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[FR] Route vers la Force Cosmique
Prologue and Chapter 1

Prologue and Chapter 1

Prologue

12 juin 2134, Territoire Neutre

« Et celui-là, qui c’est ? » demanda Albert pour la énième fois depuis le début de la journée, une photographie à la main. Il se tenait debout devant une table délabrée, couverte de photographies d’individus en tous genres. La lumière tamisée était à peine suffisante pour qu’il puisse se faire une idée des clichés qu’il examinait.

« Maïr Yaruba, chef. Dernier survivant de son ethnie. Tous ses relatifs ont été exterminés par Hypérion il y a presque un an aujourd’hui, pour des raisons qui demeurent obscures. » répondit Xi Yun, une jeune femme asiatique à la silhouette athlétique assise en face de lui, les pieds sur la table.

Albert haussa un sourcil, le regard inquisiteur. « On fait dans la charité maintenant ? »

« La charité ? Il est bien vrai que ça ne te ferait pas de mal. » lui répondit-elle. « Plusieurs sources m’ont indiqué que, depuis six mois, il court-circuite les transports de matières premières des Millians. Apparemment, il en compterait déjà six à son actif, et l’ennemi aurait mis plusieurs dispositifs en place pour l’appréhender. »

« Six cargaisons sans aide extérieure ? Intéressant. » Albert réexamina la photographie qu’il tenait dans une main, se caressant le menton d’une autre. « Maïr Yaruba, hein ? » la photographie dépeignait un jeune homme noir, élancé, d’une vingtaine d’années. Il avait des traits ordinaires, rien qui le faisait sortir du lot, en dehors d’une mâchoire saillante.  Ce qui frappa Albert, c’était l’expression de son visage. Un cocktail de naïveté et de bienveillance.

« Es-tu sûre qu’il s’agit bien de lui sur la photo ? »

« Affirmatif ! Bien qu’elle remonte à deux ans, mes informateurs sont fiables à 100%. »

Il arrivait souvent que Xi s’exprime comme les militaires d’antan, lorsqu’elle s’adressait à lui. Encore aujourd’hui, il était incapable de déterminer si elle était sérieuse ou si elle se moquait tout simplement de lui, quoique la lueur taquine qu’il apercevait parfois dans son regard lui en donnait une petite idée.

« Bien, celui-là m’intéresse. Fais-moi un topo de ce que tu sais sur lui. »

« Reçu cinq sur cinq. »

… Aucun doute. Elle se moquait bien de lui.

                                                                                                                          ¶       

9 octobre 2134, Territoire d’Hypérion

« J’ai un visuel. Franco, tu confirmes ? »

« C’est bien lui, même s’il m’a l’air d’avoir mangé de la bouffe de Titan depuis sa dernière séance photo. » répondit un homme caucasien à la moue cynique, observant la rue à travers le viseur d’un fusil de précision.

« Bien. Ne le perdez pas de vue, il m’a l’air de préparer quelque chose. Xi Yun, tiens-toi prête à intervenir. »

Albert posa sa paire de jumelles sur le rebord d’une fenêtre. Cela faisait plusieurs jours que son équipe et lui cherchaient l’individu, et après de nombreuses heures à faire le guet, ils l’apercevaient enfin. Franco avait vu juste. Entre la photographie qu’il avait vue quatre mois plus tôt et le jeune homme qui marchait à présent dans la rue, c’est comme s’il s’était passé une éternité. La naïveté et la bienveillance avaient laissé place à d’autres expressions, moins angéliques. Sur le visage de Maïr, Albert pouvait désormais entrapercevoir ce qui s’apparentait à de la haine. De la haine, et… Quoi d’autre ? Était-ce du désespoir ? De la culpabilité ? Le jeune homme semblait tourmenté, et Albert n’avait pas besoin de connaître tous les détails de ce par quoi il était passé pour comprendre que cela lui avait laissé plus d’un traumatisme.

Maïr arrivait au bout de la rue, et ils allaient bientôt perdre sa trace.

« On est sur le point de le perdre. Changement d’emplacement. » ordonna-t-il à son équipe. Ils se trouvaient dans l’appartement d’un immeuble abandonné, dont les murs avaient été fracassés par la guerre, comme l’était la plupart du quartier dans lequel ils étaient situés.

Kéfil, un géant africain d’une quarantaine d’années vêtu d’un cuir sombre, regardait toujours en direction de la rue par le biais de ses jumelles. Il fronça les sourcils.

« Il se dirige vers le terrain d’Hypérion, ça sent mauvais les gars. »

« Hypérion ? » demanda Albert, n’en croyant pas ses oreilles. Petit à petit, il commença à faire le rapprochement. « Le Hypérion ? »

« Lui-même. » répondit Xi Yun, qui guettait elle aussi la rue à travers la fenêtre. « Hypérion, premier Titan à avoir posé le pied sur Terre, il y a plus d’un siècle. L’un des quelques Titans de Rang Cosmique, si l’on se réfère à leur système hiérarchique. Comme vous le savez tous, Maïr a de quoi avoir une dent contre Hypérion. Mais de là à se rendre sur son territoire… Je ne comprends pas ce qu’il compte y faire. Une idée ? » Xi Yun avait passé les dix dernières années de sa vie à étudier les Titans, leur mode de vie et leurs codes. A une époque où les sources d’information étaient systématiquement détruites par ces derniers, ses connaissances valaient de l’or.

Hypérion.

Albert n’en revenait pas. Il avait envisagé beaucoup de scénarios, mais celui-ci, il ne l’avait clairement pas vu venir.

Qui serait assez idiot pour délibérément se rendre sur le territoire du Titan le plus puissant ayant foulé la Terre ?

« Il en a une bonne paire le petit ! S’attaquer à la résidence du Titan suprême seul, armé de ses deux poings et d’un visage hargneux. J’suis d’avis qu’on tient notre sauveur là, vous n’pensez pas ? » intervint Franco. « Qui sait, il va peut-être réussir à se le faire cet Hypérion. Imaginez les gros titres sur les transmetteurs laser : Les envahisseurs, qui n’avaient fait qu’une bouchée de nos puissances mondiales, déroutés par un jeune—dernier survivant de son ethnie, rien que ça ! —armé de ses deux poings ! Je sign— »

« La ferme, Franco. » l’interrompit Albert. « Il faut faire vite. S’il prévoit vraiment d’agir contre Hypérion, c’est qu’il a du cran. Ou qu’il est totalement demeuré, on le saura bientôt. Kéfil, tu connais bien les lieux, on te suit. »

Le concerné hocha la tête, le visage grave. Il avait en effet passé son enfance dans le secteur, mais chaque fois qu’Albert avait tenté d’en savoir davantage, Kéfil avait coupé court à la conversation. En réalité, Albert ne s’était jamais montré trop insistant ; s’il y avait bien une personne qui n’était pas disposée à s’exprimer sur son passé, c’était bien lui. Kéfil et lui-même en avaient tous les deux conscience, et les choses leur convenaient telles qu’elles étaient.

Ils finirent de remballer leurs quelques possessions et quittèrent le logement délabré par un escalier auquel il manquait plusieurs marches. Albert les descendit machinalement, perdu dans ses pensées.

Ne ferais-je pas mieux d’envisager quelqu’un d’autre à recruter ? Ce gosse est très certainement instable, et au vu de ce qu’il a traversé, personne ne peut le lui reprocher. Il ne nous manque qu’un seul membre pour mener à bien notre projet, mais puis-je vraiment me permettre d’avoir une inconnue dans l’équation ?

Apparemment, il n’était pas le seul que la situation faisait douter.

« Il m’a l’air un brin irréfléchi ton jeune, Albert. » fit remarquer Kéfil, se tournant vers ce dernier et le regardant dans les yeux. « Es-tu certain de prendre la bonne décision ? »

« Hm. » grogna Albert, détournant le regard. « Attendons de le rencontrer avant de nous prononcer. »

Lorsqu’ils arrivèrent dans la rue, il n’y avait plus aucune trace de Maïr.

« Il a bifurqué sur la droite. C’est pas bon ! » s’alarma Xi Yun. « S’il croise ne serait-ce qu’un auxiliaire, c’en est fini de lui. C’en est fini de nous ! »

« Haha je rêve, il va vraiment le faire ? » s’esclaffa Franco.

Albert était songeur. Ce gamin valait-il la peine qu’il prenne le risque de se confronter à Hypérion sans aucune préparation ? Rien n’indiquait que ce dernier était présent sur les lieux, les Titans étant de nature nomade, mais si les choses se passaient mal, c’en était fini de l’Organisation. Toutes ces années passées à construire son équipe, les attaques à petite échelle menées dans le but de semer les graines de la révolte dans l’esprit du peuple… Était-il prêt à risquer tout ceci pour une simple recrue ? Certes, dans ce contexte de domination alien, il était difficile de trouver des âmes rebelles prêtes à agir contre l’ennemi. Mais La solution la plus sensée était de passer à autre chose et de rebrousser chemin. En cherchant bien, il devrait être capable de trouver un autre profil d’ici quelques mois. Ce soir, les cinq sens d’Albert lui criaient, pour une fois, d’opter pour la voie rationnelle.

Malheureusement, c’était sans compter sur le fondement même de l’existence de l’Organisation : Quel individu sensé se dresserait contre une puissance telle que celle des Titans et leurs technologies dévastatrices ? L’Organisation était par essence irrationnelle. En définitive, Maïr était peut-être la personne idéale à recruter.

Il était temps de passer à l’action.

« Franco. Deuxième rue à gauche, » dit-il d’un ton sec. « Monte au dernier étage du bâtiment et sois prêt à faire usage de ton AX-50. Je compte sur toi pour nous couvrir si cela venait à mal tourner. »

« Entendu. » répondit Franco, par-dessus son épaule. A peine Albert avait-il eu terminé sa phrase que Franco était déjà parti. Il avait déjà repéré l’emplacement, réalisa-t-il. Malgré tout son sarcasme, Franco savait rester professionnel lorsqu’il le fallait. Autrement, cela ferait longtemps qu’Albert se serait débarrassé de lui. Il poursuivit.

« Kéfil, la camionnette n’est pas garée très loin, prépare l’artillerie lourde et passe nous chercher discrètement par la rue parallèle. »

The tale has been stolen; if detected on Amazon, report the violation.

« Bien reçu ».

« Xi, avec moi. Il faut qu’on fasse notre possible pour l’arrêter, quitte à l’immobiliser s’il le faut. » Xi Yun acquiesça de la tête, et fonça en direction de Maïr.

« Albert. »

Sur le point d’emboîter le pas à Xi Yun, Albert se tourna vers Kéfil, qui venait de l’interpeller.

« On dirait bien que tu as pris ta décision, finalement. »

« On dirait bien. » lui répondit-il, un sourire irresponsable aux lèvres. Kéfil hocha la tête, ricanant, puis tourna les talons et courut en direction de la camionnette.

Albert prit la direction de Xi Yun. La jeune femme était une gazelle. Si les Jeux Olympiques vieux d’un siècle existaient encore, il ne doutait pas une seconde qu’elle aurait été sacrée championne à plusieurs reprises. Il courut, aussi vite que sa hanche droite le lui permettait, un exercice que cette dernière n’appréciait plus depuis plusieurs années.

A mon âge, je devrais passer mes journées aux caraïbes, à siroter des cocktails entouré de belles femmes. Au lieu de quoi, les caraïbes n’existent plus, et je me retrouve à courir après des suicidaires sur le Territoire d’un monstre qui pourrait tous nous tuer d’un mouvement du poignet. Titans de merde, vous finirez par me le payer.

Il approcha rapidement de la bifurcation, et lorsqu’il s’engagea enfin dans la rue, il manqua percuter Xi Yun, qui s’était arrêtée en plein milieu de la route.

« Mais qu’est-ce que tu f— »

Il s’arrêta net.

A deux pas de lui se tenait Maïr, immobile. En le voyant de plus près, Albert nota que le jeune homme de taille moyenne était plutôt frêle d’épaules. Il n’avait pas la carrure d’un soldat, mais plutôt celle d’un des scribes à la botte des Titans. Au vu des ennemis auxquels ils avaient affaire, Albert était forcé de reconnaître que le petit avait du cran.

Une chose l’étonna, cependant. Ce fut l’état dans lequel il se trouvait.

Maïr était tétanisé, le visage transfiguré.

Est-il sous le coup de l’une de leurs attaques incompréhensibles ?

Non, c’était improbable. En y regardant de plus près, Albert remarqua que Maïr tremblait de la tête aux pieds. Des larmes coulaient de ses yeux écarquillés, regardant en direction du manoir d’Hypérion, qu’on apercevait à quelques centaines de mètres.

« Je... Je n’y arrive pas… » marmonnait-il, d’une voix tremblante teintée d’incompréhension. « Je n’y arrive pas… »

D’un coup, Albert sentit sa pression se relâcher. Il avait compris la situation.

Maïr avait peur.

Il était paralysé par une peur profonde, incontrôlable. 

1.  

10 août 2135, Territoire de Gajel

Il faisait nuit noire lorsque l’équipe parvint devant l’entrée de la résidence de Gajel. Cette dernière était parfaitement entretenue, une vision rare de nos jours. Un énorme château dont les murs avaient été repeints d’un violet sombre, rappelant les couleurs des vaisseaux des Titans, entouré d’un jardin dont la pelouse était visiblement régulièrement tondue et arrosée. Le manoir faisait forte impression lorsque l’on jetait un œil aux alentours, où toutes les autres demeures n’étaient que ruines.

Gajel était l’un des rares Titans demeurant sur Terre. D’ordinaire, ces derniers passaient le clair de leur temps dans l’espace, à conquérir d’autres planètes pour les transformer en colonies, tel qu’ils l’avaient fait sur Terre. Après avoir assis leur domination sur les planètes et étouffé toute résistance dans le sang et la destruction, les Titans passaient le relais à leurs Millians, de puissants êtres artificiels dotés d’intelligence. Ces derniers s’occupaient du maintien de l’ordre des colonies de manière neutre, n’employant la force que si nécessaire.

Déshonoré suite à sa défaite lors d’une Galactica il y a un demi-siècle, Gajel s’était exilé sur Terre et vivait depuis dans l’opulence et la luxure. Parmi les siens, il était considéré comme le barreau situé au plus bas de l’échelle, sur lequel tout le monde pouvait se permettre de marcher. Ici, cependant, il avait tous les pouvoirs. Non content d’avoir contribué à la colonisation de la Terre et au dépouillement de toutes les possessions des êtres humains, Gajel tyrannisait à présent tout le territoire Ouest, raison pour laquelle l’Organisation avait décidé qu’il serait leur première cible. Jusqu’alors, cette dernière s’était contentée, comme Maïr l’avait lui-même fait seul un an plus tôt, de petites attaques sur des transports de cargaison menés par les Millians, de vols de réserves de nourriture et d’armes de guerre. Ils étaient même parvenus à détruire une dizaine de Millians lors d’une attaque au véhicule piégé, action qui leur avait d’ailleurs valu l’antipathie du peuple, qui voyait la gouvernance des Millians comme une faveur, comparée à celle de leurs maîtres Titans.  Désormais, ces petites attaques appartenaient au passé. Celle d’aujourd’hui était d’une toute autre ampleur.

Aujourd’hui, ils allaient tomber un Titan. 

Le plan était parfaitement ficelé, Maïr, tout comme le reste de l’équipe, en était convaincu. Tel qu’Albert l’avait prédit, aucun garde n’était posté devant l’entrée de la résidence de Gajel. Ce dernier était bien trop orgueilleux pour se pourvoir d’une garde sur une planète aussi insignifiante que la Terre. En soi, Maïr imaginait mal comment des êtres humains pourraient fomenter une attaque à l’encontre des Titans. Pas après qu’Hypérion ait fait disparaitre de la surface de la Terre toutes les armes et autres outils pouvant leur servir à combattre. Pas après la violence avec laquelle avaient été réprimées les premières révoltes, qui s’étaient soldées en massacres à sens unique. Bien sûr, c’était sans compter sur les ressources de l’Organisation, et son réseau d’informateurs.

En effet, peu nombreux étaient ceux qui avaient le courage d’ouvertement se lever et défier le règne des Titans. Cependant, l’Organisation bénéficiait d’un nombre incalculable d’observateurs, prêts à les rencarder dès lors qu’ils obtenaient la moindre information susceptible de les intéresser. C’était, à leur façon, une manière de combattre.

Cette attaque, Albert—un homme dur au visage sculpté dans le marbre d’une soixantaine d’années—leader et fondateur de l’Organisation, la planifiait depuis près de trois ans. Durant ces trois années, il avait recruté, un à un, les membres de son équipe. Sa toute première recrue fut Kéfil, une montagne d’environ cent kilos pour un mètre quatre-vingt-quinze, rompue à l’art du combat. Par la suite, il recruta Franco, dont le talent de tireur d’élite était aussi incompréhensible que prodigieux—où avait-il pu apprendre à tirer ainsi, dans ce monde où toutes les armes avaient été confisquées par les Titans ? Ensuite vint Xi Yun, une jeune bibliothèque sur pattes qu’il n’avait, jusqu’à aujourd’hui, jamais réussi à battre à la course. Maïr, lui, était la dernière recrue, et il fut contacté bien après que les premiers préparatifs de cette attaque avaient été mis en place. Au fil de l’organisation, l’équipe s’était rendu compte que le plan ne serait pas réalisable sans la présence d’un cinquième élément, et c’est ainsi qu’ils en étaient venus à s’intéresser à lui.

L’Organisation n’avait pas eu à beaucoup argumenter pour compter Maïr parmi ses rangs. Face à la haine incommensurable qu’il éprouvait à l’égard des Titans, lui donner l’opportunité de faire partie d’une conspiration visant à tuer l’un d’entre eux ne pouvait pas mieux tomber.

Après tout, il leur devait bien ça.  

Lorsque les Titans avaient débarqué sur Terre, ils avaient perpétré massacres sur massacres, rien ne pouvant les arrêter. Les puissances mondiales qui se targuaient à l’époque d’être invincibles étaient toutes tombées les unes après les autres. Leurs armes nucléaires, sans effet sur les armures mystiques des Titans, avaient endommagé la Terre plus qu’elle ne l’était déjà, laissant apparaître une teinte jaunâtre permanente dans l’atmosphère. Les forces humaines avaient été dévastées ; la technologie alien était tout simplement trop avancée, et les Titans, tout simplement trop puissants.

L’équipe marchait silencieusement. Chacun portait un sac sur le dos, contenant les différentes parties de l’arme qui, Maïr l’espérait, leur permettrait de mener à bien leur mission. C’était suite à un heureux hasard qu’ils s’étaient retrouvés en possession de cette arme ; trouvée lors de l’une de leurs attaques de cargaisons particulièrement bien protégée par les Millians.

Cette arme, ils n’avaient aucune idée de ce qu’elle était, ni même jusqu’à dernièrement, de son fonctionnement. En effet, elle n’était pas de conception humaine. La chance les avait menés vers une arme qui pourrait leur permettre d’inverser la tendance. Ce ne fut néanmoins que plusieurs mois après qu’ils l’aient acquise qu’ils finirent par en comprendre le fonctionnement, un jour où Franco, le plus expérimenté de tous en matière d’armes, était parvenu à correctement assembler les pièces de l’engin. Il avait par la même occasion détruit dans sa globalité l’immeuble qui se situait en face de leur refuge, ce qui les avait forcés une fois de plus à déménager.

« Pour la dernière fois, » répéta Albert, à voix basse. « Si l’on s’aperçoit d’une manière ou d’une autre que Gajel porte son armure, on annule tout. C’est un facteur primordial à la réussite de notre plan. Si les choses ne se déroulent pas comme prévu, on prend la fuite, et on réessaie ultérieurement. Entendu ? » Ils marmonnèrent tous leur acquiescement.

Durant les débuts de la Dernière Guerre, les chercheurs avaient remarqué que, malgré qu’ils soient naturellement beaucoup plus puissants que les êtres humains, la différence de puissance d’un Titan avec et sans son armure était considérable. Chaque Titan était monstrueux, fort comme mille hommes. Mais lorsqu’un Titan portait son armure, il devenait invincible.

Nul ne savait de quoi étaient composées ces armures. Quel matériau aussi fin pouvait permettre aux Titans de résister à la puissance d’attaques nucléaires et à leurs radiations, de décupler leur force à tel point qu’ils étaient capables de balayer d’un revers de la main des missiles balistiques faisant partie des plus puissants qu’ils aient jamais créés ?

Aucun des membres actuels de l’Organisation n’avait assisté à la Dernière Guerre, qui avait vu s’affronter les êtres humains et les Titans. Cette dernière datait de plus d’un siècle. Cependant, ils en avaient tous vu les images via les transmetteurs laser, technologie alien apportée par les Titans sur Terre, qui fonctionnait comme une forme améliorée d’hologrammes. Ces images, ils les connaissaient par cœur. Des vaisseaux gigantesques noirs et violets, transperçant leurs avions de chasse, détruisant tout sur leur passage et tirant des lasers dignes des plus grands effets spéciaux des films d’antan. Des images de Titans écrasant des tanks à mains nues, de secousses causées par la puissance de leurs coups. Des scènes d’apocalypse.

Maïr avait conscience que la diffusion régulière de ces images était une technique de dissuasion menée par l’ennemi. Tant qu’il y aurait un être humain pour se souvenir de l’écrasante supériorité des Titans, ils ne trouveraient jamais le courage de se soulever. Ainsi, leurs simples Millians suffisaient pour maintenir l’ordre sur Terre, la menace de représailles planant telle une ombre sur l’Humanité.

Maïr n’était qu’un simple être humain, et comme tous les autres, il ressentait la pression de cette menace.

Il la ressentait violemment.

L’équipe avait déjà traversé la moitié du jardin et approchait dangereusement de l’entrée du manoir. Maïr resserra sa prise sur son arme, un fusil d’assaut M4A1 n’ayant encore jamais servi, afin de dissimuler ses tremblements. Chacun de ses pas était lourd, lui demandant davantage d’énergie au fur et à mesure qu’il avançait. Un rapide coup d’œil en direction de ses co-équipiers lui indiqua qu’ils partageaient tous sa condition. Leurs visages étaient crispés, celui d’Albert plus que tous les autres. Kéfil prenait de grandes inspirations, comme s’il s’apprêtait à plonger en apnée pour le restant de ses jours. Franco, d’ordinaire sarcastique, gardait le silence et regardait droit devant lui, la mâchoire serrée. Etonnement, celle qui paraissait le moins sous tension était Xi Yun. Comme à son habitude, son visage était détendu, ses mouvements précis et déterminés. Son regard balayait fréquemment les environs, de sorte à ce qu’aucun événement imprévu n’échappe à son attention. Devant cette manifestation de sang-froid, Maïr comprit pourquoi Albert l’avait recrutée ; c’était un élément de poids dans l’équipe.

Alors qu’ils approchaient de la résidence, des bruits parvinrent progressivement jusqu’à eux. Des éclats de voix, accompagnés d’une légère musique aux consonnances étranges. Ce soir, Gajel était certainement accompagné de ses prostituées. Plus ils se rapprochaient, plus les bruit se faisaient retentissants, et plus l’atmosphère était pressante. A quelques mètres du manoir, Albert, situé en tête du groupe, leva deux doigts en l’air. C’était le signe leur indiquant de s’arrêter.

La première étape s’était déroulée sans accroc.

Sur un signe de tête d’Albert, ils posèrent leur sac au sol et en déballèrent le contenu, plusieurs pièces métalliques dont certains blocs épais d’un métal noir et rouge, longs d’une cinquantaine de centimètres. Franco prit les choses en main et commença à les assembler, pendant que le reste de l’équipe faisait le guet. Maïr observa le manoir, d’une soixantaine de mètres de haut. Vu de près, il était gigantesque. Deux piliers de marbre immenses étaient positionnés devant l’entrée, aux deux extrémités de la porte. La couleur sombre des murs du manoir lui donnait une atmosphère glaçante.

C’est donc dans ce genre d’endroit qu’aiment vivre les puissants de ce monde ? Une grande résidence pour un grand pouvoir, hein ?

Mair reporta son attention sur Franco. L’assemblage de l’arme paraissait complexe. La plupart des parties de l’arme s’emboitaient assez facilement, mais certaines petites pièces aux formes étranges rendaient la tâche plus ardue.

Avec un dernier clic, Franco finit d’achever de monter l’arme. Une fois assemblée, elle mesurait plus de deux mètres de long, impossible à manier seul. C’étaient Kéfil et Franco, les plus à l’aise avec les armes à feu, qui allaient se charger de l’utiliser. Xi Yun, Maïr et Albert allaient faire en sorte de leur créer une ouverture.

Jusqu’ici, tout va bien. Se rassura-t-il. Nos actions d’aujourd’hui auront des répercussions gigantesques, qui redonneront espoir à l’Humanité tout entière. Elles compteront pour mon peuple, qui me verra de là où il est.  pensa-t-il, sa dernière pensée lui nouant la gorge. Il redressa la tête, clignant des yeux pour ne pas laisser couler les larmes qui les avaient remplis. Regardez-moi, Père, Mère. Je ne vous décevrai pas. Plus jamais.

Ses pensées lui avaient redonné du courage, le soulageant d’une partie de sa peur. Pourtant, la pression que Maïr ressentait ne s’estompait pas. Bien au contraire, il lui sembla qu’elle s’amplifiait.  Il avait de plus en plus de difficulté à effectuer chaque pas, de plus en plus de mal à respirer. L’atmosphère était devenue lourde, pesante.

Que se passe-t-il ?

 Il regarda en direction des membres de l’équipe, qui eux aussi paraissaient avoir du mal à avancer.  

Serait-ce la présence de Gaj—

Il se stoppa net. Un flash soudain lui traversa l’esprit, le paralysant de la tête aux pieds. Des images défilèrent en cascade devant ses yeux. Sa mère lui criant de fuir. Son père, portant son fusil de chasse devant la porte de la maison, face à l’ennemi. Sa sœur, morte à ses pieds. Cette pression. Hypérion.

Hypérion était ici.

Ils allaient tous mourir.

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