Tapi dans les nuages, dans le creux d'une montagne inaccessible, se trouvaient les ruines d'un mystérieux château qui fut jadis la demeure d'un puissant archimage du nom de Zaodja. Il y coulait une source d'eau surnaturelle qui serpentait le long du plateau, servant aux besoins des hommes et également le déplacement des charges trop lourdes. La lune parvenait aisément à éclairer les vestiges d'un temps passé, ces rayons se reflétaient dans la rivière éternelle, offrant une luminosité amplifiée, ce qui permettait aux rares serviteurs de se mouvoir dans ces décombres. La silhouette d'une personne courbée, marchant avec difficulté, semblait entamer un balai va-et-vient. La vieille intendante vêtue de guenilles dépareillées de couleurs sombres, une femme aux cheveux d'un blanc gris, ayant des yeux enfoncés dans leurs orbites se dirigea vers la chambre du maître, en prenant bien soin de pousser les décombres jonchés au sol, du bout de sa canne en bois de ronce. Elle ouvrit la porte et constata que Gorki, le scribe au nez démesurément long, aux oreilles en forme de feuilles de choux, un gnome rondouillard à la peau sombre, portant une salopette mono bretelle d'un bleu turquin et une chemise blanche délavée, était assis sur l'unique chaise de la pièce. Il contemplait le paysage par la fenêtre, de ses minuscules yeux délavés par les nombreux siècles de servitude. Elle rentra de son pas claudiquant, déposa sa canne sur le bord du lit et observa l'archimage endormi. Un homme grand, gracile, les cheveux longs de couleur noir de jais, parfaitement peignés, un visage que le temps semble avoir épargné, habillé simplement d'une tunique blanche à manches courtes ornée de motifs runiques. Il s'était plongé dans un état second, qui lui permettait de maintenir ces fonctions vitales et de recharger son flux de mana qu'il avait épuisé lors de son dernier combat, il y a 21 ans. L'intendante venait tous les jours faire sa toilette, le rasait quand c'était nécessaire et surveillait son état général. Elle prit enfin la parole :
- Gorki, a-t-il montré de quelconque signe de son réveil?
- Je sens qu'il se passe quelque chose, le mana qui circule dans son corps n'est plus en harmonie. Cela peut vouloir dire que son réveil est proche ou une nouvelle prophétie, qui nous sera révélée.
- Je descends chercher le seau d'eau, la bassine et son linge propre. Veux-tu bien lui ôter sa tunique pour aider une vieille dame dans sa pénible tâche ? Lui demanda Lily en esquissant un léger sourire.
- Profites-en pour me rapporter mon nécessaire d'écriture et un parchemin vierge, vieille dame, sait on jamais ! Lui retournant son petit sourire.
La régisseuse reprit sa canne et parti de son pas boitillant, refermant délicatement la porte. Gorki fut tiré de ces pensées, à l'extérieur les nuages c'étaient assombris, tournoyant en spirale créant un vortex zébré d'éclairs sans émettre aucun bruit, aucune déflagration. Le scribe senti son corps se contracter, ses poils de son corps se dresser, l'afflux de mana qui était à l'œuvre en devenait palpable. Toute cette magie plongea d'un coup, passant respectivement par la plus haute tour, s'insinua à travers le sol, descendit sans être arrêté par l'escalier en colimaçon, traversant de nouveau un plancher pour finir dans la chambre où se trouvait Gorki. Elle entra en résonnance avec le flux de mana de l'archimage, l'énergie fut totalement absorbée par sa chair. Le serviteur se précipita, mais une onde de choc expulsée du corps de Zaodja le sécha en pleine course. Il alla s'écraser contre le mur avec une telle violence qu'il perdit connaissance instantanément.
À son réveil, le vieux Gorki, essaya de s'asseoir en prenant conscience qu'une ou plusieurs côtes étaient fêlées. La position assise, dos contre le mur lui atténuait sa souffrance. Son maître debout face à lui, lévitait à quelques centimètres du sol, semblait indifférent de l'état de son valet. Ses yeux opaques, figés de tout mouvement oculaire, le fixaient. Quand soudain, ses lèvres remuèrent, nul son en sortit, mais le scribe compris qu'il lançait un sort. Trois petits orbes de lumière s'élèvent au-dessus du mage, deux partirent vers les accès extérieurs de la chambre, la troisième virevolta proche d'une cloison, se posa délicatement et fut absorbée lentement. La porte se verrouilla toute seule, suivi de la fenêtre qui émit un clic. La voix de l'archimage fut tellement puissante que Gorki tressaillit.
Maintenant, les SEPT sont là !
À leur éveil, l'ombre se dissipera!
De leurs unions, le monde dépendra!
- Le premier, vivant avec les ombres, il fauchera !
- Le deuxième, dans son océan de larmes, le salut, il trouvera !
- Le troisième, dans son miroir, le reflet du quatrième apparaîtra !
- Le cinquième, de son amie fidèle, le jugement se fera!
- Le sixième, de ces ténèbres, l'ennemi fuira !
- Quant au septième, de ces formes, il les réunira !
Prenez garde, ces serviteurs agissent déjà !
La reine, ne veut qu'une seule chose, son retour ici-bas !
Lily arriva devant la porte, le bras chargé d'un seau d'eau à moitié rempli, une petite bassine avec poignets et une nouvelle tunique pour son maître. Elle avait également mis en bandoulière le nécessaire du scribe, dans lequel elle avait glissé un parchemin vierge. L'intendante tapota du bout de sa canne pour signifier à Gorki qu'elle voulait rentrer. Un bruit sourd et un clac fut sa seule réponse. La vieille dame laissa tomber son chargement et mit la main sur la clenche. Une sensation désagréable lui fit lâcher la poignée. Elle réitéra son action, mais rien ne se passa, la porte s'ouvrit devant une bien curieuse vision. L'archimage par terre, comme une poupée de chiffon qu'on aurait jetée là sans ménagement et son serviteur, le dos collé au mur qui reprenait difficilement son souffle.
- Pauvre fou, qu'as tu fait au maître ? Je t'ai simplement demandé de lui ôter sa tunique afin d'alléger mon fardeau, beuglât l'intendante.
- Vieille folle, lui lança-t-il, vient plutôt m'aider à me mettre debout qu'on puisse remettre notre seigneur dans son lit.
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Une fois la chose faite, il lui expliqua ce qui venait de se produire, n'omettant aucun détail. Gorki réclama son nécessaire pour retranscrire la prophétie, puis il fit fondre un peu de cire rouge et imposa une rune qui scellât le tout. Ils quittèrent la chambre, Lily alla remplir un nouveau seau d'eau pour faire la toilette de leur maître, Gorki, lui, se dirigea vers la bibliothèque qui se trouvait dans une autre aile du château.
Une autre présence, qui avait assisté à toute la scène se décida enfin à passer à l'action. Une salamandre tachetée blanche et noir, aux yeux vairons sortis de sa cachette, un creux entre deux pierres dont le joint avait depuis longtemps disparu. Le batracien lézarda sur la paroi verticale à la recherche d'un endroit précis, qu'il trouva à la jointure du mur et d'une poutre rongée par les termites. Il se faufila dans le trou, la tête en première, se glissant entre la pierre et le bois sans être freiné dans son élan. Il lui fallut puiser de son agilité, sa persévérance pour se retrouver à l'air libre. La salamandre avait une vue d'ensemble de ce qui restait de l'immense cour intérieure. Il lui fallut plusieurs minutes pour descendre sans se faire repérer, parfois accélérant son allure, changeant constamment de direction, stoppant aux moindres bruits suspects. Arrivant sur la terre ferme, elle se cacha derrière un bloc de granit rose terme, certainement une tombe d'un être aimé, car devant la stèle, était posé un vase de fleurs fraîches.
L'amphibien se mit debout sur ces pattes arrière, écarta les pattes de devant pour qu'elles soient perpendiculaires au sol. La forme de ses membres antérieurs changea, un des cinq doigts se rétracta au point de disparaître complètement sur chacune de ces pattes arrières, un des quatre doigts restant se plaça à l'arrière, au bout de chaque phalange naquis des serres aiguisées. Ses talons émirent un craquement d'os quand leur sens s'inversa. La chair vint se coller aux articulations en fine couche, laissant apparaître un léger duvet. Ce qui restait de la queue de la salamandre s'étira, les cartilages reprenaient leur place, des plumes commençaient à percer la peau. La partie ventrale de cet être hybride se gonfla, l'intérieur semblait s'animer, l'abdomen se déforma, émit des sons de restructuration interne. L'opération continua également sur les membres supérieurs, ils s'allongèrent démesurément oblitérant la quasi-totalité des doigts restants. Une sorte de toile en épiderme vint former un triangle de la pointe du membre jusqu'aux côtes de cet étrange animal, de géantes plumes d'un noir anthracite vinrent recouvrir toute la surface. La transformation était sur le point de s'achever, la colonne vertébrale fit grandir son cou de plusieurs centimètres. Le crâne fut le dernier à subir des modifications, la gueule s'allongea et se solidifia, formant un bec puissant, plumes et duvets se mirent en place. Le corbeau fraîchement transformé fit bouger lentement ces ailes, l'une après l'autre, sautilla sur place, remua sa queue tout ébouriffée. Cette nouvelle métamorphose avait vidé notre corvidé de sa force vitale, il devait fuir, être le plus discret possible, dans cet état, il ne pourrait ni attaquer, ni se défendre. L'oiseau fit quelques pas hésitant, accéléra son allure et pris son envol, effectuant un premier cercle pour recalibrer cette forme. Le second cercle lui permit de prendre de la hauteur, avec sa vision accrue, il scruta l'horizon, pour se faire un schéma mental des environs et sonda les courant d'air. La voie était libre, le troisième cercle serait son dernier dans ces lieux, il plana jusqu'au couloir invisible, les courants lui permettront de minimiser sa perte d'énergie vitale.
Le corbeau, maintenant, survolait la cour extérieure, là ou jadis, se trouvait une écurie, une basse-cour, ou les statues trônait fièrement. La fontaine centrale, depuis longtemps tarie recouverte de lierre et autres plantes grimpantes, était le seul vestige encore debout. Un mouvement rapide, suivi d'un reflet capta son attention. Le corvidé changea brutalement de direction sans émettre le moindre bruit, il prit de la hauteur, cherchant un perchoir dans une partie ombragée du domaine. Il trouva refuge dans un hêtre centenaire, hors d'atteinte pour un humain, bien camouflé par un feuillage fourni. La dénommée Lily, marchait énergiquement, étonnamment droite pour une personne de son âge et sans sa précieuse canne en bois de ronce. L'intendante s'arrêta, se mit à faire de grands signaux pour héler une personne hors champ. Le corbeau sautilla légèrement de branche en branche, en faisant le moins de vent possible, pour ne pas être repéré, il fit la mise en point de ses nouveaux yeux et vit enfin la seconde personne, Gorki, à plus de cent pas. Le serviteur essayait de trouver la bonne clé sur un trousseau fort fourni, lui permettant d'ouvrir la bibliothèque. Il pestait, mettant les clés dans la serrure, une a une. En levant de nouveau les yeux au ciel, il aperçut la régisseuse qui lui faisait de grand signe. Connaissant l'âge très avancé de celle-là, il en déduisit qu'elle était en grand danger. Lâchant son trousseau, il courut aussi vite que ses vieilles et frêles jambes lui permettaient. Le gnome arriva au moment même où Lily tomba à genoux, son corps faisait naître déjà ces premières gouttes de sueur, il avait le souffle court, impossible pour lui de prononcer un seul mot. Le domestique souffla longuement, luttant pour respirer convenablement, il réussit finalement à ouvrir la bouche et à demander :
- Lily, qu'est-ce qu'il se ...
Gorki n'eut pas le temps de finir sa phrase. La vieille dame, lui enfonça une dague dans la gorge, la retirant, ce qui fit gicler du sang marron de la plaie et quelque gargouillis, elle lui perfora le cœur la seconde d'après et finit par sectionner, dans un mouvement fluide, sa colonne vertébrale, à la base de sa nuque, lors de sa chute à terre. L'intendante essuya sa lame sur les fripes du serviteur mort et rengaina son arme dans un étui caché à la ceinture. La régisseuse fouilla dans les poches du défunt pour trouver le parchemin scellé. Elle se remit rapidement debout avec une certaine souplesse, s'étira le cou, détendit ses épaules en les faisant craquer. Un grésillement capta l'attention de la meurtrière, une ombre se matérialisa derrière une statue d'un mage, couvert de mousse et décapité par le temps et les intempéries.
- Parle ! Dit une voix sourde qui ne correspondait plus à celle de Lily.
- J'ai accompli la mission que vous m'avez demandée Maître, la cible était en train de puiser de l'eau au puit, je lui ai brisé la nuque et jeté son corps.
- As-tu été repéré ? Dit-elle sur un ton autoritaire.
- Non Maître.
- Rentre et questionne le nain, s'il refuse, trouve son point faible, il y en a toujours un !
- Il sera fait selon vos désirs Maître.
- Et trouve moi un sage capable de briser un sceau runique !
- Bien Maître. Il sera fait selon vos désirs. S'inclinant le plus bas possible.
Le corbeau, après avoir assisté à cet effroyable meurtre de sang-froid, décida d'attendre tapi dans les faînes et le feuillage vert du hêtre. Il était sur le qui-vive, chaque bruit qu'il percevait, pouvait lui signifier un danger imminent. L'oiseau sorti de sa cachette une heure après le départ de l'être, qui c'était fait passer pour l'intendante et de son acolyte. Il prit rapidement de la hauteur, battit ces ailes anthracite frénétiquement, créant un maximum de distance entre lui et le sol. Le terrain sous lui était jonché de morceaux de statue recouverts de lierre à feuilles blanc et vert, de mousse aux différentes couleurs, les vestiges d'une tente en toile, or et rouge virevoltant au grès du vent, des gravats mis à l'écart du sentier principal pour faciliter l'accès aux serviteurs présent sur place. L'oiseau dépassa ce qui avait été jadis un pont-levis entouré par deux énormes piliers en pierre. Il aperçut l'orée d'un bosquet, son salut était proche. Il zigzagua entre les branches et les troncs d'arbre, lui permettant d'esquiver toute sorte de projectile, en prenant bien soin de jamais reproduire le même schéma, de changer de rythme, il perdait du temps et de l'énergie à faire cela, mais il ne pouvait sans résoudre. Le corbeau dépassa les derniers arbres, il capta un premier courant d'air chaud pour gagner en altitude, un second puis un troisième qu'il le fit planer au-dessus de la couronne montagneuse. Un ultime regard en arrière, scrutant l'horizon, personne ne l'avait suivi, pas même aperçu, il écarta ces ailes le plus possible, plana quelques secondes et piqua en fondant droit vers les nuages. Le corbeau puisa dans ces dernières forces afin de se rendre dans son île, son refuge. Exténué, n'ayant plus aucune once de mana en lui, luttant depuis des heures, son corps lui réclamait du repos. Enfin, Lyk était chez lui, le sommeil ne lui laissa aucune chance, il s'endormir à même le sol.