Lorsque j’ouvre les yeux, je suis sur un canapé, dans un des salons de la maison. J’émerge lentement de mon évanouissement, mettant quelques minutes à comprendre ce qui m’est arrivé exactement.
Je ne suis pas seul dans la salle. Sahana est assise en face de moi, et lève les yeux de sa tablette en souriant lorsqu’elle me voit me redresser.
-Alors, ça fait quoi ?
Je mets un certain temps à comprendre ce qu’elle veut dire, mais, à travers la nouvelle sensation traversant mon corps, le sens du Flux qui m’habite maintenant, je comprends.
-Je… C’est bizarre ? Comme avoir un sixième sens, mais différent ?
Elle acquiesce, songeuse.
-C’est ce que tout les Changeurs disent quand ils deviennent des Démons. Nous, les natifs, on peut sentir le Flux depuis toujours, donc ça nous paraît plus naturel. Honnêtement, je ne peux pas vraiment imaginer la vie sans ça.
Je ne répons pas vraiment, mais passe la dizaine de minutes suivantes à récupérer et à tenter de comprendre mes nouveaux pouvoirs. Je ne suis pas tout puissant, et ma maîtrise du Flux est certainement plus qu’imparfaite, mais je sens, instinctivement, que si je le veux, je peux invoquer la magie démonique.
Sahana me regarde faire pendant tout ce temps, mais lorsque je commence à me concentrer pour invoquer une magie démonique, dont je ne connais pas vraiment l’effet, elle m’interrompt.
-Oh, fais pas ça ici ! Tu veux détruire la salle ? Si tu veux faire des test, on peut aller dehors.
-Ah. Je savais pas, désolé. Ouais, allons dehors, je veux pouvoir essayer la magie.
Je la suis à travers les couloirs de la maison, et je remarque avec surprise sur une des horloges murales qu’il est déjà midi passé. Je suis resté assez longtemps évanoui, plusieurs heures même, mais je n’ai pas vraiment faim, donc je ne m’arrête pas.
Une fois arrivés dans le jardin, la démone me guide vers un coin de celui-ci, dans une espèce de petit gymnase que je n’avais pas eu le temps de voir hier. Je ne comprends pas pourquoi on ne va pas au sous-sol, mais je ne me plaint pas, et la suit jusqu’à l’intérieur du bâtiment.
À l’intérieur, un des côtés est recouvert de cibles, projetés sur une surface métallique. Sahana se retourne vers moi et m’explique un petit peu.
-Pour les Démons, l’apprentissage de la magie est très, très instinctif. On apprend pas vraiment des sorts, c’est plutôt que quand notre compréhension du monde grandit, nous découvrons naturellement des manières de concentrer notre magie. La première de ces magies, que presque tous les démons maîtrise, est celle que tu allais utiliser dans la salle. On l’appelle la Sombre Frappe. Essaie de l’invoquer pour attaquer cette cible là-bas, tu comprendras.
-D’accord, je vais essayer.
Je me concentre, ferme les yeux, essayant de me représenter la cible en question. Je sens le Flux en moi se structurer, passer dans des circuits, des réseaux dont j’ignorais l’existence à travers tout mon corps, puis se rassembler en deux points, au milieu de chacune de mes deux paumes. Je lève celle-ci, instinctivement, et rouvre les yeux, hésitants. Je sens la magie se déchaîner, je vois des grandes flèches d’obscurité traverser l’espace, comme déchirant à travers la réalité elle-même. Les flèches frappent la cible, au centre de celle-ci, puis se dissipent en un petit nuage d’obscurité.
Je sens immédiatement le coût de la magie. Je suis fatigué, presque épuisé, mais j’arrive à tenir debout et à ne pas m’évanouir, cette fois. Je me tourne vers Sahana, un peu fier de moi.
-Alors c’était comment.
Elle a l’air un peu surprise, mais un sourire brutal, presque carnassier, se dessine sur son visage.
-Tu es doué, très doué. Deux flèches, dès ton premier tir ? Aylin avait raison, on dirait. Tu vas pouvoir écraser ces salauds d’Anges.
Je suis à moitié rassuré par ses paroles, surtout les plus flatteuses, mais aussi à moitié terrifié par ces projets de massacres d’Anges, avec lequel j’ai encore un peu de mal. J’aurais pu être l’un des leurs, après tout.
-Tant mieux. Je sais pas si je vais continuer à m’entraîner, je suis déjà un peu fatigué. Tu fais quoi d’habitude l’après-midi, Sahana ?
La jeune fille me dévisage, puis éclate de rire.
-Quand tu as épuisé ta magie est quand tu es en meilleur condition pour un peu d’entraînement, Nils. On ne bats pas la Lumière qu’avec des sorts, il faut aussi être en excellente forme physique. Donc cet aprèm, c’est entraînement pour toi !
* * *
Je ne pensais pas que ce serait aussi épuisant. J’ai passé tout le reste de la journée à alterner entre lancers des flèches magique pour m’entraîner et me faire casser la gueule par Sahana dans une suite de combat.
J’ai commencé l’apprentissage de plusieurs armes différentes, mais quasiment que des armes de corps-à-corps, ce qui m’a un peu surpris, mais d’après la démone, les armes à feu conventionnelles sont complètement inefficace contre des Sonen, donc apprendre à se battre avec des armes de proximité était plus important.
Ce qui ne l’a en tout cas pas empêchée de me tirer une multitude de flèches dessus, soit disant pour m’apprendre à esquiver. Cela dit, ça m’a permit de me rendre compte de l’écart flagrant entre son niveau et le mien en terme de magie. Ses flèches étaient plus nombreuse, plus grosses, et me suivaient. C’était quasiment des missiles à tête chercheuses.
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Heureusement, elle ne me frappait pas directement avec, mais elle prenait quand même un malin plaisir à les faire exploser juste à côté de moi, pour me pousser à tout faire pour les esquiver. Et si jamais je faiblissais un peu trop, elle sautait à mes côtés, et me soignait rapidement, avant de reprendre.
Au repas du soir, je n’ai écouté les conversations que d’une oreille distraite, complètement lessivé que j’étais, et je suis directement retourner dormir, après, fuyant le grand sourire de Sahana qui me disait bonne nuit.
J’ai passé une nuit surprenamment sans rêve, et me suis levé presque sans courbature, preuve, s’il en est, de la capacité de régénération incroyable des démons. J’ai à peine eu le temps de dire bonjour à tout le monde avant que mon bourreau, Sahana, ne me rattrape. Déjà résigné, je lui ai quand même posé la question.
-Encore de l’entraînement ?
-Non, t’inquiète, je suis pas un monstre ! Aujourd’hui, on va se balader. Les Lugas ont un problème, Aylin m’a mis sur le coup, donc je me suis dit que ce serait bien de t’embarquer aussi, tu pourras apprendre deux-trois trucs !
En voyant mon visage soulagé, et un sourire réapparaître sur celui-ci, elle pousse un soupir fatigué.
-Quoi ? T’en voulais plus ? De toute façon, il va falloir t’y habituer !
Je me dépêche de lui répondre, en cherchant à changer le sujet.
-Non, non, c’est très bien comme ça, je m’y habitue ! Donc les Lugas, tu disais ?
-Oui ! Les Chigas ont été particulièrement insistant et pénible cette année, donc j’imagine que c’est en rapport avec ça, mais j’ai pas plus d’info, donc on verra bien. T’inquiète pas, tu risques rien, je te protégerais !
Des conflits entre les loups-garous et leur ennemis, les chiens-garous ? Ce n’est pas surprenant, j’imagine, mais ça peut être une bonne occasion de découvrir un peu plus ces êtres étranges.
Après un rapide passage dans les souterrains, où Sahana a récupéré, assez étrangement, un petit sac à main, et a refusé de m’expliquer ce qui était dedans, nous avons quitté le manoir.
Nous avons traversé une petite partie de la ville, suffisamment pour que je sois complètement perdu, et nous sommes sortis du centre-ville pour nous diriger vers les banlieues de Valiute. Nous avons enchaînés métro et bus, pour finalement nous arrêter dans un quartier de la périphérie de la métropole Lilloise.
Des petits lotissements ternes bordent les grands immeubles fades construit au moins un demi-siècle auparavant. Ceux-ci ne tombent pas encore en ruine, mais les quelques fenêtres brisées et les bords recouverts de tags rendent évident leur état de désuétude.
Nous nous sommes enfoncés dans les lotissements, jusqu’à arriver dans un cul-de-sac, où un petit nombre de maisons entourent un tout petit rond point. Le quartier est surprenamment désert. À part deux vieilles femmes remontant lentement l’une des rues parallèles, un silence assourdissant emplit l’atmosphère.
Depuis que nous sommes arrivés, une sensation étrange, celle d’être observé, d’être placé constamment sous un regard scrutateur me dérange grandement. Je suis sous pression, et je sens que tout cet endroit l’est aussi. Malgré le silence, je peux presque sentir la violence et la tension dans l’air.
Sahana, elle, est aussi impassible et enjouée que d’habitude. Elle est complètement inaffecté par l’ambiance, et semble ne pas pouvoir s’empêcher de humer une petite mélodie sur le chemin, brisant par moment le silence glacial. Lorsqu’elle remarque mon regard, elle se retourne vers moi en souriant.
-Qu’est ce qu’il y a ? T’es stressé ?
-Tu trouves pas que l’ambiance est bizarre ici ? Pourquoi c’est si silencieux ?
Elle affiche un air songeur et me répond quelques secondes plus tard.
-Avec leurs problèmes récent, ils doivent se méfier de toi, j’imagine ? Mais t’inquiète, ils sont super sympa !
J’acquiesce, toujours en proie au doute, mais ne souhaitant pas continuer cette conversation. Après tout, s’ils se dissimulent parce qu’ils m’ont vu arriver, ils doivent largement avoir la capacité de nous entendre parler.
Nous nous arrêtons finalement devant la maison au centre du rond-point, qui fait face à la route d’où l’on vient. Sahana toque à la porte, trois coups violent faisant presque trembler les murs du petit lotissement.
Après un petit silence, je peux entendre du bruit à l’intérieur de la maison, des discussions difficilement masqués par les murs surprenamment fins de celle-ci. Finalement, quelqu’un se déplace, en plusieurs pas lourds et mesurés, et la porte s’ouvre avec un grincement.
À l’embouchure de celle-ci, un véritable colosse. Un homme, large et imposant, qui à la tête légèrement baissé pour tenir dans l’encadrure de la porte. Il nous regarde pendant une ou deux longues secondes, avant d’ouvrir la bouche pour nous poser une question d’une voix grave et profonde.
-Sahana ? Qu’est’u fais là ? Et l’aut’, c’est qui ?
Sahana lui répond d’un sourire rayonnant, alors que je reste silencieux, ne sachant pas quoi penser.
-Yo Towr ! Dis-moi, Raowk est là ? Aylin m’a dit que vous aviez besoin d’aide ! Et lui c’est Nils ! Le nouveau ! Raowk a du vous prévenir, non ?
Il hésite pendant quelques secondes, ne sachant visiblement pas quoi dire. Il semble réfléchir à nouveau pendant un petit temps, puis reprend la parole.
-Faut qu’j’vois avec Sorowk. J’rive, ‘tendez d’vant la porte.
Et sur ces courts mots, il nous claque la porte au nez et rentre à l’intérieur de la maison. Je me tourne vers la démone, dubitatif.
-C’est normal ça ?
-Non. D’habitude, Raowk vient directement. Où on nous laisse entrer, si il est absent. Quelque chose cloche. J’envoie un message à Aylin, je dois la tenir au courant.
À peine a-t-elle fini de pianoter sur son téléphone que la porte s’ouvre à nouveau. Le colosse -Towr- est de retour, mais cette fois avec de meilleures nouvelles, comme le montre la porte grande ouverte devant nous.
-Sorowk et Vorra veulent vous parler. V’pouvez entrer.
Sans hésiter, mais avec un sourire un peu diminué, Sahana rentre dans la maison, et je la suis.
Les couloirs sont recouverts d’une tapisserie un peu banale, bien que quelque peu vieillotte. Le long, et très large couloir, mène à un grand salon, dans lequel deux canapés et trois chaises sont disposés en cercle autour d’une petite table basse. L’absence de quelconque nourriture ou boissons, ainsi que les regards sombres des cinq personnes assises toute autour de la table nous indique cependant qu’il ne s’agit pas d’un simple apéro entre ami.
Le Luga que j’avais rencontré dans mon rêve, le chasseur, avec son air féroce et sa rage envers les anges, ne fait pas partis du petit comité, à ma grande surprise, et ça ne fait que confirmer mes suspicions précédentes. Une réunion entre membre visiblement important du groupe, sans le chef, à priori chez ce dernier ? Il se passe quelque chose ici. Quelque chose que je ne vais pas apprécier.
Autour de la petite table donc, une brochette de loups-garous. Je n’ai pas besoin d’aide pour identifier en chacun d’entre eux une férocité similaire à celle de Raowk et à celle de Towr. Towr est le plus large d’entre eux cependant, tout les autres étant d’une stature plus petite, plus proche de celle des humains, voir plus petit que la moyenne pour deux d’entre eux, deux femmes.
Ce sont les deux seuls de l’assemblée. L’une d’entre elle à l’air d’avoir un peu moins de trente ans, tandis que l’autre a probablement à peine mon âge. Dans le groupe, un autre luga a l’air plus jeune que moi. Les deux derniers sont, eux, aussi jeunes que la première femme. Si je ne savais pas être en présence de loups-garous, je penserais probablement qu’il s’agit d’un groupe d’étudiants, mais, encore une fois, leurs airs sombres indiquent clairement que quelque chose s’est produit.
Un des lugas les plus âgé, qui ressemble d’ailleurs étrangement à Raowk, mais en un peu plus large, est le premier à s’exprimer.
-Bien vous êtes enfin là. Sahana. Et toi, le nouveau c’est ça, Nils. Bienvenue.
Je m’empresse de répondre.
-Oui, c’est bien ça. Merci.
Sahana enchaîne, posant enfin la question qui me taraudait.
-Sorowk ? Il se passe quelque chose ? Où est Raowk ?
Le luga échangea un regard peiné avec sa voisine, la plus âgée des deux filles. Il ravala sa salive, encore hésitant, puis finit enfin par répondre à Sahana.
-Il y a quatre nuits de cela, après son Rêve Profond… Raowk ne s’est pas réveillé.