« Bonjour Olympiens, il est 8h00 sur la lune Shiamim. Le temps est pluvieux, avec une température actuelle de 10°C. N'oubliez pas de prendre votre petit déjeuner : sauter un repas nuit à la santé. Zida vous souhaite une excellente journée. Et surtout, rappelez-vous : respectez le protocole. »
Cette voix métallique, implacable, s'insinuait chaque matin dans ma conscience, écrasant mes pensées naissantes.
Je détestais cette alarme, stridente et répétitive, qui semblait marteler chaque mot directement dans mon crâne. Sa tonalité métallique, répétée inlassablement, me rappelait l'absence d'humanité dans cet univers réglé au millimètre. Elle n'était pas seulement bruyante : elle incarnait tout ce que je haïssais ici, cette obsession du contrôle et de la perfection, dénuée de chaleur ou d'émotion sincère. Zida était déjà prêt à partir pour la salle de déjeuner, comme à son habitude. Toujours impeccable et minutieux, il ne laissait rien au hasard, incarnant parfaitement l'image d'un leader calculateur et méthodique. Cette rigueur constante reflétait sa nature : un homme pour qui chaque détail devait servir un objectif précis. Avec une lassitude douloureuse, je me levai enfin. Dans la station Olympe, l'apparence était cruciale. Après une douche réconfortante, où je laissai l'eau chasser mes pensées un moment, je commençai ma longue préparation. Ma jupe mauve, symbolisant les couleurs d'E-den, s'accordait avec un haut assorti, relié par des chaînes d'or délicates et complété par des bijoux précieux. Les ornements, à la fois imposants et oppressants, reflétaient l'image de perfection divine imposée par cette société. Ils rappelaient à chacun non seulement leur rang, mais aussi l'écrasante discipline et l'absence d'individualité qu'exigeait l'Olympe. Les ornements étaient omniprésents, renforçant cette image de divinité fabriquée. Ensuite vint mon voile bleu transparent, tombant gracieusement jusqu'à mes pieds, orné de chaînes d'or délicates autour de mon visage, l'une tombant jusqu'à mon front. Enfin, mes colliers d'or s'ajoutèrent à l'ensemble. Cette routine imposante, qui autrefois me faisait rêver enfant, n'était plus qu'un fardeau quotidien.
Zida, vêtu d'une longue tunique bleu nuit ornée de broderies dorées et reliée à un pantalon ajusté par des chaînes d'or, impeccable et rasé de près, m'attendait dans le salon. Sans échanger un mot, nous nous dirigeâmes vers la salle à manger. Nos conversations, lorsqu'elles avaient lieu, n'étaient qu'un enchaînement d'habitudes, et je n'en avais pas la force ce matin-là. La station était luxueuse à l'excès : des couloirs immaculés, garnis de marbre, d'or et parfois de cristal. Un écrin doré pour masquer la vacuité de notre existence.
Dans la salle, je pris place à côté de Zida, qui, comme toujours, mangeait son plat calculé. Chaque repas était adapté selon nos besoins nutritionnels, déterminés par une aiguille microscopique piquant notre doigt. L'ordre était ainsi maintenu : tout était optimisé pour notre santé et nos emplois du temps, qu'il s'agisse d'exercice, de repos ou de travail.
Aucune surprise, aucune spontanéité. Zida plaisantait avec Apaté, qui riait trop fort à ses blagues. Dolos, son mari, lançait des regards sombres. Dix ans plus tôt, j'aurais pu ressentir de la jalousie. Aujourd'hui, cela m'était indifférent. Mon cœur restait tourné vers E-den, visible à travers les immenses baies vitrées de la station. Son éclat rougeâtre capturait mon regard, mon esprit. Elle seule comptait vraiment.
À 10h30, chacun rejoignit son poste, suivant des trajets mécaniques, presque chorégraphiés, comme des automates.
De retour dans ma cabine de naissance, la porte coulissante s'ouvrit pour révéler ma dernière création. Suspendu aux griffes de la machine Ima, un homme brun d'une trentaine d'années se tenait là, nu et vulnérable. Il mesurait environ 1m80, de corpulence moyenne. Ce pauvre être n'était destiné qu'à devenir un pion dans les plans de Zida. Sans réfléchir, ma main se posa sur sa joue, une vague de tristesse m'envahissant. L'étrange chaleur de sa peau contrastait avec la froideur mécanique qui m'entourait chaque jour, et une multitude d'émotions m'envahirent : la compassion, le regret, mais aussi une profonde culpabilité. Réalisant mon geste, je me reculai brusquement, effrayée non seulement par ma faiblesse, mais par ce qu'elle révélait de mon humanité vacillante.
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Tout à coup, une panne survint et toutes les lumières s'éteignirent. Un frisson parcourut ma colonne vertébrale alors que l'obscurité avalait chaque recoin de la station. Le silence pesant fut rapidement brisé par les hurlements du vent, dont la force semblait vouloir arracher la structure elle-même. En levant les yeux pour regarder dehors, je vis des éclairs illuminer l'épaisse tempête, révélant brièvement les contours tourmentés de la lune Shiamim. L'air semblait vibrer sous l'intensité des rafales, et une sensation d'urgence incontrôlable monta en moi, comme si la tempête elle-même cherchait à me prévenir de quelque chose. Ce genre de situation n'était pas inhabituel sur Shiamim. Après tout, nous avions un générateur de secours, rien à craindre. Pourtant, un étrange pressentiment me poussa à sortir de ma cabine pour vérifier l'état de la prise de relais. C'est alors que Zida me bouscula brusquement, me laissant sans voix. Lui, toujours si méticuleux et précis dans chacun de ses gestes. Jamais je ne l'avais vu agir avec une telle précipitation. Une vague d'incrédulité, mêlée à une inquiétude grandissante, m'envahit, rendant la scène d'autant plus troublante. Je décidais de le suivre discrètement. Il avançait rapidement vers le poste de contrôle, son urgence évidente. Quand la porte s'ouvrit, sa voix résonna, impérieuse : « Remettez-le en marche immédiatement ! ». Mon esprit, submergé par des pensées confuses, comprit soudain l'impensable : il n'y avait plus de contrôle. Plus rien. C'était maintenant ou jamais.
Je courrais aussi vite qu'il m'était possible avec une jupe aussi longue, tout en essayant de passer inaperçue. À bout de souffle et vacillant à plusieurs reprises, je me faufilais à travers les couloirs. Je me précipitai dans ma cabine de naissance et m'effondrai sur mon bureau, le souffle court. Le temps jouait contre moi. Empathie : maximale, Compassion : maximale, Haine : minimale. Mes doigts tremblaient tandis que je réglai les paramètres, chaque ajustement devenant un cri silencieux contre l'inhumanité de notre monde. Il fallait que je crée un être radicalement différent, un humain parfaitement bon. Ce concept, à la fois effrayant et exaltant, me hantait : imaginer une entité capable d'un amour absolu, de ressentir chaque émotion avec une intensité bouleversante. Chaque paramètre que j'ajustais devenait une déclaration silencieuse, un acte de rébellion désespéré contre la froideur de notre monde. Cet humain aimerait sans limite, ressentirait tout. Mes doigts volaient sur les commandes, un mélange de panique et de détermination m'animait, chaque geste porté par l'enseignement de Zida, gravé en moi. Je décidais de lui laisser des fragments de souvenirs — des éclats de ma vie, de la station Olympe — dans l'espoir qu'un jour, les humains pourraient l'écouter. Une dernière décision restait à prendre : son prénom. Tov. Cela semblait parfait : Tov. Tov sera très bien, J'appuie sur le bouton, et il se retrouve dans les capsules de la soute, prêt a être envoyé. Je suis terrorisé, mais je me presse pour aller chercher une autre chair, que je trouve rapidement et que j'installe. C'était un jeune homme aux cheveux blancs, dont la pâleur semblait presque irréelle sous la lumière artificielle. Son visage, fin et marqué par une étrange sérénité, contrastait avec la tension qui m'habitait. Ses paupières closes laissaient deviner un calme apparent, mais sa posture fragile, presque éthérée, trahissait une vulnérabilité poignante qui serra mon cœur.
Une idée aussi sombre que la lumière éclatante de Tov me traversa l'esprit. Si Tov représentait l'espoir et la bonté absolue, peut-être devrais je explorer son antithèse : un être fondamentalement mauvais, une incarnation de l'obscurité, mais capable de ressentir l'amour. Une dualité troublante, où l'humanité survivrait malgré la noirceur. Je l'appellerais Elucirf : un être corrompu jusqu'à la moelle, mais paradoxalement capable d'amour, cette rare étincelle d'humanité qui pourrait briller au sein de son obscurité.
Mes doigts tremblaient en ajustant les paramètres : Haine maximale, Cruauté sans limites, Intelligence aiguisée. Pourtant, au milieu de cette ombre savamment tissée, je laissai subsister une étincelle d'espoir : la capacité d'aimer. Cette dualité, je le savais, serait son plus lourd fardeau et peut-être son unique chance de rédemption.
En manipulant les souvenirs, je distillai des fragments de mon image, des bribes de l'Olympe, et des éclats de ma propre existence. Peut-être qu'un jour, ces échos trouveraient un chemin vers sa conscience, le poussant à se souvenir de moi, de son créateur. Peut-être même qu'il chercherait à comprendre pourquoi cette lumière persistait dans son âme malgré sa nature ténébreuse.
Lorsque tout fut achevé, je reculai, le souffle court, submergée par une vague d'émotions contradictoires. Accroché aux griffes de la machine Ima, son corps parfait et terrifiant semblait m'observer déjà, bien qu'immobile. Une fierté morbide se mêlait à une culpabilité écrasante. Avais je façonné un chef-d'œuvre ou un monstre ? Mon cœur battait furieusement alors que je me demandais si cet être porterait en lui la rédemption que je cherchais désespérément, ou s'il ne serait que le reflet de ma propre noirceur. Ses cheveux d'un blanc immaculé captaient la lumière artificielle avec une intensité surnaturelle, et son visage sculptural portait déjà cette marque d'une intensité redoutable. Il était d'une beauté glaciale, une beauté qui inspirait autant l'admiration que la crainte.
Je le plaçai dans une capsule, prête à être envoyée dans la soute. Mes mains tremblaient alors que je le voyais disparaître. Elucirf était en route, et je restai immobile un instant, le cœur battant à tout rompre, me demandant quel destin ils allaient forger avec l'ombre d'Elucirf et la lumière de Tov, ces deux créations opposées mais indissociables, chacune portant en elle une part de moi-même.