Jour 1 - Carto
Mon nom est Carto Valtrion Koln Courage Decis Chmorandram Rhadamanthe.
Mes frères d’auramite m’appellent par mon dernier nom, celui du lieu où je suis né de chair ; mes frères de rempart m’appellent par le premier, celui qui m’a été donné par mes géniteurs. Mes autres substantifs m’ont été décernés, comme le veut la tradition, au fil de mon service envers l’Empereur, premier et dernier maître de l’Humanité. Chacun d’entre eux est une source de fierté, un témoignage de la fidélité sans faille que j’observe envers mon roi. J’espère ajouter un trois cent dix-huitième élément à mon nom ce mois-ci.
Pas par vanité, non, mais pour la signification que cela aurait.
Jour 32
Ils hurlent des noms qui n’en sont pas, ceux des entités auxquelles ils ont offert leurs âmes. Des caractères cunéiformes sont tracés sur leurs armures, avec le sang de ceux tués ces sept dernières années. Personne n’ose les regarder trop longtemps. Certains casques ressemblent à des visages grimaçants, à moins que ça ne soit l’inverse. Les parangons qu’ils étaient sont devenus des parodies cauchemardesques du rêve impérial. Ils sont cornus, déformés, tordus, ravagés.
Mais, plus que tout, ils sont sur le rempart.
‘Dans les nids !’ hurle Archid.
Ses frères de bataille obéissent sans hésiter, et bondissent dans les renfoncements ; le geste est instinctif, tant ils l’ont répété et répété et répété. La perfection du mouvement se retrouve dans leur positionnement. Un demi-tour sec mais fluide, et le bras est déjà remonté ; les systèmes d’acquisition de leurs casques nécessitent trois picosecondes de calcul avant que les réticules ne redeviennent rouges.
La pluie de bolts recommence.
‘Tenez la ligne !’
Archid rugit pour la forme, et par automatisme. Ses guerriers d’élite sont déjà en position, boucliers levés ; hachés, épées, masses et gladii s’abattent avec une froideur chirurgicale, souillant les hauteurs himalasyennes du sang des impurs.
Son marteau à deux mains tombe en arc de cercle, fracassant un casque de fer, et Archid ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de plaisir. Il est peiné d’être si loin de son père ; il est peiné que les traîtres aient enfin atteint le rempart.
Mais il savoure son premier tué, et la libération de sa juste vengeance. Comme le reste de la légion, il a attendu pendant des années, participant physiquement et intellectuellement à l’érection de la forteresse. Une tâche presque honteuse de par son symbolisme, mais à laquelle la VIIème excelle. L’honneur de cette responsabilité et la raison de son existence les ont fait travailler sans repos, avec l’espoir vide que rien de tout cela ne serait nécessaire.
Sur le rempart, éclaboussé de sang jusqu’au coude, le capitaine Aryl Archid et les sept Cataphractii qui l’entourent se battent sans relâche, sans laisser une seule botte des parvenus se poser sur les emplacements de ferrobéton. Derrière eux, quarante frères de bataille et trois cent humains sont retranchés dans les blockhaus, casemates et renfoncements blindés prévus à cet effet. Les bolts et lasers tombent avec constance sur les Iron Warriors et World Eaters, sur les hérétiques braillants et les skitarii gargouillants.
La mêlée est violente, mais Archid ne se laisse pas distraire. Concentration et priorisation sont des éléments primordiaux pour un officier de sa trempe.
Un bras griffu, aux couleurs des fils bâtards de Perturabo, tente de l'agripper. Archid esquive en arrière avant de faire tomber la tête de son marteau sur celle du renégat. Dans le même temps, son affichage rétinien clignote de nombreuses runes, qu’il analyse en autant de temps qu’il lui faut pour pulvériser deux skitarii. Il ne s’agit pas de requêtes mais d’informations, transmises par ses officiers, pour lui donner une appréciation générale de la bataille.
La situation est stable. Elle doit le rester, au nom de son seigneur Dorn.
Jour 44
Malgré elle, le kentarque Jolito ne peut s’empêcher de garder les yeux fixés sur le ciel, derrière elle. Les hauts pics des Ourals, derniers vestiges de la plus grande chaîne de montagnes naturelles de Terra, ne cachent plus tout ; elle voit une épaisse fumée noire emplir le ciel sans nuage, masquant même les centaines d’appareils de débarquement qui…
‘Kentarque !’ appelle une voix au timbre artificiel.
Jolito se retourne et se met en garde-à-vous, par automatisme. Le capitaine Imperial Fist tourne sa tête casquée vers le ciel, derrière eux, et émet un grognement amusé.
‘Vous et moi, kentarque, nous sommes coupables d’un péché bien indigne de nous.
-Monseigneur ?
-Tourner le dos à la menace imminente pour regarder le paysage. Quelle déception.
Jolito se permet un petit rire, et adopte une posture légèrement plus détendue. Elle a appris à apprécier les rares moments d’humour d’Archid, surtout dans de telles situations.
Engoncée dans les plaques segmentées qui forment l’armure ocre de son régiment, la kentarque Alyen Jolito ressent le besoin de s’asseoir, mais s’abstient. La cape carmine qui tombe de ses épaulières blanches, le casque intégral qui affiche de trop nombreuses éraflures et le fusil radiant qui repose dans ses mains pèsent si lourd. Elle aimerait juste s’asseoir quelques instants, pour reposer ses muscles juste après ce violent engagement ; le quatorzième en un mois et demi.
Autour d’elle, Imperial Fists et gardes de l’Armée Impériale recalibrent les canons de rempart, ou comblent à la hâte les brèches faites par traîtres. Des trois cent soldats humains qui ont prêté le serment de défendre cet endroit, un serment fait devant le Prétorien lui-même, seule la moitié subsiste. Les pertes de la VIIeme légion sont moindres, mais presque plus cruelles.
-Avez-vous vu Carto ? demande Archid de sa voix grave.
-Il est au niveau supérieur, il me semble.
Archid secoue la tête de dépit.
-Je salue ses efforts, mais par Inwit, qu’est-ce qu’il est têtu ! Même si les communications fonctionnaient, je doute que le seigneur Dorn ait du temps à lui consacrer. Surtout avec tout ça, quoi que ça puisse être.
Jolito ne répond pas, mais elle s’inquiète aussi de la nature de « ça ». Le matin même, avant l’attaque, Daresd a estimé que la fumée venait du spatioport, ou bien même de la Porte aux Lions. Le major n’a jamais pu lui expliquer sa méthode de calcul de la distance, puisqu’une épée tronçonneuse l’a séparé en deux parties verticales. Si elle baisse un peu les yeux, Jolito sait qu’elle trouvera encore des morceaux collants de son second sur son armure.
-Vous avez fait du bon travail, grogne Archid, comme s’il lisait dans ses pensées. Les chiens de Perturabo peuvent continuer à venir, nous tiendrons.
Sur ces mots, le capitaine tourne les talons, son marteau ensanglanté négligemment posé sur l’épaule.
Jolito acquiesce pour la forme, et contemple le lointain paysage qui s’offre devant elle.
La plaine de Ladakh est l’incarnation d’un cauchemar. Trois transporteurs, chacun de la taille d’une petite ville, reposent sur leurs ventres boursouflés et continuent de vomir des choses hérissées de piques et de tentacules mécaniques. Ces barges du Mechanicum Noir n’ont pas fait que transporter des traîtres ; elles les produisent dans leurs entrailles, alliant un savoir interdit du Moyen-Âge Technologique aux pouvoir incompréhensibles du Warp. Autour de ces béhémoths de métal, les unités spécialisées de la IVème légion s’affairent sur leurs blindés, leurs canons de siège et leurs monstruosités mécaniques. Les chiens fous de la XIIème déambulent sur le paysage ravagé, hurlant des noms que Jolito est contente de ne pas entendre.
Le piège du Prétorien est simple, mais d’une terrible efficacité. Le réseau de galeries et les bunkers qui reposent sous Ladakh, et font la jonction jusqu’à la citadelle de Kargil, ont été minés et peuplés de serviteurs automatisés.
Ce réseau souterrain est hérité des périodes sombres des millénaires précédents, lorsque cette région de Terra était sous la coupe de quelque seigneur de guerre oublié. Jolito a oublié les annexes historiques des nombreux briefings stratégiques, trop fatiguée pour solliciter cet effort mental. Mais elle se souvient parfaitement du massacre orchestré par le génie de Dorn, lorsque le piège, aussi bref qu’il eut été, a infligé de lourdes pertes à l’ennemi en quelques minutes. Jolito et ses soldats n’ont pas pu s’empêcher de crier de joie en voyant les forces des traîtres se faire laminer dès l’atterrissage par les servitors cachés dans les galeries.
La liesse a été de courte durée.
Jour 51 - Carto
C’est désormais un Iron Warrior qui s’effondre, la tête décollée de son cou. Il est aussitôt remplacé par quelque chose que je n’arrive pas à identifier clairement. Ma lame s’abat tout de même, éliminant la menace.
Les soldats du Mechanicum Noir grimpent sur le rempart, après avoir escaladé le kilomètre et demi qui sépare le bastion du sol rocheux. Leurs griffes et leurs serres s’enfoncent dans le grès, le basalte et même l’adamantium, avant de venir chercher nos gorges. Des armes prohibées crachent des projectiles destructeurs, endommageant l’ouvrage de Dorn et tuant ses fils.
Je bondis, ma lance-gardienne en avant. Un skitarius déformé explose lorsque mon arme perce son générateur thoracique, faisant vaciller l’Astartes renégat a côté de lui. J’ai à peine touché le sol que je pivote déjà, ma lance tendue ; la lame tranchante au niveau monomoléculaire cueille le guerrier transhumain au niveau des genoux, et une volée de bolts l’achève.
Plus qu’avec n’importe quel autre ennemi, il me faut faire preuve de rapidité face à un World Eater. C’est ce que mon expérience dans la Toile m’a…
-Carto !
Mon oreillette grésille. Je réponds.
Archid réclame mon soutien sur le bastion supérieur, évoquant des troupes aéroportées. De par mon grade, je suis théoriquement responsable de la défense de cette forteresse, et ainsi que de sa gestion logistique. Mais les doctrines de bataille de la VIIème préconisent que l’élément le mieux placé doit être décisionnaire, et je m’y plie. Il y une logique imparable dans cette manière de faire la guerre, et a fortiori en défense.
La forteresse de Tashmetu est composée de trois demi-cercles principaux, en plus des redoutes aménagées lorsque nous devrons inévitablement reculer. Le premier rempart est long de mille trois cent deux mètres, et haut de quatre, en incluant les nids de tir. Je saute sur un escalier et le gravit rapidement, tandis que mon subconscient décortique les informations transmises par mes yeux. Mes oreilles écoutent continuellement les transmissions des Imperial Fists, et mon cerveau analyse, déduit et forme les plans qui découlent de ces informations.
Les trois skitarii qui me barrent la route meurent instantanément, frappés par un seul coup de ma lance-gardienne. J’émerge sur une vaste terrasse, où trois Astartes en jaune luttent pour leur vie. Je repère sept World Eaters, dont les réacteurs dorsaux ne semblent pas les alourdir. Ces berserks ne sont pas sortis indemnes du barrage antiaérien ; la céramite de leurs armures est ouverte en certains points, et des segments entiers manquent. L’un d’eux a même un trou qui transperce sa cuisse gauche, laissant passer la lumière sale. Mais rien ne semble les arrêter, ou même les ralentir.
Je m’élance avec grâce, et l’ennemi le plus proche tombe en trois morceaux. J’évite le coup maladroit de celui qui a tenté de me charger, et mon gantelet vient frapper le côté de son casque ; c’est suffisant pour le déséquilibrer, permettant à un Impérial Fist de finir le travail.
Je frappe, je pare, je taillade. Chacune des batailles que nous gagnons ici retardent celle que nous finirons inévitablement par perdre.
Jour 64
Le premier rempart est tombé.
Elle force le serment de son régiment à travers ses lèvres, afin d’occuper sa bouche utilement. Elle sait que sans ça, les sanglots recommenceront.
Tashmetu a été construit de manière purement fonctionnelle, sans les ornements cérémoniels qui caractérisent le reste du Palais. Pendant de longues semaines, Rogal Dorn et l’estimé capitaine Camba Diaz ont débattu des matériaux nécessaires, de leur quantité et du placement des défenses pour faire de la porte une impasse. Tout est gris ici, du ferrobéton anthracite à l’adamantium nu.
Et pourtant, Jolito ressent la destruction de la forteresse dans tout son être. L’ouvrage de la VIIeme s’effrite sous les assauts des traîtres. Le premier rempart est un charnier, où repose plus de la moitié de son régiment. Fier et ancien, le Triomphal de Thalie ne compte plus que six escouades incomplètes ; les Astarte eux-mêmes ont subi de lourdes pertes, et les deux versants latéraux de Tashmetu ont été abandonnés à l’ennemi, leurs accès condamnés à la hâte avec des explosifs.
Son doigt presse la détente, mais l’arme ne crache aucun laser. Jolito recule maladroitement, et se rappelle qu’elle a épuisé toutes ses cellules plusieurs secondes auparavant. Cela n’empêche en rien le skitarius en face d’elle d’abaisser violemment son fléau.
‘Pour l’Empereur !’
Archid accompagne son cri d’un crochet, et la céramite jaune pulvérise le crâne du cyborg.
‘Reculez, kentarque ! Regroupez-vous !’
Il n’a pas le temps de vérifier si l’humaine obéit à son ordre. Il n’a pas le temps de récupérer son marteau, perdu quelque part dans la mêlée. Il n’a pas le temps de mesurer l’ensemble de la situation, et d’honorer les fonctions de commandement qui sont les siennes.
Archid recule en dégainant son pistolet bolter, et laisse Vacarad prendre sa place. Le Cataphractii semble inamovible, prêt à défendre l’immense escalier qui relie le premier rempart au deuxième envers et contre tout.
-Carto, appelle Archid dans son vox. Carto ?
-Je vous reçois, capitaine.
-Il faut condamner les accès ! Maintenant !
Un cliquètement sur la fréquence confirme que l’ordre de été reçu.
Archid recule d’un pas, et dégaine désormais le pistolet à plasma accroché à sa ceinture. L’arme bourdonne en se réveillant, son complexe réacteur avide de destruction.
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Vacarad est épaulé par Sigaz et Clasiam, ce dernier dominant largement ses frères. L’armure de type Saturnine est une relique, dépassée en tous points ; mais à cet instant précis, les larges épaulières qui la caractérisent se révèlent un avantage ô si précieux. Clasiam occupe la majorité de l’espace, formant avec Vacarad et Sigaz un rempart vivant.
‘Carto !
-Sept secondes, capitaine’
La voix du Custodes ne traduit aucune émotion, et même Archid s’en émeut. Ses propres muscles transhumains le brûlent, et son esprit psycho-endoctriné souffre de la perte du premier rempart. Rien ne semble pourtant éroder la détermination presque robotique de Carto Rhadamanthe.
Étonnamment, c’est une pensée qui procure un certain réconfort à Archid.
Un bruit strident se fait soudain entendre, et une lumière rougeâtre monte rapidement des trois couloirs qui relient les remparts. Les tuyères de fusion continuent de gémir, générant la chaleur d’une étoile dans des points stratégiques de la structure.
Avec une rapidité fulgurante, les trois bunkers d’accès s’effondrent dans un magma liquide, des morceaux de maçonnerie partiellement fondus dévalant les trois couloirs. Skitarii de fer, Astartes renégats et simples humains de chair sont aspirés et balayés par la coulée incandescente, qui inonde le premier rempart avec une inéluctable violence.
‘Fortification ! ordonne Archid’.
Ses frères en armures énergétiques exécutent l’injonction répétée mille fois, déplaçant des débris et du matériel inutile avec précision. Bloc de ferrobéton brisés, caisses de munitions, canons de rempart tordus et les cadavres d’ennemis sont jetés sans distinction dans la lave artificielle, qui refroidit déjà en sifflant. Lorsque la masse informe sera stabilisée, elle offrira un couvert aussi solide qu’irrégulier, d’où les loyalistes pourront repousser les assauts suivants.
Si l’avantage du terrain change de camp, les Imperial Fists changent le terrain.
Le capitaine Archid aimerait se joindre à ses frères, et participer dans l’urgence à la fortification de cette position, comme il l’a fait tant de fois durant la Grande Croisade. Mais lui et ses frères en armures Terminator surveillent l’esplanade, guettant d’éventuels ennemis ayant bravé la roche en fusion.
‘C’est une victoire, commente une voix en s’approchant’.
Carto des Tharanatoi porte une armure délicatement ornée, mais la démarche du Custodes n’a rien de guerrier. Elle est celle d’un destructeur, habituellement engoncé dans une armure Allarus pour avancer sans s’arrêter vers l’ennemi, déployant un déluge de feu oblitérateur. Protégé par son armure énergétique plus légère, Carto n’en reste pas moins une arme vivante.
Archid hoche la tête en guise de salutation, sans quitter du regard le déroulement des opérations. Il remarque le kentarque Jolito, affalée contre un parapet. Elle a une gourde dans la main, mais ne semble pas avoir la force de la lever jusqu’à sa bouche. Son casque brisé repose contre ses jambes.
‘Une victoire, répète Archid. D’une certaine manière, j’imagine.
-L’ennemi a été repoussé, observe Carto. La perte du premier rempart a toujours été une certitude. Et nous sommes encore dans les paramètres temporels tels que calculés par le seigneur Dorn.
-Tenir deux mois jusqu’ici est effectivement une victoire, mais une victoire inquiétante. Nous n’avons pas repéré d’armement super-lourd et l’absence de Stor-Bezashk n’est pas rassurante. Qui sait ce que le Prétorien affronte en défendant le palais ?
Aucun des deux ne peut répondre à cette question, et aucun des deux n’admet que ce simple fait les perturbe. Depuis leur déploiement a Tashmetu, personne n’a réussi à joindre le Grand Borealis ou d’autres instances de commandement.
Défendre les arrières du Palais n’a jamais été un impératif. Les montagnes himalasiennes qui n’ont pas été rasées durant les deux derniers siècles forment un rempart naturel, que l’ennemi n’aurait pas pu percer en plusieurs mois de siège. Mais la plaine de Ladakh représente une cible trop tentante pour les chiens de Perturabo, et bien qu’ancienne et mal entretenue, la voie qui y mène depuis le Palais représente une vulnérabilité. Le Prétorien et Malcador n’ont voulu prendre aucun risque, et ont décidé de renforcer Tashmetu en conséquence pour en faire une enclume sur laquelle se briseront les traîtres.
La décision a été sage, mesure Archid. L’ennemi a attaqué en masse une position imprenable, et souffert de lourdes pertes. Ce sont autant de morts qui ne prendront pas d’assaut les positions établies par Dorn et Singh.
Malgré cela, le capitaine sent peser sur lui le voile insidieux de l’incertitude. Qu’en est-il de l’attaque principale ? Les spatioports tiennent-ils toujours ? Son père est-il encore en vie ? Où le solide Camba Diaz et l’intrépide Sigismund combattent-ils en ce moment ?
Jour 75
‘Qu’est-ce qu’ils font ?’ demande le sergent Daeine.
Trop fatiguée pour répondre, Jolito envisage de lever la tête, puis abandonne l’idée. La dizaine de soldats qui lui reste est autour d’elle, à l’exception de Daeine, qui monte la garde quelques mètres plus loin. C’est inutile, bien sûr, car les impassibles Imperial Fists sont déjà répartis stratégiquement sur le rempart et surveillent infatigablement la plaine. Mais la kentarque insiste pour maintenir un semblant de discipline dans ce chaos, et la routine du guet ne peut qu’être bonne pour l’esprit.
Jolito remarque que l’un des Astartes s’agite, et le capitaine Archid s’avance pour converser avec lui.
‘Restez ici’, commande Jolito en se levant.
Ses soldats murmurent leur assentiment, trop épuisés pour poser des questions. Jolito s’approche de Daeine et des ruines des créneaux, rendues aussi informes qu’épaisses par les conduits à fusion. Plus de dix jours ont passé depuis leur retraite jusqu’au deuxième rempart, et les traîtres n’ont pas renouvelé leur assaut.
Ce que Jolito voit en contrebas lui apporte un début de réponse.
‘C’est très bizarre’, observe Daeine avec pragmatisme.
Leurs formes grossières soulignées par le Soleil couchant, les barges des Iron Warriors vibrent alors que leurs énormes moteurs s’illuminent d’une lueur incandescente. Les vaisseaux du Mechanicum Noir et les bélandre atmosphériques qui transportent les humains sont immobiles, affalés dans la plaine.
Paresseusement, les vaisseaux de la IVème quittent le sol craquelé, et s’élancent vers les cieux. Le brouhaha se répercute dans les moindres crevasses de la plaine, et fait vibrer les os de Jolito.
‘Ils battent en retraite ? demande Daeine.
‘Ils battent en retraite, confirme Archid. Les chiens de Perturabo, en tout cas. Les autres salauds ont l’air de vouloir rester ici.
‘Mais ça n’a aucun sens ! proteste Jolito. Pourquoi est-ce qu’ils partiraient, et en laissant leurs troupes auxiliaires ? Est-ce que nous avons… nous avons peut-être… ?
Elle n’ose pas finir sa phrase. Daeine coule un regard vers elle, mais ne commente pas. Archid se contente de suivre du regard les barges, à l'affût de tout piège.
‘Non’.
Tous se retournent pour voir avancer Carto. L’impressionnant Cutsodes descend les escaliers qui mènent au troisième et dernier rempart avant de s’arrêter, sa lance-gardienne en main. Son cimier écarlate flotte dans le vent crépusculaire, apportant un peu de mouvement à sa large silhouette.
Lorsqu’il parle, sa voix grave est amplifiée par les haut-parleurs de son armure :
‘Je n’ai pas réussi à contacter Bhab, confesse-t-il. En revanche, j’ai pu établir un contact avec un major de l’Excertus nommé Krarov et des éléments défensifs du bastion Meru, menés par le sergent Katjor’.
Archid fronce les sourcils, et un mince sourire apparaît derrière sa barbe. Uris Katjor est un sergent de sa compagnie, laquelle avait été scindée en deux parties juste avant le déploiement à Tashmetu. Toujours aussi stoïques, les Imperial Fists rassemblés n’en ressentent pas moins un élan de joie.
‘Nous n’avons pas gagné, clame Carto. Aurum, Marmax et Colossi tomberont sous peu, et les deux spatioports sont aux mains de l’ennemi. Selon toute probabilité, les traîtres arriveront à la porte d'Éternité d’ici une semaine’.
Dans le silence assourdissant, seul le sanglot réprimé d’un soldat vient rompre le calme. Jolito baisse la tête, consciente que Daeine la regarde, en quête de réponses. Archid regarde fixement le Custodes, sans laisser transparaître la moindre émotion.
‘Tout n’est pas perdu, cependant. Le sergent Katjor m’a fait savoir qu’une opération spéciale était en cours, quelque part sur le Mur Ultime. Elle est peut-être même terminée, mais les communications sont trop mauvaises pour en être certain. Le major Krarov m’a néanmoins fait savoir que les Iron Warriors semblent reculer massivement.
‘Et le Prétorien ? demande Archid. Quelles nouvelles de notre père ?
‘Aucune. Tout porte à croire qu’il continue de défendre le Palais, cependant. Notre mission reste inchangée’.
Jolito lève les yeux, et contemple les hauts pics himalasiens. Elle les sait truffés de batteries antiaériennes et servitors de combat, reliés entre-eux par un système noosphérique presque primitif mais efficace. Sur des plate-formes renforcées veillent silencieusement Fornax Iustorum, Flamma Umbrarum et Custos Harenae ; les trois Warlords de la Legio Ignatum sont le dernier rempart de cette sphère de défense, et s’assureront que si Tashmetu doit tomber, rien ne passera jusqu’au bastion Indomitor. Ce mur massif, caché derrière les dernières montagnes naturelles de la région, protège le Sanctum Imperialis et est virtuellement imprenable.
Mélancoliques, Jolito et les soldats du Triomphal de Thalie considèrent les Warlords, bloqués comme eux jusqu’à ce qu’on vienne les récupérer.
Après la victoire.
Jour 103
La horde n’a rien d’humain, ou même de transhumain. Ce sont, dans toutes les définitions acceptées par ce mot, des démons.
Archid n’en a jamais affronté jusqu’à maintenant, mais le résultat est à la hauteur de ses attentes. Qu’elle soit physiquement présente ou non, la chair ectoplasmique s’affaisse sous ses coups, et c’est bien suffisant.
Ses frères et les humains du Triomphal de Thalie combattent avec stoïcisme, traitant ce nouvel ennemi comme les précédents. Les Astartes ont pu consulter les rapports compilés par le Sigillite, ainsi que les comptes-rendus brutaux mais succincts issus de la guerre dans la Toile. Les jamais-nés sont des adversaires peu communs, dont l’impact psychologique ne doit pas être sous-estimé ; la résilience des soldats de l’Armée Impériale n’en est que plus impressionnante.
Sigaz disparaît presque soudainement. Une main griffue saisit le vétéran par l’énorme épaulière de son armure, et le jette par-dessus le rempart, comme… comme quelque chose. La vulgarité d’un tel geste, d’une mort aussi ridicule, enrage Archid.
Le capitaine s’élance en avant, son marteau écrasant les créatures qui se dressent devant lui.
Deux pattes énormes sont désormais accrochées au rempart, recouvertes d’un cuir écarlate. Une tête cornue et démesurée se discerne dans le brouillard surnaturel, où deux yeux porcins brillent d’une malice jaunâtre ; les crocs de la monstruosité sont de tailles diverses, mais tous arborent des noms. Malgré la distance, Archid peut lire avec une précision terrifiante les cent dix-sept mille huit cent trente-trois patronymes, appartenant à chacun des membres de la VIIeme présent sur Terra. Avec une lenteur effarante, le nom de Caejec Sigaz s’estompe d’une canine démesurée.
‘Il ne s’est pas entièrement matérialisé ! tonne une voix. Détruisez-le !’
Tout en criant son ordre, Carto bondit entre les démons, sa lance-gardienne frappant à la vitesse de l’éclair qui orne sa genouillère. Il a affronté et vaincu des space marines renégats, des démons divers et des seigneurs de guerre terrans ; il maîtrise à la perfection les Ka’tahs des Tharanatoi et a toujours été capable de s’adapter à ce que la galaxie avait à lui offrir.
Mais il reconnaît ce qui naît devant lui. Un avatar divin du Huit d’Airain, formé par le bruit de viscères s’asséchant dans une plaine poussiéreuse, et celui d’os qui se brisent sous les coups d’une massue primitive. Le démon majeur est aussi vieux que le temps lui-même, bien que son emprise sur la réalité ne soit pas totale. Pas encore.
Jolito pleure, d’effroi face à cette vision cauchemardesque et d’impuissance face aux lois de la physiques qui se tordent. Mais elle est la dernière kentarque thalienne de cette maudite galaxie, et l’entraînement comme le devoir sont gravés en elle. Elle lève l’arme qu’elle a récupéré il y a plusieurs jours, et ouvre le feu ; le recul du bolter est presque trop violent pour elle, mais il ne lui reste plus de larmes que la douleur puisse faire couler. Alors elle endure en maintenant la pression sur la détente, incapable de détacher son regard de l’ennemi. Sa souffrance est canalisée dans les volées qu’elle tire, le canon de l’arme exorcisant ses peurs.
+Du sang pour… un trône… à bâtir.+
A ses côtés, les septs autres survivants de son bataillon maintiennent un feu nourri sur la créature, auxquels s’ajoutent les bolts tirés par le Custodes. Le déluge aurait eu raison de n’importe quel autre adversaire, mais la chose continue de grimper sur le rempart, tandis que d’autres difformités éthériques barrent le passage à Carto et aux Astartes.
+Des faibles… coule le… sang.+
Dans un nuage d’une noirceur impénétrable, le démon s’élance brutalement vers les soldats humains, une hache démesurée tenue par ses doigts griffus.
Le mouvement surnaturel les prend tous par surprise, et un des soldats s’étrangle de peur, mort avant même de l’avoir réalisé. Daeine est réduit en une pulpe sanglante par le poing du démon, alors qu’un revers brutal démembre trois autres soldats. L’hémoglobine recouvre tout le sol.
Jolito laisse tomber le bolter, et porte la main à sa ceinture pour…
La hache s’abat, et scinde la kentarque Jolito dans une violente gerbe d’hémoglobine.
Des trois cent humains qui ont tenu Tashmetu héroïquement pendant plus de trois mois, il ne reste plus personne. La horde menace de nous déborder, mais les vents impies du Warp ne soufflent pas assez forts ; d’ici peu, les Imperial Fists auront réussi à repousser l’attaque, pour peu que nous tenions.
Le démon majeur s’avance vers moi, et je cours à sa rencontre. Je n’ai pas le temps de recharger mon arme, car chaque seconde qui s’écoule menace de renforcer mon adversaire dans le duel qui s’annonce. Mon armure lourde aurait été utile. Ainsi que plus de mes frères, et un support d’artillerie.
Il ne sert à rien de se lamenter sur ce qui n’est pas.
Ma course se transforme en roulé-boulé, la hache démesurée de l’ennemi effleurant mon cimier écarlate. Je ne me relève qu’à moitié et enfonce ma lance-gardienne dans la cuisse hypertrophiée qui me fait face, avant d’effectuer une rotation du poignet. Je suis déjà en mouvement lorsque l’arme du démon fracasse le ferrobéton, et d’un revers puissant, je tranche les tendons inexistants d’une de ses jambes.
+L’Anathème sera… broyé dans l’or.+
Je m’apprête à reculer lorsque son poing me percute, m’envoyant valser plusieurs mètres en arrière. L’auramite qui me protège est intacte, mais mon souffle est court. Je vois le démon me charger lorsque…
Avec un cri de guerre digne de Russ en personne, le capitaine Imperial Fist frappe de la force de ses muscles et de ses servomoteurs. La tête du marteau énergétique brise la rotule qu’elle frappe, et déchire l’entièreté de la jambe.
+Le désert… vous rongera.+
Archid inverse sa prise sur la hampe et pivote, donnant encore plus d’élan à son deuxième coup. L’arme s’enfonce profondément dans la cage thoracique du monstre prostré, faisant apparaître des filaments d’énergie carmins.
+Ton père… brisé. A genoux dans… le sang de ses fils.+
Les attaques mentales qui émanent du démon glissent sur Archid, qui se tient devant le démon majeur de Khorne. Ses dents ornées de trop nombreux noms semblent émoussées, et la lueur qui anime ses pupilles malveillantes paraît plus terne.
‘Meurs, au nom de l’Empereur’.
Le marteau d’Archid s’abat sur le crâne déformé.
Jour [erreur]
Nous ne sommes plus que neuf. Le deuxième rempart s’offre à mon regard, ainsi que les cadavres en armures jaunes qui baignent dans un sang perpétuellement liquide.
Les incursions des démons sont sporadiques, mais insistantes. Nous les repoussons par automatisme, défendant le troisième et dernier rempart. Il est inutile de parler, car aucune coordination stratégique n’est nécessaire. Vaillant mais fatigué, le capitaine Archid encourage parfois ses frères, leur rappelant la résilience léguée par leur sire génétique.
Je reste silencieux, et scrute les conversations vox. Nous captons parfois des échos du Palais, interceptant des fréquences impériales sans toujours en déterminer l’origine précise. Nous parvenons à reconstituer une vision fragmentée du siège, même si un contact clair avec Bhab serait le bienvenu. Nous avons entendu les cris de ceux qui sont morts en défendant les murs Europe et Mercure, signalant l’ouverture du secteur palatin. Les bastions de Razavi et Cydonae sont tombés, mais d’après ce que nous savons, Golgotha tient encore.
Pourtant, aucune de ces informations n’explique le ciel aux couleurs chamarrées, ou les griffes fantomatiques qui semblent parfois caresser Luna. Rien ne justifie le sol qui change constamment d’état, ou les rires rauques qui éclatent parfois depuis les montagnes.
Quelque chose se passe sur Terra, et nous ne savons pas quoi.
Jour [erreur]
Des quarante space marines qui se sont tenus à mes côtés, Aryl Archid est le dernier à mourir.
Je l’ai vu à genoux, entouré par une horde de créatures gracieuses à la peau violacée. J’ai tenté de le rejoindre, mais nous combattons isolément depuis de trop longues heures. Je n’ai pu que voir, impuissant, des pinces d’os et des lames de chitine pénétrer son armure pour le démembrer.
Je suis seul à tenir Tashmetu, et la mort de mes comparses… m’attriste. La galaxie est en flammes à cause des bâtards du projet Astartes, mais les fils de Dorn se sont révélés des combattants inflexibles, dignes de défendre le rêve de mon roi. Je loue l’esprit de la VIIème, et la mémoire du capitaine Archid.
Il en va de même pour le Triomphal de Thalie. Dans l’enfer qui s’abat sur le Palais impérial, l’échelle inégalée de ce conflit n’a fait ressortir que le meilleur dans les humains qui étaient ici. Aucun courage n’a été plus impressionnant que celui de la kentarque Jolito et de ses hommes.
La mort m’entoure, se rapprochant peu à peu de moi pour m’accompagner jusqu’à la fin. Elle m’isole, mais je suis imperméable à tout cela. Mon corps et mon esprit ont été façonnés par le Maître de l’Humanité, et c’est à l’idéal de l’Imperium que j’appartiens. Au sommet du monde, éloigné de mes frères en auramite et de la sagesse de l’Empereur, je me montrerai digne de l’aquila qui orne mon plastron.
Je frappe et pare, je fend et j’évite. Cela fait trop longtemps que je n’ai plus de bolts, aussi c’est par la seule force de mes membres, et par le tranchant de ma lame, que j’occis les vagues de démons qui se jettent contre moi. Je vois des créatures informes ramper contre la montagne, tandis que d’autres se matérialisent dans l’air pour s’envoler. Le staccato persistant des machines de la Legio Ignatum rythme le temps ; elles finiront aussi par tomber, victimes des démons que je ne parviens pas à arrêter.
Le caquètement incessant des jamais-nés résonne dans mon esprit, tandis que des chuchotements se réverbèrent dans mon casque. J’entends les voix de mes géniteurs naturels, et celles de mes frères de bataille ; la voix d’Horus, et celle du Sigillite. J’entends et ignore les promesses vides de sens, les menaces inutiles.
Je continue de combattre, aussi longtemps que mon roi l’exigera.
Car mon nom est Carto Valtrion Koln Courage Decis Chmorandram Tashmetu Rhadamanthe.