui n’ont pas l’air d’être cultivés s’étendent à perte de vue autour de nous, sur un terrain complètement plat.

Devant nous se dresse la seule anomalie dans cette étendue verte. Une petit maison de campagne, un plain-pied assez petit, encadré par des haies d’un vert un peu plus sombre que celui des prairies avoisinante.

Un unique chemin mène à la maison, et s’arrête juste derrière nous dans l’autre sens. Il serpente jusqu’à une petite porte en bois qui a l’air de flotter entre deux portions de la haie. Derrière la porte, le chemin reprend, circulant entre de nombreuses fleurs décorant un petit jardin, puis à la porte d’entrée de la maison.

Je me retourne vers mes deux compagnons de voyage. Sahana semble être toujours en train de regarder au loin, tandis que Kowrr reste stoïque et silencieux, visiblement encore un peu intimidé par la disparation de notre véhicule.

-Sahana ? On est au bon endroit ?

-Oui ! J’ai déjà vu cette maison, c’est bien celle de l’Oracle. Mais je me demande un peu pourquoi le Messager ce comportait comme ça. Il a toujours été moins… expéditif que ça.

Elle agite sa main autour d’elle, pour indiquer que par ‘ça’ elle entendait ‘nous abandonner sans un mot’.

-En tout cas, on est arrivé, et ça n’a pas pris longtemps. Bon, petit avertissement avant d’aller voir l’Oracle. Faites attention, ne quittez jamais le chemin, d’accord ?

-Le chemin ? Pourquoi ? On devrait réussir à ne pas se perdre, non ?

Je lui réponds, un peu amusé. Le jardin est minuscule, et l’herbe a une hauteur raisonnable. Pour se perdre ici, il faudrait être minuscule ou vraiment stupide.

Sahana me répond très sérieusement.

-Non. Ne sous-estime jamais la magie, Nils. En tout cas, ne sort pas du chemin. Toi aussi, Kowrr.

-J’avais compris.

Malgré sa réponse d’un air décidé, le jeune luga semble de plus en plus anxieux. Quand à moi, les dernières paroles de Sahana m’ont bien refroidi. Je me demande un peu quel genre de magie attend ceux qui sorte de ce chemin, et aussi, et surtout, pourquoi appliquer ce genre de magie dans un jardin aussi petit, où il est si facile de rester en sécurité.

Les paroles du messager, et la petite discussion que nous avons eu dans le carrosse me trotte toujours dans l’esprit aussi. J’avais tellement de questions à poser… J’espère avoir des occasions de le revoir, et qu’il acceptera de me répondre.

En attendant, j’ai, non, nous avons, une mission. Découvrir ce qui est arrivé au bien-aimé chef des lugas, et je compte bien faire de mon mieux pour les aider. Après tout, c’est un peu de ma faute, et je sais que les autres y pensent, même si personne ne me l’a vraiment dit directement

Et si possible, alors j’interrogerais à mon tour l’Oracle, car elle aussi peut m’apporter des réponses.

Une fois mon objectif en tête, je me décide à ne pas attendre plus longtemps. Les deux autres sont autour de moi, et ne semblent pas décidés à prendre le premier pas, alors je m’en charge.

Je remonte lentement, avec appréhension et doute, le chemin. Arrivé devant le premier portail, j’utilise le heurtoir accroché sur la porte. Il ne produit aucun son, mais le portail s’ouvre lentement, magiquement, et je peux continuer mon trajet.

Il ne me faut qu’une poignée de secondes pour arriver jusqu’à la porte, mais j’ai l’impression que cela a duré une éternité. Je ressens une étrange fascination, une attirance malsaine envers les nombreuses plantes bordant le sentier, mais je me retiens, et j’arrive à ne pas m’arrêter.

Ma paranoïa, venu de la remarque sur la magie de cet endroit par Sahana, m’a permis de me préparer à toute sorte de distractions, et ses fleurs sont un pièges assez grossier.

Je me demande une fois de plus qui, et pourquoi, on utiliserait ce genre de choses, mais j’interromps mes pensés lorsque je m’arrête devant la porte d’entrée.

Un petit coup d’œil derrière moi me permet de voir que Sahana et Kowrr me suivent tout les deux, l’air inchangé par la magie du jardin. Je pousse un long soupir sous le regard confiant et encourageant de la démone, qui accompagne ce dernier d’un hochement de tête pressant, m’invitant à continuer.

J’agis donc, en levant la main pour toquer à la porte. Mais, avant que je puisse effectuer l’action, cette dernière s’ouvre dans le même silence presque parfait, et je vois, devant moi, l’Oracle.

Une femme, à peine plus petite que moi, entièrement recouverte de rides ne dissimulant cependant pas un grand sourire brillant, se tient en face de moi, et prend la parole d’une voix douce, mais âgée.

-Bienvenue, Nils Nocquat.