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Soidade [French]
La station Olympe

La station Olympe

 Le silence, c'était ce qui dominait ma vie. Des heures à me perdre dans mes pensées, à ruminer toutes ces possibilités manquées, à revivre des instants où tout aurait pu être différent. Nous étions les être supérieurs, là-haut, dans la station Olympe. Des dieux, nous disaient-ils. Mais un vide grandissait en moi, un abîme qui dévorait peu à peu mon esprit. Une vie creuse, dénuée de sens et d'aventures.

 Tout devait être parfait. Tout était lisse, aseptisé. Respectez le protocole. C'était la rengaine quotidienne, martelée encore et encore. De faux sourires, des conversations vides de substance, tout savamment orchestré pour maintenir cette utopie artificielle. Nous avions perdu ce qui faisait de nous des humains.

 Depuis le sommet de la station Olympe, je contemplais E-den, notre petite planète, notre joyau rouge suspendu dans l'immensité noire. Ses nuages mauves, ondulant comme une mer de rêves, réchauffaient mon cœur. Pourtant, ce spectacle sublime ne parvenait pas à combler ce sentiment écrasant d'insignifiance.

 Mais plus que tout, je me sentais seule. Une solitude écrasante, étouffante. Mes pensées, qui autrefois me réconfortaient, étaient devenues des bourreaux. Aucun regard bienveillant, aucune épaule sur laquelle m'appuyer, seulement des protocoles et des ordres. Les rares interactions humaines étaient vidées de sincérité, noyées sous des couches d'apparences et de contrôle. Cette solitude me broyait lentement, mais inexorablement.

 La porte de ma "cabine de naissance", comme ils l'appelaient, s'ouvrit dans un sifflement mécanique. Zida entra, mon époux et le chef autoproclamé d'E-den. Je me tournais vers lui, lentement, avec la grâce qu'il appréciait tant. Il s'approcha, sûr de lui, pour examiner ma dernière création. Ses yeux fixaient l'écran derrière moi, analysant chaque paramètre que j'avais soigneusement programmé.

 D'un geste familier, il effleura la fossette de son menton, mimant une réflexion profonde. Je retenais un soupir et m'approchai en silence, mes bijoux tintant légèrement, mon voile scintillant sous la lumière artificielle.

— Tu as mis trop d'empathie, Tirimisi, lança-t-il d'un ton tranchant.

Zida était direct, méticuleux, obsédé par les détails.

— Un peu plus ne changera pas...

— Je t'ai déjà expliqué, coupa-t-il. On ne peut pas se permettre le moindre déséquilibre.

Je ravalais ma frustration et esquissai un sourire parfait.

— Bien sûr, Zida. Pardonne-moi.

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 Il agita la main, agacé, avant de tourner les talons. Ses bottes claquaient sur le sol, marquant sa sortie. Je restai seule face à ma création : un homme nu, une carcasse de chair encore dépourvue de conscience. Tout ce qu'il serait, tout ce qu'il penserait, avait été dicté par les protocoles de l'Olympe.

 Je devais le façonner comme un être humain, complet avec ses émotions, ses désirs et ses peurs, tout en lui laissant croire qu'il était maître de ses choix. Mon cœur se serrait à l'idée de créer des êtres humains calibrés, ni trop bons, ni trop mauvais. Une humanité volée, dépouillée de son essence. Chacun de leurs gestes, pensées, et émotions était calculé, non pour leur épanouissement, mais pour servir une société qui les contrôlait. Chaque fois que je programmais leurs traits, je ne pouvais m'empêcher de me demander si leur douleur ou leur joie, si réelles soient-elles, n'étaient qu'une trahison de ce qu'ils auraient pu devenir.

 Mais si je déviais du protocole, les conséquences seraient terribles. Toute action était surveillée, chaque paramètre inspecté. Les "briseurs de paix", ceux qui osaient briser les règles, étaient envoyés sur E-den. Officiellement, c'était une réintégration. En réalité, personne n'en revenait. Les rares rumeurs qui circulaient parlaient de vies condamnées à l'errance, tout capacité cérébrales réduites à neant. Le simple fait d'y penser suffisait à faire naître une peur sourde dans ma poitrine. 

 Je m'assis à mon bureau, les yeux rivés sur les écrans. De temps à autre, je regardais cet homme. Tout était à écrire : son passé, ses goûts, ses peurs, ses amours. En m'attelant à cette tâche titanesque, une étrange mixture d'émotions m'envahissait : une fascination morbide pour ce pouvoir créateur et une profonde tristesse face à la perte de leur libre arbitre. Ces hommes et femmes, si parfaitement dessinés, portaient pourtant le poids de cette vérité amère : leur humanité entière, leurs rêves les plus sincères, n'étaient que des reflets de mes choix. Même ses choix, ses trahisons, et ses rêves étaient prévus à l'avance.

 La journée s'écoula rapidement, rythmée par les protocoles. Mais le néant continuait de me ronger. Zida finit par venir, posant une main sur mon épaule. Son sourire parfait dévoilait des dents éclatantes, des canines presque inquiétantes.

— Tirimisi, ma chère femme...

— Zida, répondis-je avec une neutralité feinte.

Je redoutais ces moments, la peur qu'il devine mes pensées.

— Tu sembles pensive, ces temps-ci. Tout va bien ?

— Oui, je réfléchissais à un cadeau pour Apaté.

Son sourire s'élargit, me glaçant le sang.

— Tu as toujours été si attentionnée.

 Il repartit, satisfait. Mais je savais qu'il n'était pas dupe. Et maintenant, il me fallait trouver un cadeau pour Apaté.

 La communauté de l'Olympe fonctionnait comme une machine bien huilée. Chaque individu appartenait à une branche spécialisée : fabricants de chairs, concepteurs de formes, créateurs de consciences... Et au sommet, Zida, maître absolu de la station et d'E-den.

 L'élitisme imprégnait chaque aspect de cette société. Les créateurs de consciences, autoproclamés bienfaiteurs, méprisaient les ouvriers. Ce que j'avais admiré autrefois n'était plus qu'un enfer glacé.

 Zida soutenait que l'humanité n'avait jamais été aussi paisible. Plus de guerres, plus de crimes majeurs, seulement quelques délits mineurs. Un bonheur factice régnait sur les pions qu'il contrôlait. Mais à quel prix ? La créativité, l'imagination, aucun libre arbitre, tout avait disparu.

Je rêvais de changement, mais c'était impossible. Zida surveillait tout. Chaque cabine de naissance était reliée à un gigantesque poste de contrôle, une tour centrale hérissée d'écrans et de lumières clignotantes. Des opérateurs y travaillaient en silence, surveillant chaque paramètre, chaque décision, comme des sentinelles veillant sur une forteresse inviolable. Les données affluaient en continu, projetant une lueur froide sur leurs visages impassibles, renforçant l'atmosphère oppressante d'une surveillance omniprésente. Je n'étais qu'un rouage dans cette mécanique sans âme.

Le soir venu, il sirotait un verre de vin, issu d'un vigneron que j'avais créé pour lui, un cadeau d'anniversaire. Chaque geste qu'il faisait, même en privé, était soigneusement calculé. Moi, je contemplais E-den, imaginant des mondes différents.

À 22h30 précises, les lumières s'éteignirent, les portes se verrouillèrent. Tout était régulé, même le sommeil. Allongée dans le lit, à côté de Zida, je le regardais un instant. Ses mouvements, aussi infimes soient-ils, semblaient chorégraphiés : sa respiration, régulière comme une mécanique bien huilée, et sa posture, figée dans une perfection déconcertante. Il incarnait cette société, une façade impeccable mais dénuée de spontanéité. Je restais éveillée, submergée par des idées impossibles. Chaque nuit, mon corps s'écroul

ait de fatigue, mais jamais mon esprit ne trouvait la paix.

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