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L'évolution Du Dao [ Français ]
Chapitre 1 : Un Bâton

Chapitre 1 : Un Bâton

Un vent sec soufflait sur la vaste cour de l'académie, soulevant des volutes de poussière et faisant bruisser les arbres solitaires. Au loin, les montagnes déchiquetées s'élevaient comme des cicatrices laissées par le temps. La lumière du jour était pâle, filtrée par un ciel couvert d'un voile de brume.

Les élèves étaient assis en tailleur sur les dalles froides, le dos droit, les mains posées sur leurs genoux. Certains avaient le regard concentré, d'autres laissaient leur esprit errer sur les silhouettes des ruines visibles à l'horizon.

Devant eux, un homme vêtu d'une simple robe grise était assis sur une souche de bois. Il n'avait pas l'air différent d'un passant ordinaire, quelqu'un qu'on croiserait dans une rue sans y prêter attention. Pourtant, il était là, à leur enseigner.

Il leva lentement la tête, laissant le silence s'installer. Puis il parle d'une voix calme.

"Qu'est-ce que la force ?"

Les élèves se redressèrent légèrement. Une question aussi simple ne pouvait être qu'un piège.

Un garçon fini par répondre, d'un ton assuré :

"C'est ce qui nous permet d'écraser nos ennemis."

Un autre, un peu plus hésitant :

"C'est ce qui garantit notre survie."

Un troisième élève prend la parole, plus réfléchit :

"C'est ce qui permet d'accomplir sa volonté."

Zhi Huo les écouta sans exprimer la moindre réaction. Son regard glisse lentement vers l'horizon. Là-bas, sous les cendres du temps, dormaient des cités disparues, des lignées anéanties, des serments oubliés.

Il leva une main et désigne le paysage devant eux.

 «Regardez autour de vous.»

Le vent fit voleter les manches de sa robe alors qu'il balayait la plaine. Les élèves suivent son geste, observant les terres marquées par le passé.

 "Il y a longtemps, cette vallée était un champ de blé doré. Il y avait des villages, des routes pleines de voyageurs, des rires sous les toits de chaume. Puis une guerre a éclaté. Des armées se sont affrontées, des héros se sont levés et des légendes sont nées. Aujourd'hui, que reste-t-il ?"

Personne n'a répondu.

Zhi Huo reprend d'un ton neutre :

"Des pierres brisées. Une terre morte. Le souvenir d'une guerre dont plus personne ne se soucie."

Le vent souffla plus fort, soulevant un nuage de poussière.

"Si la force est la réponse… alors où sont ceux qui se croyaient invincibles ?"

Un long silence s'éteindra.

Certains élèves paraissaient perplexes. D'autres fronçaient les sourcils, comme si quelque chose leur échappait.

L'un d'eux se risque à demander :

"Maître… voulez-vous dire que la force est inutile ?"

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Zhi Huo serre doucement la tête.

 "Non. Je dis seulement qu'elle n'est qu'un outil."

Il ramassa un bâton sec au sol et le fit tourner lentement entre ses doigts.

 "Un couteau peut trancher la viande… ou la gorge d’un homme. Une brique peut construire un mur… ou écraser un crâne. La force n’est ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de ce que vous en faites.”

Il planta le bâton dans la terre, le laissant se balancer sous l’effet du vent.

“Mais si vous la poursuivez sans but… alors vous ne valez pas mieux que ce bâton. Un morceau de bois sec, balloté par le vent, jusqu’à ce qu’il se brise."

Un bruissement parcourut l’assemblée. Quelques élèves échangèrent des regards troublés.

Zhi Huo observa leurs réactions sans rien dire. Il savait qu’ils n’avaient pas encore compris. Peut-être qu’ils n’y arriveraient jamais.

Ce n’était pas grave.

Il se leva lentement et épousseta sa robe.

"Assez pour aujourd’hui.”

Certains élèves parurent soulagés, d’autres frustrés de ne pas avoir eu une réponse plus claire.

Zhi Huo s’éloigna sans ajouter un mot, laissant le vent effacer ses pas derrière lui.

Le silence s’attarda quelques instants après le départ du maître. Puis, peu à peu, les élèves commencèrent à échanger des regards. Certains haussèrent les épaules et se levèrent sans un mot, tandis que d’autres restèrent assis, encore troublés par la leçon.

Une voix s’éleva dans l’air tiède du soir.

"Toujours la même chose."

C’était Feng Lian, un jeune homme aux traits aiguisés, fils d’un officier militaire influent. Il secoua la tête, l’air agacé.

 "Il parle en énigmes et nous laisse nous débrouiller. À quoi bon venir si c’est pour entendre des histoires de ruines et de vent ?”

À ses côtés, Ren Shi, un garçon plus trapu, hocha la tête.

"C’est vrai ! Où sont les techniques, les stratégies ? Tous les autres professeurs nous enseignent à manier le sabre ou à raffiner notre énergie. Lui, il nous parle de bâtons et de blé brûlé…"

Quelques rires fusèrent.

Mais dans le groupe, Jian Rou, resté assis en tailleur, fronçait légèrement les sourcils. Il jouait distraitement avec une pierre, le regard perdu sur le sol fissuré.

"Vous pensez vraiment qu’il ne nous apprend rien ?" demanda-t-il, d’une voix calme.

Feng Lian lui lança un regard en coin.

 "Oh ? Alors, éclaire-nous, génie. Qu’est-ce qu’on a appris aujourd’hui ?"

Jian Rou hésita un instant, cherchant ses mots.

 "Il a dit… que la force était un outil."

Ren Shi haussa un sourcil.

 "Et alors ? C’est évident, non ?”

"Peut-être." Il lança la pierre en l’air et la rattrapa du bout des doigts. "Mais il a aussi dit que si on la poursuivait sans but, on finirait comme un bâton sec, ballotté par le vent jusqu’à se briser."

Les autres élèves se turent un instant.

Feng Lian croisa les bras, une lueur moqueuse dans les yeux.

"Et ça veut dire quoi, selon toi ?"

Jian Rou se mordit la lèvre. Il n’était pas certain d’avoir compris. Mais il sentait qu’il y avait quelque chose, une idée qui lui échappait encore.

 "Je ne sais pas." admit-il finalement.

Feng Lian éclata de rire.

"Exactement ! Personne ne sait ce qu’il veut dire. C’est du vent. Juste un vieil homme qui aime entendre sa propre voix.”

D’autres élèves acquiescèrent en riant doucement. L’ambiance se détendit, et peu à peu, le groupe se dispersa.

Mais Jian Rou, lui, resta assis. Il jeta un dernier regard au bâton planté dans le sol, vacillant sous la brise du soir.

Et sans savoir pourquoi, il sentit qu’il reviendrait y réfléchir.

Même si cela devait lui prendre des années.

La nuit s’installait lentement sur l’académie. Les lanternes s’allumaient une à une, projetant une lueur vacillante sur les pavés froids. L’agitation des élèves s’était dissipée, remplacée par le bruissement du vent dans les feuillages et les murmures de ceux qui, tardivement, continuaient à s’exercer.

Jian Rou était toujours assis près du bâton planté dans le sol. Il passait distraitement ses doigts sur la terre sèche, repensant aux paroles du maître.

"Si la force est un outil, alors que suis-je sans elle ?"

Il n’avait jamais été le plus fort, ni le plus talentueux. Contrairement à Feng Lian ou Ren Shi, il n’était pas né avec un statut lui ouvrant les portes des plus grands enseignements. Sa seule arme était sa patience.

Il poussa un soupir et se leva.

Alors qu’il s’apprêtait à partir, une voix l’interpella dans l’obscurité.

"Tu as l’air troublé.”

Jian Rou se retourna. Une silhouette se dessinait sous la lueur tremblante des lanternes. C’était Yu Mei, une élève discrète mais observatrice, souvent en retrait des discussions bruyantes. Elle s’appuya contre une colonne, les bras croisés.

"Feng Lian a raison sur un point." dit-elle. "Le maître ne nous donne pas de réponses. Mais…"

Elle laissa sa phrase en suspens, regardant le bâton, puis Jian Rou.

 "Mais ?" demanda-t-il.

Elle esquissa un sourire.

"Il ne nous empêche pas de les trouver nous-mêmes.”

Jian Rou resta silencieux.

Un battement de vent fit osciller le bâton dans le sol.

Il n’était pas tombé.

Pas encore.

"Tu a raison le bâton tien bon malgré le vent”

Yu Mei observa Jian Rou un instant avant de répondre, un léger sourire aux lèvres.

"Exact. Il tient bon, mais pour combien de temps ?"

Jian Rou fronça légèrement les sourcils. "Tu veux dire qu’il finira par tomber ?"

"Bien sûr," répondit-elle en haussant les épaules. "Tout finit par céder face au vent, qu’importe la résistance. C’est juste une question de temps."

Jian Rou baissa les yeux vers le bâton planté dans la terre. Il vacillait, fragile, mais toujours debout.

"Mais alors… que voulait dire le maître ?" demanda-t-il à voix basse.

Derrière eux, une voix ironique s’éleva.

"Vous réfléchissez encore à ces idioties ?"

Feng Lian s’était approché, les bras croisés, un sourire moqueur sur le visage. À ses côtés, Ren Shi secouait la tête avec lassitude.

"Le maître nous laisse sans réponse express", reprend Feng Lian. "Vous vous accrochez à des devinettes vides de sens. Ce n'est qu'un morceau de bois dans la terre, rien de plus."

Yu Mei ne semble pas affecté par son ton méprisant. Elle le regarda calmement.

"Et s'il voulait nous faire comprendre autre chose ?"

"Comme quoi ? Que nous devons être des bâtons ?" répliqua Feng Lian en ricanant.

Jian Rou relève la tête.

"Non. Mais peut-être que nous devons apprendre à résister au vent… ou à devenir le vent nous-mêmes."

Feng Lian haussa un sourcil, avant de secouer la tête avec exaspération.

"Rien de tout ça ne sert à survivre dans ce monde. Continuez à perdre votre temps si ça vous amuse."

Il fit volte-face et s'éloigna, suivi de Ren Shi.

Yu Mei le regarde partir, puis se tourne vers Jian Rou.

"Tu crois qu'il a tort ?"

Jian Rou fixe une dernière fois le bâton.

"Je ne sais pas. Mais je veux comprendre."

Il y a eu un silence. Puis Yu Mei hocha doucement la tête.

"Alors, je suppose qu'on finira par le savoir un jour."

La brise nocturne souffle à nouveau, faisant vaciller la flamme des lanternes. Loin derrière eux, le maître vagabond marchait déjà vers une nouvelle destination, laissant derrière lui des élèves qui, sans le savoir, éventuellement de poser un premier pas sur un long chemin.

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