Les mains. Choses si étranges, deux bases surplombées de bâtonnets imparfaits. Des os, des nerfs, des muscles, des tendons, de l’épiderme et de la kératine. Les veines qui les parcourent comme les racines d’une plante fragile. N’oublions pas le sang chaud qui les parcourent et qui vient nous déchirer de l’intérieur quand le froid. Ces membres, à fonction de pince, de pinceau et de miroir. Elles reflètent nos émotions, se serrant lorsque nous sommes en colère, allant même jusqu’à jeter des choses. Elles nous permettent tant de d’actions ! Sentir la fraîcheur de l’eau qui coule du robinet, sentir la douceur des feuilles des petites plantes qui jonchent pathétiquement le sol du salon, sentir la douleur aussi.
On peut faire des bêtises avec, par exemple, on peut frapper des imbéciles, les frapper tellement fort qu’ils finissent à l’hôpital et moi, viré du lycée.
Mes mains à moi sont bien amochées. Elles sont plutôt grandes, on peut voir le relief des petits et des veines qui les parcourent. Mes ongles sont rongés à sang, presque recouverts par la corne. Les jointures de mes doigts sont d’une étrange couleur bleuâtre qui tire sur le vert. En fait, je dirais plutôt violet. Avec un peu de rouge sur les bords. Mes mains sont soigneusement serrées sur mes genoux qui les balancent d’un rythme angoissé.
La porte claque contre le mur, le proviseur se lève
« Je suis venu dès que j’ai pu. »
Les deux hommes se serrent frénétiquement la main.
"Écoutez M... Ha! Joanshon ! Mr Joanshon, vous comprenez que ce n’est pas une convocation anodine. ".
Mon père me jette un coup d’œil, se ronge les ongles et se détourne vers le proviseur. Il hoche la tête. Je n’écoute que d’une oreille, ce qu’ils se disent ne m’intéresse pas. Je regarde à travers la fenêtre, un oiseau passe. J’aimerais bien être un oiseau... Ne jamais avoir besoin de parler, de m’exprimer. Mon père se lève, serre encore une fois la main de ce charlatan et puis nous sortons. On traverse les bâtiments pour arriver à notre voiture. Je m’installe en silence. Mon père fait de même. Il ne démarre pas tout de suite, me jette un rapide coup d’œil.
« Maxence, pourquoi tu as fait ça ? »
Je souffle fort, indiquant mon indisponibilité à m’expliquer, et fuis le regard de mon père.
En réalité, ce n’est pas moi qui ait initié le combat, même si je dois avouer que j’y ai bien participé quand même. Je dois aussi admettre que je ne suis pas mécontent qu’ils aient commencé à frapper, c’est comme si j’attendais le départ d’une course, je n’attendais plus que le signal pour démarrer. Et puis, ils l’avaient bien mérité ! Depuis le début de l’année, ils n’arrêtaient pas de se moquer de moi. Mon père démarre et nous sortons de l’enceinte du lycée. Une fois arrivés devant notre maison, mon père coupe le moteur et, alors que je veux sortir, il verrouille les portières. Le bruit cinglant des loquets sui de ferment me donne une envie rageuse de tout casser, de hurler. Je donne un coup contre la portière avant de violemment faire face à mon père.
"Écoute Maxence, je sais que tu as du mal à te... de gérer tes émotions, ta colère... mais là... C’est la troisième fois en deux mois."
Je soupire et me jette, énervé, contre mon siège.
« Ça va, c’est pas un drame de changer de lycée ! »
L’expression inquiète de mon père se change en stupéfaction
"Ce n’est pas le lycée le problème ! Est-ce que tu te rends compte que ce que tu as fait est grave ?"
Je toise mon père pour lui faire comprendre que je ne suis vraiment pas disposé à lui adresser la parole. expliquer mon geste. C’était stupide, je sais. Mais je n’arrive pas à passer outre les insultes.
Chaque fois que c’est pareil, je ne le supporte pas et je démarre au quart de tour.
"Ils m’ont insulté ! Tu voulais quoi ? que je leur dise les yeux papillonnant et la bouche en cœur. « Oh merci ! C’est tellement gentil » ?! »
Je me retourne, croise mes bras, et fronce les sourcils plus qu’il ne doit être humainement possible.
Je sens un mouvement de recul de la part de mon père. Mon coeur se serre.
Je suis injuste avec lui. Je ne sais même pas pourquoi je suis aussi désagréable avec lui.
Mon père sort difficilement de la voiture. Je jette furtivement un coup d’œil coupable vers lui.
J’espère ne pas l’avoir trop vexé... Je pense que je devrais m’excuser. J’ouvre la portière. Chaque fois que je lui balance, jette ce genre de propos, charge chaque fois que je lui crache ces termes sans scrupule, je me sens comme noyé dans la violence de mes propres mots. Je les ressens, ils me font vibrer.
J’attrape mon sac, énervé plus contre moi-même qu’autre chose, et je rentre dans notre vieux taudis. Je balance mon sac sur le canapé-lit de mon père. Je monte en tapant des pieds sur les marches jusqu’au grenier qui me fait office de chambre. Je soupire et m’effondre sur mon lit. En réalité, changer de lycée ne représente rien pour moi. On ne peut pas réellement dire que je sois quelqu’un de très chaleureux et amicale, alors je n’ai jamais eu d’amis. A part ce petit garçon en primaire mais il a déménagé.
On était toujours fourrés ensemble !
Mais impossible de me souvenir de son prénom.
Je me laisse tomber sur mon matelas, il est installé à même le sol faute de sommier, la chute en est d’autant plus vertigineuse. Je lance une musique. Je me laisse transporter par les symphonies. Parfois, comme aujourd’hui, je me laisse divaguer et voguer dans les méandres de mon imagination définitivement étouffante.
Cette imagination enivrante qui me fait voir tout ce que je n’aurais jamais. Le véritable bonheur entre autres. Cette chimère de liberté qui te permet de réaliser l’improbable et l’inimaginable avec de simples pensées, et puis, le retour à la réalité te prive d’air. Tu ne peux plus respirer. Tu es en manque d’oxygène et ta vie te semble étrangère, mais tu dois faire avec, car tu continues de te réveiller chaque matin malgré tout, et c’est là que tu réalises à quel point les mots te manquent pour expliquer comme tu te sens seul et incompris.
Mon corps s’étale sur le matelas comme une glace qui fondait au soleil ardent, voyant sa fin plus que proche, mais n’y pouvant rien.
Je me sens vide.
Et trop plein en même temps.
Vide d’expression et trop plein d’émotions.
Dans mon esprit c’est la folie ; des changements soudains, des mains qui poussent sur les murs qui les retiennent depuis trop longtemps. L’envie soudaine d’hurler, de pleurer, de taper, de pleurer encore, de crier, de jeter, de casser, de sauter, de frapper, de déchirer. Envie de tout mais rien ne se passe. Une autre voix s’exprime pour moi : celle de la musique.
Mes paupières se ferment et se contractent par soubresauts. Mes lèvres, closes, chantent les paroles et mon esprit s’imagine libre et loin. Mon esprit me dépose là, dans ce monde qui n’est ni mien, ni réel. Où les mots n’ont plus utilité d’exister puisque je suis seul. Plus de problème à se faire comprendre puisque même le néant semble me fuir.
Libre, oui. Mais à quel prix ?
“Maxence !”
Je soupire, la paix est brisée malgré l’amour.
“Maxence !”
Je sers les dents, ma mâchoire est le dépotoire de mes frustrations.
Je pense “Soit gentil. Soit gentil, répond amicalement. Soit ouvert. S’il te plaît ne soit pas agressif.”
Je choisis un mot adéquat. Pas de son brut donc pas de consonnes. Pas de son fermé donc pas de consonnes. Personne n’aime les consonnes.
“Oui ?”
“Tu veux qu’on se regarde un film ?”
Je descends en vitesse. Je veux être à la hauteur pour lui. Lui faire oublier tout ce que j’aimerais ne pas avoir fait.
Dans mon élan je manque de le percuter car il m'attendait en bas de l’escalier. Ma main rattrape de peu la rambarde de l’escalier.
“Tu penses à un film en particulier ?”
Je saute de la dernière marche. Je ne
sais pas si c'est pour me donner un quelconque air ou je ne sais quoi mais ça fait sourire mon père.
“Pourquoi pas le Dracula de 92 ?”
Mon père acquiesce.
Je me dirige vers le canapé. Je branche un ordinateur à notre petit téléviseur pour pouvoir visionner le film.
Mon père revient de la cuisine avec un bol de popcorn dans les mains.
Il s’assoit dans le sofa qui craque un peu sous son poids. Je le rejoins et nous calons le bol entre nos deux cuisses. Le film commence, mon père sursaute. Je grignote sans même me rendre compte du nombre de grains de main explosés que j'avale. Après une quarantaine de minutes, nos mains se retrouvent à gratter le fond du bol sans rien attraper. Je fais signe à mon père que je retourne en chercher. Une fois dans la cuisine, je jette le fond du sachet de grains de maïs dans une casserole et je les fais exploser sous le couvercle.
Lorsque que je retourne vers le canapé, je peux voir mon père, à peine éclairé par les couleurs sombres du film qui se projettent sur lui.
Mon regard descend sur sa main gauche, posée sur son genou. Je m'arrête un instant pour l’observer. C’est incroyable toute la vie qui transparaît simplement à travers ce membre. L'amour pour cette femme qui est partie, l'alliance qui l’enchaine à elle malgré son départ… Toutes ces années à trimer pour nous payer une pauvre maisonnette et m’offrir des vêtements neufs, en témoignent ses phalanges cornées et abîmées. Ce travail qui le bouffe petit à petit, qui lui à même valu un index. Son petit moignon peut être fier car il marque tout de même la persévérance de mon père. Jamais il ne me laissera tomber, peu importe ce que je lui fais. Je pourrais bien le traîner dans la boue, il s’y roulera avec plaisir si ça me permet d'être heureux.
Cet homme m’effraie en quelque sorte.
Il n’a aucune fierté et c’est là sa meilleure qualité.
Le film se termine. Mon père est endormi, la tête en arrière et la bouche ouverte. C’est à peine si on ne voit pas un filet de bave qui coule du coin de ses lèvres.
Je ramasse le bol, qui à fini au sol. En passant, j'éteint le téléviseur et je referme l’ordinateur. La pièce paraît bien sombre maintenant.
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Au-dessus de l'évier, dans la cuisine, une fenêtre donne sur l'extérieur, de là, on peut voir la petite cour de notre maison et la rue.
Ici, la route n’est pas éclairée. Le candélabre le plus proche est à cinq cents mètres. Je n’aime pas l’hiver. Les ombres sinistres et menaçantes des arbres nus qui se projettent dans la maison me font peur. Je n’aime pas l'être non plus, la joie et l’alegresse sont étouffantes. Il fais si beau et si chaud qu’on se croirerai mort au paradis. Et les gens sont faussement adouci par des rayons de lumière.
Je fais la vaisselle du bol rapidement et me lance dans la préparation d’un repas. Rien de très glorieux mais au moins c'est fait. Mon père se réveille, sûrement les narines chatouillées par l’odeur de nourriture.
Dans un silence de prière, on s’installe à la petite table à manger et on déguste. Non pas qu’on n’ait rien à se dire mais justement qu’on en à trop. Je ne sais plus depuis quand j’ai arrêté de lui parler vraiment. Je m'arrête de manger un instant et je le regarde.
Mon père est un homme triste. Il mange comme s’il y était forcé. Peut-être inconsciemment, il prend de toutes petites fourchettées. Aucune saveur ne semble l’adoucir. Sa face est comme crispée et détendue à la fois. Les rides et autres ridules qui jalonnent son visage témoignent du temps qu’il a déjà vécu. J’espère qu’il lui en reste au moins autant que celui qu’il a déjà passé ici bas.
Quand nous finissons, je débarrasse la table. Mon père me remercie. Je monte dans ma chambre et me jette sur le matelas.
Je veux faire quelque chose, je veux avoir quelque chose, je veux un résultat, quelque chose à tenir entre mes mains. Le toucher, le sentir, savoir que je l’ai fabriqué de toute part. Je veux faire quelque chose, mais quoi ? Je n’en ai pas la moindre idée. J’attrape mon téléphone et surf sur les réseaux. Pendant peut-être deux heures je m’abreuve d’idioties qui me polluent le cerveau. Mais bon… On ne va pas se mentir, la pollution intellectuelle c‘est comme la pollution environnementale, tout le monde le sait que c’est mauvais, mais tout le monde s’en fout tant qu’on peut continuer à vivre dans son petit confort de sa petite vie bien rangée.
Je réfléchis. Est-ce que ma vie à quelque chose d’une petite vie bien rangée ? Je ne crois pas… Avec tous les problèmes que je cause à mon père… Toutes les sales histoires dans lesquelles je me suis fourré. Je soupire. Mais qu’est-ce que je fais… Franchement, à part perdre mon temps, faire défiler les années que je perds à jamais sans jamais en profiter, je ne fais pas grand chose. Quand est-ce que je vais vivre ma vie ? Quand est-ce que j'arrêterai de gâcher mon temps ? Est-ce qu’un jour je serai acteur de ma propre existence ? Ou suis-je à jamais condamné à en être simple spectateur ?
Je soupire de nouveau. Est-ce qu’un jour quelqu’un percera le secret de l'intérêt de la vie, si tant est qu’elle en a un ?
Je sourie bêtement, je glousse. Je me pose beaucoup trop de questions pour un pauvre gars de dix-sept ans.
Je laisse mon portable glisser sur le sol comme je m’étale de tout mon long sur le lit.
Alors que j'émerge du néant, les oiseaux sont absents. Le début d’hiver se fait ressentir. Le vent claque contre les murs. Le vieux bois craque de partout.
Je me lève, le corps raidie par la fraîcheur du matin. Enfin matin… il doit être midi. Je descends, le bois de la maison semble aussi raide et fatigué que moi.
La maison est grise. La rue est grise, les voitures sont grises. Le ciel est gris.
Je déteste l’hiver qui reflète si bien mon esprit. Monotone, monochrome, triste.
L’oiseau gris qui se tient plus loin semble perdu dans l’immensité de la couleur. Comme je le comprends… j'aimerais un rayon de soleil dans ce gris, aussi petit soit-il.
J’ouvre le frigo, attrape le bidon de lait et boit à même le goulot.
Une fois rassasié, je m'assois sur une chaise. C'est là que je remarque un petit papier en évidence sur la table. Intrigué je m’approche. Il y est écrit :
Je suis parti au travail, peux-tu aller acheter ce qu’il y a sur la liste ?
Papa
Je t’aime, bonne journée
* Lait
* Oeufs
* Papier toilette
* Conserve (ce que tu veux)
Je te laisse vingt dollars en plus pour que tu achètes ce que tu veux
Je suis assez surpris. Il ne devait pas travailler aujourd'hui. J'attrape les billets sur la table. Je sais qu'on n’est pas aisé, pourquoi m’a-t-il laissé de l'argent ? Je ne devrais pas l’utiliser. Je m’apprête à remettre l’argent sur la table puis me vient une pensée volatile : il sera vexé, un merci le réjouira.
Soupirant j’enfonce l’argent dans ma poche.
En enfilant mes chaussures, j’attrape les clés de la maison et j’entoure mon écharpe autour de mon cou. Je sors, je ferme. Je me noie dans la touffeur de la laine. Le froid mordant me percute. Il me glace les mains. Mes jointures rougissent en un rien de temps. Je sens la fraîcheur remonter de mes pieds jusqu’à venir se loger dans mes genoux.
Le route me semble longue même si elle n’a sûrement pas excédée un quart d’heure.
Le centre ville n’est pas aussi joli que la mairie l’aurait voulu. Cependant, s’il y a une chose qu’ils ont réussi, c'est fleurir la ville. On peut voir les squelettes des arbres, arbustes et petites plantes qui fleuriront au printemps.
J’entre dans une supérette, la cloche sonne, signalant ma présence au vieux vendeur qui semble surpris d’avoir un client.
Sur les étagères sont disposées toutes les denrées convoitables. Je me sers et je pose le tout sur la caisse du vendeur. Il regarde mes articles, me regarde, puis soupire : “un sac ?... 50 cents…”
Je hoche la tête, dépité. Il scanne et range les articles avec une lenteur inimaginable. Il met tellement de temps que j’ai pu calculer les montant exact à débourser avant même qu’il ait terminé. Je lui tend un billet avant même qu’il m’annonce le total et je file hors de la supérette. Habituellement c’est mon père qui vient, je ne sais pas comment il supporte une telle lenteur.
Le sac porté à bout de bras, je déambule dans la ville. Je réfléchis à ce que je vais m'acheter avec l’argent de mon père. Comme je n’ai rien d’autre à faire, je rentre déposer les courses. Là, je m’avachis sur le canapé. Je regarde le vide. Je regarde le plafond… puis la télévision, éteinte… Je m'ennuie ferme. Je pensais qu'avoir quelques jours sans école serait amusant… mais je n’ai rien à faire. Ça me fait penser au lycée. Je sais bien où je vais aller ; Sunnyside High.
Ce que je voulais éviter. Je soupire. je ne connais personne là-bas.
C’est comme un nouveau départ me diriez-vous. Certes, seulement je déteste le changement.
Je sors dans le jardin, juste pour respirer l’air frais. Je regarde le petit bout de terre qui nous appartient, il est mal entretenu et dénué de charme.
Le corps frissonnant, je retourne dans la maison. J'attrape mon téléphone que j’avais laissé là et j'ouvre le moteur de recherche. Le curseur clignote, m’intimant d’entrer mon interrogation.
Dédaigneux et inattentif à mon orthographe, je lui demande : que faire quand je m'ennuie? Ce à quoi il me répond, en gros, sans hésitation : LES LOISIRS CRÉATIFS.
Je glousse, m'imaginant faire du scrap booking ou une connerie du genre. Je laisse mon corps s’étaler sur le canapé.
L’ennui est le carburant de grands changements. Les grandes idées naissent souvent de l’ennui.
Je ne sais pas quoi faire. C’est horrible cette sensation de vouloir, de nécessiter une occupation, mais quoi ? Là est tout le problème. Je n’en ai pas la moindre idée.
Le plafond est légèrement déformé, sûrement dû à l'âge de la maisonnette… Et à sa médiocre qualité. De ce que j’en vois, l’eau à coulée dans le salon à une époque. Le lustre était plus à gauche fut un temps. Les toiles d’araignées ont été désertées depuis un moment aussi…
C’est le néant. Même mes pensées semblent tourner en rond. Ne plus savoir quoi ou comment penser c’est comme être spectateur d’une illusion qui ne nous appartient pas.
Peut-être que le scrap booking n’était pas une si mauvaise idée finalement…
Dans un élan de je ne sais quelle énergie, je me lève et me retrouve de nouveau dans la rue.
Sans trop réfléchir je me dirige vers le centre. Je regarde les vitrines, une à une. Puis là, à ce coin de rue, illuminé par le soleil qui semble emprunté la rue adjacente, une toute petite boutique.
Mon cœur s’envole, côtoyant les nuages et les rayons crépusculaires. La façade, pourtant pas très jolie parait immarcescible. Le bleu clair ancré dans l’éternité, délavé mais pas perdu pour autant.
Comme tombé amoureux de sa poésie, j’entre dans la boutique.
Là, je trouve l’intérieur vide. Seuls les étagères pour m'accueillir. Intrigué par la hauteur des armoires, j’essaie de deviner la hauteur sous plafond qui me semble faramineuse. On aurait dit ces vieilles bibliothèques, très hautes et étroites qui nécessitent une échelle pour attendre les derniers livres qui caressaient le ciel.
Tout en haut, la lumière fuit le ciel pour s’engouffrer dans la pièce. C’est comme un puits de lumière descendue tout droit du paradis, si tant est qu’il existe.
Il y a là tout plein de loisirs disponibles. Couture, tricot, crochet, dessin, écriture, sculpture et j’en passe.
“Vous cherchez quelque chose ?”
Je sursaute, manquant de peu la syncope. Me sentant quelque peu déstabilisé et agressé, je rugis presque :
“Non !”
Le vieil homme se retourne pour aller prendre place derrière son comptoir. Quelque peu énervé et ne comprenant pas ma honte, je sors en soufflant un “Bonne journée”.
Il m'aurait presque fait peur le vieux !
Je sais qu’il y a un petit étang un peu plus loin, près de la forêt qui longe le lycée de Sunnyside High, j’y allais avant avec ma mère… J'étais très jeune à cette époque. Je marche en longeant les maisons, comme si la chaleur et le bonheur qui en émanent pouvait réchauffer mon corps.
Arrivé là-bas, je m'assois sur un banc. D’ici, j'entends les rires qui proviennent du lycée.
Je soupire, laissant ma tête pendre en arrière. Mes yeux sont rivés sur les nuages menaçants qui peuplent le ciel. D’en bas, tout paraît sombre. Tout est si gris et fade. Simplement parce que les nuages l’ont décidé : la lumière ne parviendra pas jusqu'à nous.
J’aimerais voir un jour comment c’est au dessus. Là où la tristesse et la peur n’ont plus d’importance. Seul ton souffle te suffit car la beauté des lieux est rassasie de toutes envies.
Et je reste là un moment, à me demander ce qu’il se passe là-haut.
Quand je me décide à rentrer, il est au environ de seize heures. Mon père ne devrait pas tarder à rentrer du travail, sauf si son chef le retient. Sur le chemin du retour, je passe devant la petite boutique bleue. Pendant un instant je me tâte à y retourner… Peut-être qu’avoir un passe temps canalisera ma colère envers le monde.
Je prends donc mon courage à deux mains pour entrer malgré mon humiliation de plus tôt. Le vieux monsieur ne semble pas surpris de me revoir, comme s’il savait que je reviendrais.
Je me faufile dans le rayon le plus proche : le dessin. Ça aurait pu m'intéresser si mon niveau dépassait celui des bonhomme bâtons… Je serpente les allées, peu nombreuses bien que très hautes. Je soupire. Merci Google, “les loisirs créatifs”, plus vague tu meurs. Ce serait vraiment interpellant si je repartais encore une fois de ce magasin sans rien. Il faut que je trouve quelque chose.
Je pourrais faire du tricot et vendre ce que je fais, monter un business et devenir riche ! Un rictus naît sur mon visage. Lorsque j’arrive dans le rayon, je me rends compte de l’immensité de mon ignorance à ce sujet. L'idée de devoir dompter ces deux aiguilles et y faire des tours avec la laine… je ne sais même pas comment on commence un rang de mailles. A côté de ça le crochet semble bien plus facile ! Un outil et le tour est joué.
Je me décide alors à prendre un kit débutant avec tout ce qu’il faut : crochet, laine, patron. Fière de ma manigance, j'arrive en caisse, comme un triomphe de la frousse que le vieux m’avait fichu plus tôt.
Le vieux me fait payer et je sors, mes outils dans un sac. Je ne sais plus très bien quand était la dernière fois que j’ai souris comme ça. Comme un gamin. J’enfile mon casque, attristé par cette pensée. Me voilà noyé dans ma drogue : la musique. Je me laisse emporter loin de la réalité. En tout cas de celle que je vis.
J ‘ai attendu mon père tout le reste de l’après-midi, et lorsqu’il arrive il m’annonce que je reprendrai les cours dès demain… Et moi qui me voyait déjà faire n’importe quoi pour au moins une semaine.
Je frissonne à l’idée de retourner dans cet endroit. Je le connais, je connais sa fourberie.
J'étouffe.
Mon père prépare à manger, j’en profite pour me réfugier dans ma chambre. Je m’assois au sol près de mon matelas. Je sens une goutte tomber sur ma main, mon premier réflexe est de regarder au plafond. Cependant je comprends que suis l’origine de cette goutte.
Je me surprends à pleurer. Mon corps exprime-t-il enfin son malheur ?
Je suis terrifié, que faire quand on est trahi par notre enveloppe ?
Je suis à l'origine de tout ce qui émane de moi. Qu’y a t’il de si compliqué à comprendre ? La culpabilité que je ressens à chaque instant, à chaque action ou parole, elle ne vient que de moi. Et qu’y a-t-il de plus personnel que ce sentiment après tout ? Rien de ce qu’on me dit je ne pourrais le contrôler. Rien de ce qu’on me fait non plus. En réalité, le contrôle est bien plus rare et abstrait que ce qu'on croit. Rien du système qui m’entoure n'obéit à mes règles, et c’est ça qui m’effraie.
Je comprends soudain ce qui m’arrive : ce n’est pas la colère qui me submerge, non, elle découle seulement de l'immense peur qui me ronge.
Je redescends quand le repas est prêt. Comme une décision commune non énoncée, nous mangeons dans le silence. Je regarde mon père. Le constat que j’en fais : c’est un Homme.
L'être humain est extraordinaire dans sa capacité à créer puis détruire ce qui lui permet de vivre. Je crois que c’est ce que mon père fait. Il s’autodétruit. Il utilise sa capacité à créer des fantasme pour ensuite se détruire quand il prend conscience qu’elle ne reviendra pas. Je suis pris d’une envie irrépressible de pleurer. Mais je ne le fais pas. Je ne m'offre pas cette libération.
Aujourd'hui, je pleure. Demain, j'en rirai. Plus tard, je regretterai.
Dans quelques heures, je retournerai en cours. Cette pensée assombrie tout mon horizon. Le seul point positif aurait été de voir mes amis, seulement voilà, je n’en ai pas.
Je pense à toutes ces personnes qui ont tellement plus dans leur vie que la peur d’aller à l'école. La guerre, la faim, la violence, les drogues… Et me voila tout fanfaronnant : l'école. C’est stupide mais réel, minime mais tanigble.
C’est comme me retrouver face à un gigantesque mur qui assombrit tout ce qui pourrait être éclairé, me narguant de sa hauteur.
Demain la vraie vie commence, je n’ai plus le droit à l’erreur. Et qu’importe les secrets et les peurs que je devrai dissimuler à nouveau, je n’ai pas le droit à l’erreur.
Papa n’y survivrait pas.