Chapitre 1
Il était une fois, dans un petit village, une jeune femme nommée Aisling, d’une grande beauté. Une nuit, alors qu’elle se promenait près d’un ruisseau, elle aperçut une fée aux ailes d’argent, baignée par la lumière de la lune. La fée l’invita à danser, promettant de lui montrer des merveilles au-delà de l’imaginaire. Envoûtée, Aisling accepta. Mais au moment où elle s’élança dans la danse, elle se rendit compte qu'elle ne pouvait plus revenir. Les fées, dans leur joie, avaient capturé son cœur, faisant d’Aisling leur prisonnière pour l’éternité.
Rose ne croyait pas aux fées.
Même si elle a été bercée par des histoires toutes les plus farfelues les unes que les autres depuis sa plus tendre enfance. Rose n’y croyait pas. Comment le pouvait-elle? Ces histoires ont été démenties à maintes reprises et les personnes les prêchant ont rapidement été désignées comme étant soit des charlatans, soit des personnes à l’alcool facile. Mais, il fallait bien admettre que les histoires sorties de la bouche ivre des hommes fréquentant l’unique taverne du village attisaient toujours sa curiosité. C’était comme si, malgré elle, elle ne pouvait s’empêcher de tendre l’oreille à la mention de ces petits animaux étranges aperçues dans les bois, doués de parole ou d’apparence particulière. À travers ces rumeurs et légendes, le surnaturel s’invitait dans son quotidien fade et ennuyeux. Il n’était donc nullement étonnant que les histoires qu’elle entendait pendant ses quarts de travail étaient le meilleur moment de sa soirée.
Cette soirée-là n’était pas différente en cet aspect.
Les villageois partageaient ces apparitions à voix basses et prudentes, comme par peur d’être entendus par les créatures mêmes qu’ils disent avoir aperçu.
- Cette fois-ci je les ai vu! Des faunes! Ils existent vraiment!
- Tu es sûr que tu n’as pas rêvé?
- Tu as sans doute halluciné, James.
Trois hommes étaient installés confortablement au fond de la taverne, à côté d’une cheminée qui projetait des ombres dansantes sur leurs visages. Ils avaient un air si sérieux qu’il était presque possible d’oublier leur état avancé d’ivresse. Leur amour pour l’alcool n’était trahi que par le constant va et vient des verres qui quittaient leur table. Ça et leurs visages rouges.
- Voilà pour vous, messieurs! Trois bières maison.
Rose déposa fermement un plateau devant les convives. Ces derniers tournèrent leurs visages vers la jeune fille, presque étonnés de la voir. L’un d’entre eux sourit à pleines dents.
- Rose! Comment tu vas?
- J’ai entendu dire que ta sœur revient bientôt!
- Erin revient? Elle était partie où?, demanda l’un d’entre eux, l’air surpris.
Avant même qu’elle n’ait eu le temps de répondre, James, l’homme le plus imposant du trio tira une chaise à côté de lui.
- Viens, assieds-toi!
Rose souffla de manière presque imperceptible et peint un grand sourire sur son visage. Elle jeta un coup d’œil derrière son épaule, à la recherche des cheveux blonds de sa patronne. Elle n’est pas là, vérifia la jeune femme avant de prendre place à côté de ses clients.
- Oui elle revient. Elle a fini ses examens et elle vient passer l’été ici.
- Ah tant mieux, tant mieux! Quelle brave fille!, s’exclama l’un des convives. On a hâte de la revoir.
Les hommes rirent et trinquèrent leurs verres.
En prenant le soin de ne pas changer son expression, la jeune femme s’inclina légèrement en avant. Ses doigts jouèrent avec les perles métalliques de son bracelet. Un cadeau de sa sœur.
James lui fit un petit signe, une main épaisse était collée sur son visage, dans un ultime effort d’avoir l’air discret.
- As-tu déjà vu les membres du bon peuple, Rose?
À titre de réponse, la serveuse pinça ses lèvres. Pendant quelques instants, ses sourcils se froncèrent. C’est reparti, pensa-t-elle alors que l’homme assis devant elle prenait une grande inspiration. Elle savait ce qu’il s’apprêtait à dire avant même qu’il n’ait ouvert sa bouche. Ce n’était pas la première fois que ces villageois venaient fréquenter Le Poisson Noyé. L’unique taverne du village était le forum principal de ses habitants et le point de rencontre privilégié de toute personne en âge de boire. Pas que l’âge des patrons soit nécessairement vérifié.
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- Le bon peuple n’existe pas, James, renchérit la jeune serveuse.
Son ton n’était toutefois pas ferme. Elle ne fit aucun effort pour le dissuader. Au contraire même, son silence invitait l’homme à continuer sa pensée.
- Ah oui ? Alors comment expliques-tu ce que j’ai vu dans la forêt? Des renards avec des visages humains. Ce n’est pas normal, ça, balbutia l’homme, ses épais sourcils étaient froncés en un arche sombre. Quand j’étais enfant, ma grand-mère m’avait parlé de ces créatures…c’était pour ça qu’elle me disait toujours de ne jamais sortir tard la nuit . Comment il ne faut pas les rendre en colère, et que si on les croise dans la forêt, on doit détourner son regard… fuir.
- Des visages humains, répéta Rose, le souffle pendu à ses lèvres. Tu es sûr?
James hocha la tête vigoureusement. Dans un geste brusque, il cogna son poing sur la table, faisant valser les verres.
- Je sais ce que j’ai vu!, rugit-il.
Sa voix était plus forte qu’à l’habitude. Elle raisonna dans la taverne, qui était désormais muette. Les autres clients étaient tournés vers la petite table placée au fond de l’établissement. Rose sentit une myriade de regards fixés sur elle et ses joues commencèrent à chauffer.
Elle se força à rire pour détendre l’atmosphère et se leva lentement. Tout à coup, une main se plaça sur son épaule.
- James, si tu te calmes pas tout de suite, je te fais sortir.
Peter, le fils de la patronne du Poisson Noyé. Il était rare qu’il intervienne lorsque les clients de la taverne s’énervaient, n’aimant pas se mêler de ce qui ne le regarde pas. Et des affaires qui ne le regardaient pas, ça, il y en avait beaucoup pour le jeune homme. Son indifférence n’avait d’égal que son amour du silence et des livres. Rose était donc surprise de le voir là, placé à côté d’elle, un air ferme tirant ses traits fins. Ses cheveux bruns avaient poussé et projetaient une ombre sur son visage, assombrissant son regard noir.
James n’argumenta pas davantage et se détourna du jeune duo. Son attention était retombée sur ses compagnons de tables alors qu’il continua son récit à voix plus basse. Une légère trace d’amertume figurait sur ses lèvres pincées.
- Personne ne me croit d’toute façon, marmonna ce dernier.
Sans prêter la moindre autre attention à l’ivrogne, Peter pris Rose par la main brusquement et l’entraina à travers la taverne. Malgré les protestations à demi étouffées de la serveuse, Peter poursuivi sa trainée à grands pas. Totalement inconscient que cette cadence rapide était difficile à suivre par son compagnon, compte tenu la différence de taille. En effet, Peter dépassait facilement Rose d’une tête et demie et ses jambes longues était un grand sujet d’envie pour la jeune femme.
Lassée par cette soudaine marche forcée, Rose planta ses talons au sol et retira sa main dans un soupir.
- Arrête ça, Peter. Je travaille, je n’ai pas le temps-
- Erin t’attend, la coupa son ami.
Il passa une main dans ses cheveux bouclés et pointa du doigt à l’opposé de la taverne. Le ventre noué, Rose suivit son regard et tomba sur deux silhouettes à moitié camouflées par l’ombre. Elle plissa ses yeux, ayant de la difficulté à voir avec clarté leurs traits. Néanmoins, son cœur manqua un battement lorsqu’elle discerna une chevelure cuivrée. Erin.
Un grand sourire fendit le visage de Rose alors qu’elle s’élança en direction de sa sœur. Cette dernière, l’apercevant, se leva abruptement et écarta les bras. Le signe était clair et une fois à sa hauteur, Rose ne perdit aucun temps pour enlacer Erin. Une embrassade forte et soudée, les jeunes femmes restèrent ainsi pendant quelques instants, les yeux fermés. Perdues dans l’émotion. Puis, Erin s’écarta légèrement et posa ses mains sur les épaules de sa sœur, qu’elle serra d’une poigne chevrotante. Son visage avait changé en deux ans. Les multiples taches de rousseur qui joncheraient ses joues étaient toujours aussi fines et sa peau toujours aussi pâle. Toutefois, en parcourant le visage de sa sœur jumelle, censé être en tous points identique au sien, Rose ne put s’empêcher de remarquer quelques petites différences. Contrairement à elle, les yeux d’Erin n’étaient pas ponctués par des fines ridules. Ses grands yeux bruns ne semblaient pas durcis par la fatigue et des journées interminables. Sa bouche ne pendait pas en un trait inquiet. Ses cheveux étaient longs et soigneusement tressés sur le côté dans un mélange de différentes nuances de roux plus vif que le sien. À côté d’elle, la réalité de Rose la rattrapa. Alors que sa sœur avait exploré la capitale et ses alentours, qu’elle avait fait des rencontres, qu’elle avait étudié, Rose s’était retrouvée indéniablement coincée dans leur petit village natal, incapable de le quitter. Quelqu’un devait prendre soin de leur père.
Ses lèvres bougèrent pendant quelques instants, muettes et hésitantes, pendant qu’elle cherchait ses mots avec soin.
- Surprise! Mon train est arrivé plus vite que prévu, s’expliqua Erin, soudainement mal à l’aise dans le silence tombé.
Rose la fixait, bouche bée. À vrai dire, maintenant qu’elle revoyait sa sœur pour la première fois en deux ans, elle ne savait pas quoi lui dire. Elle s’était imaginée ce moment une myriade de fois et avait préparé de nombreuses répliques, des questions et quelques reproches à demi-dissimulés. Pourtant, à cet instant précis, rien ne lui traversait l’esprit. Elle se retrouvait muette par cette soudaine apparition et c’était comme si tout le temps perdu à attendre, à se questionner et à lui en vouloir n’avait plus aucune importance. Mais l’émotion qui la ravageait n’avait pas besoin de raison ni de mots pour s’exprimer. Son cœur se serra et sans crier gare, des larmes montèrent à ses yeux. Rose pinça ses lèvres puis se détourna légèrement de sa sœur.
- Je suis heureuse de te revoir, Rosie, chuchota Erin d’un ton affectueux.
- Moi aussi, répondit-elle enfin, après un autre moment de silence.
- Je ne savais pas que tu travaillais ici…
- J’ai commencé il y a environ un an. Les factures de papa n’allaient pas se payer toutes seules…
Malgré elle, l’amertume ponctua cette dernière réplique et fit tomber un froid.
Soudainement prenant conscience de ses autres compagnons, Rose recula. Son regard tomba sur la personne accompagnant sa sœur. Une jeune homme dans la vingtaine. Ses yeux bleus croisèrent les siens et soutinrent son regard. Un petit sourire en coin. Une lueur presque indiscernable de malice brillait au fin fond du bleu glacial. L’homme avait l’air amusé par cette scène de retrouvailles. Ses cheveux d’un blond cendré avaient une lueur assez particulière dans la pénombre de la taverne. C’était presque comme s’ils avaient capturé un échantillon de lumière qui se reflétait dans chacune de ses mèches parfaitement coiffées. L’homme avait une taille imposante, il était même plus grand que Peter, qui à son tour était un des plus grands hommes du village, et sa silhouette était fine mais laissait deviner une certaine musculature à travers le tissus à l’air incroyablement doux de son haut noir.
- Je te présente Owen, annonça Erin, jetant un regard en coin à son compagnon.
Ses fins sourcils roux se froncèrent et son nez se plissa. Elle semblait trouver l’attitude de son partenaire plutôt déplaisante.
- Ne fais pas attention à lui, il est assez… particulier, chuchota-t-elle à l’adresse de sa sœur.
- Hé! C’est pas sympa de dire ça, se plaigna aussitôt ce dernier.
- Arrête de la gober comme ça alors.
- Jalouse?
- Comme si!
Owen éclata de rire. Son rire était étrangement mélodieux. Il avait un certain accent plutôt étrange, une tonalité jamais entendue par Rose auparavant.
- Enchantée, finit par dire Rose en se raclant la gorge.
Elle essayait de masquer son embarras. Face au visage parfaitement symétrique d’Owen, la jeune femme s’était quelque peu emballée. Après tout, c’était la première fois qu’elle croisait quelqu’un à l’allure aussi… particulière.
- C’est moi qui suis enchanté, Rosie.